Alors que les États généraux de la justice devaient être l’occasion de prendre en compte pour la première fois la parole des justiciables et le travail des associations chargées de les représenter, les modalités de contribution qui leur sont imposées sont scandaleuses et interrogent sur le but recherché.
Les États généraux de la justice pratiquent le deux poids deux mesures ! Le ministre de la Justice reçoit les magistrats mais pas les associations chargées de défendre les justiciables.
Pour les associations, l’unique mode de contribution passe par la plateforme gouvernementale Parlons Justice ! Les contributions des associations sont ainsi d’emblée orientées, étant subordonnées à un moule, des thématiques prédéfinies et un formalisme précis, alors que les États généraux de la justice ne peuvent être utiles que s’ils s’attaquent aux vrais problèmes, sans filtre et sans tabou, pour que le fonctionnement de la justice s’en trouve réellement amélioré.
Pire, le règlement de la plateforme gouvernementale Parlons Justice ! impose aux associations l’anonymat (mandat de participation*) et la cession des droits (conditions générales*). Notre association défend le droit d’auteur depuis huit ans et s’étonne des conditions imposées aux contributeurs, qui par l’anonymat et la cession des droits les privent « irrévocablement et irrémédiablement » de leurs droits patrimoniaux et moraux et portent atteinte à leur indépendance.
Le Ministère de la Justice nous demande en fait de lui céder nos droits, y compris notre droit moral, sans aucune contrepartie, pas même la garantie qu’il mettra en œuvre nos propositions. Dans ce cas, nous cèderions tous nos droits sans hésiter, tant la résolution des dysfonctionnements judiciaires nous tient à cœur. Mais nous n’avons aucune garantie à ce sujet. Le gouvernement peut ignorer nos propositions et, comme il en sera devenu le propriétaire, définitivement les enterrer.
Les effets pervers de ces conditions ont de quoi franchement inquiéter.
Rien ne justifie ces conditions unilatérales, d’autant que ce sont les associations indépendantes, le bas peuple, les petites gens, qui sont tenus par l’anonymat et le renoncement à leurs droits. Les douze membres de la commission des États généraux de la justice (élus, magistrats, professionnels du droit), eux, n’ont rien d’anonyme, et sont probablement payés. Dans cette gouvernance verticale, on a toujours en haut les grands et en bas les petits, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ne sont pas logés à la même enseigne.
L’anonymat imposé aux organisations est incompréhensible. C’est comme si on demandait aux syndicats, associations, collectifs, fédérations de ranger leur bannière lors d’une manifestation ou de participer à un Grenelle, à un débat, à une table-ronde anonymement. Outre l’importance de la visibilité, qui leur permet d’avancer et de fédérer, les organisations présentent, débattent et défendent toujours leurs revendications et propositions de façon transparente et nominative, notamment pour se protéger de tout risque de récupération idéologique ou politique. Elles ne se cachent pas et ne font pas du gouvernement leur porte-parole.
C’est pourtant ce qui est demandé ici aux organisations puisque la cession des droits se fait au profit du Ministère de la Justice, qui peut exploiter les contributions des associations sur tous supports et de toutes les manières, y compris à titre onéreux. Ainsi, non seulement les associations doivent renoncer à leurs droits d’auteur mais également à leur droit de regard sur leur travail, ainsi qu’à leur indépendance par rapport aux pouvoirs publics.
L’instrumentalisation des contributions est d’autant plus à craindre que les conditions de la plateforme gouvernementale Parlons Justice ! prévoient expressément la possibilité de les découper, de les reformuler, de les fractionner, de les mélanger à d’autres contributions, ce qui peut leur faire perdre leur sens, voire leur donner un sens contraire au sens voulu par le contributeur.
Cette cession des droits, par des effets pervers et un plagiat inversé, peut même à terme museler « irrévocablement et irrémédiablement » les associations, qui ne pourront plus librement exploiter leurs travaux, sans courir le risque d’être poursuivies pour plagiat… de leur propre contribution ! Quand on connaît le sens historique du mot plagiat, on voit que cette cession des droits n’a rien d’innocent. « Plagiat : action de disposer d’une personne libre en la vendant ou l’achetant comme esclave. » (définition du Littré).
Nous avons l’habitude d’œuvrer bénévolement. Nous ne comptons ni nos heures ni nos efforts. Mais notre sens du dévouement a ses limites. Nous ne sommes pas des esclaves, des anonymes, des invisibles, dont on peut piller, morceler, amputer le travail, lui faisant perdre sa substance et son âme, pour au final laisser les problèmes entiers. On a vu les précédents avec le Grand Débat et la Convention Citoyenne pour le Climat.
D’ailleurs, bis repetita qui confirme nos craintes, pour créer l’illusion d’une participation citoyenne, le gouvernement a constitué un panel de 50 personnes, chargées de délibérer sur les contributions. Croire qu’un panel de citoyens peut en quelques jours se substituer au travail de plusieurs années des associations, c’est un leurre. C’est au-delà très méprisant pour les associations, que l’on prive de la possibilité d’expliquer et de défendre leurs propositions, qui seront au mieux « discutées » en dehors de leur présence, au pire écartées d’autorité.
Alors, comme nous aurons cédé nos droits au Ministère de la Justice, comment ferons-nous pour faire aboutir nos propositions pour lutter contre les dysfonctionnements judiciaires ? Comment ferons-nous pour soumettre les mesures que nous préconisons aux candidates et candidats à l’élection présidentielle ? Comment ferons-nous pour les porter à la connaissance des parlementaires ? Devrons-nous demander l’autorisation au gouvernement ? Ou devrons-nous nous taire définitivement ?
Ce n’est ni sérieux ni démocratique.
Les associations doivent être reçues autour d’une table, afin de prendre connaissance, avec tout le sérieux requis, de leurs doléances, témoignages et propositions. Ce n’est pas faute pour notre association de l’avoir demandé sans relâche dès l’annonce des États généraux de la justice, en juin 2021, par le président de la République, Monsieur Emmanuel Macron.
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