Pour « l’Obs », Iorgis Matyassy est allé prendre en photo Patrick Weil chez lui, au milieu de ses livres. Tout autant que l’analyse sur la crise institutionnelle livrée dans l’entretien avec Pascal Riché, ce cliché vaut le détour. L’historien pose entouré d’ouvrages, dans une joyeuse pagaille. Certes, la bibliothèque est l’écosystème de l’intellectuel, rien là d’étonnant, mais le spécialiste de l’immigration et de la citoyenneté pousse les choses très loin. Je connais des universitaires et des journalistes au système pileux très développé – une pile s’ajoute à une autre, une troisième s’affaisse sur les deux premières (et personne, d’ailleurs ne songe à raser quoi que ce soit). Mais dans ce geste d’empilement, quelque chose du rangement, de la patience et du respect qu’il implique, subsiste. Un jour, on les lira, ces ouvrages dont les dos sont à touche-touche. Ou on s’en débarrassera après avoir pris quelques instants pour bien estimer leur utilité ou leur valeur. En cela, la pile ressemble au rayonnage. C’est une architecture. Elle est fruste, certes, mais il y a de la construction, de la structure et un touchant respect des lois de la gravité. On pourra même y voir une forme de bibliothèque verticale – en pivotant la tête. Rien à voir avec ce qu’on découvre de l’intérieur de Patrick Weil. A ses pieds, les livres semblent avoir été jetés les uns sur les autres, largués, balancés presque. Des pyramides bancales se sont formées dans un chaos de couleurs. On imagine les pages cornées, les paragraphes furieusement soulignés – ça explose de vie. Et il faut lire l’entretien quasiment jusqu’à la dernière ligne pour avoir la clef de ce scandale. Mettant en garde contre le recul des libertés publiques, le directeur de recherche au CNRS, qui a fondé l’association « Bibliothèques sans frontières », nous prévient que ce n’est pas la peine d’attendre un nouvel Aristide Briand ou Clémenceau pour sauver la République car « ils sont toujours là, ils sont dans nos textes, et dans les idées et valeurs qu’ils nous ont léguées. A nous de les réveiller et de nous bouger pour les défendre. » C’est donc ça : notre historien ne laisse pas dormir les textes. Il les ramène à la vie, les triture, les rudoie, et ce faisant, il les protège et les fait fructifier. En somme, contre la relégation ou l’oubli des héritages, Patrick Weil a inventé la « non-bibliothèque », l’endroit où jamais un livre ne reste en paix, où il est toujours menacé d’une ouverture impromptue. D’ailleurs n’est-ce pas le propre du véritable intellectuel : avec lui, les idées ne se couchent jamais ? Julie Clarini |
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