L’homme augmenté n’est pas pour demain puisque celui-ci ne date pas d’hier : depuis longtemps, on connaît les implants, qu’ils soient dentaires, capillaires, cardiaques, cochléaires, contraceptifs, fessiers, intraoculaires, mammaires, zygomatiques et j’en passe ! Nul ne trouve à redire aux lunettes, béquilles, prothèses et autres stents. Si d’ailleurs certains domaines de la médecine patinent – comme l’allergologie –, d’autres carburent – comme la traumatologie. On voit l’homme se faire réparer comme un garagiste le fait avec les pièces détachées d’une voiture.
Partout, les composants sont de plus en plus légers et solides, les processeurs de plus en plus petits et puissants, et les moyens de communication de plus en plus rapides et efficaces. Dans ce contexte ultra-porteur, l’implant sous-cutané ne relève pas de la science-fiction mais de l’évolution normale des choses.
Normale ? Certains y voient un signe des temps, une marque du diable et l’accomplissement d’une prophétie du dernier livre de la Bible, l’Apocalypse : « Et elle fit que tous, petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves, reçussent une marque sur leur main droite ou sur leur front, et que personne ne pût acheter ni vendre, sans avoir la marque, le nom de la bête ou le nombre de son nom. » Le Covid relance les spéculations à ce sujet, d'autant qu'une société suédoise spécialisée dans les implants à micro-puces vient de mettre au point un passe sanitaire à porter sous la peau.
DSruptive Subdermals, c’est son nom.
De la taille d’un grain de riz, on l’implante par seringue intradermique. « J'ai programmé la puce de façon à ce que mon passe sanitaire soit sur la puce, explique à l’AFP Hannes Sjoblad. « La raison, c'est que je veux toujours l'avoir à portée de main et quand je lis ma puce, je fais simplement glisser mon téléphone sur la puce, puis, ajoute l'entrepreneur, je le déverrouille et elle s'ouvre ». Quoi de plus simple, de plus indolore, de plus imparable ? Plusieurs milliers de Suédois portent déjà un implant électronique inséré sous la peau pour remplacer clés, cartes de visite, billets de train et pour certains désormais leur passe vaccinal.
Comme toujours, l’innovation se pare d’un discours sur l’aspect pratique des objets qu'elle produit, ainsi que l’écrit l’Usine digitale : « Petit à petit, l’idée infuse dans la société. Se faire implanter une puce NFC ou RFID sous la peau présente, selon les premiers adeptes, de très nombreux avantages au quotidien. (…) Cette intrigante technologie convainc les particuliers… mais aussi certaines entreprises, qui lancent des campagnes pour équiper leurs salariés ».
Surveillance terrifiante ou solution pratique face au Covid-19 ? Cette question, les adeptes de la puce ne la posent pas. Il ne s’agit pas selon eux de surveiller mais de protéger ses données : « Je pense que cela fait tout à fait partie de mon intégrité d'être "pucée", de garder mes informations personnelles avec moi », explique une Stockholmoise à l'AFP. L’intégrité est d’autant plus respectée que ces implants, souligne Hannes Sjoblad, « n'ont pas de batterie, ne peuvent pas transmettre de signal par eux même. Ils sont donc endormis, ne peuvent pas dire où vous vous trouvez, et ne sont activés que lorsqu'on les touche avec un smartphone ».
Le prix et la durée de vie sont imbattables : « Une micro-puce implantée coûte une centaine d'euros pour les versions les plus avancées, et si on le compare aux bracelets connectés qui coûtent en général le double du prix, un implant peut se conserver 30 ou 40 ans. Alors qu'un bracelet se conserve 3 ou 4 ans », plaide l'entrepreneur.
Bien sûr, tous les utilisateurs sont volontaires, mais si quelqu'un rendait les implants obligatoires pour des personnes détenues ou âgées, « vous me trouveriez sur les barricades pour me battre contre ça », s'insurge Hannes Sjoblad. Cette protestation n'a pas beaucoup de valeur. La question de l’obligation, en réalité, ne se pose pas. On le voit avec le passe vaccinal : celui-ci ne sera pas obligatoire mais nul ne devra pouvoir s'en dispenser. Du reste, la technique n’oblige à rien en soi. Il suffit qu'elle s’impose pour que l'homme s’y adapte. L'éthique ne vise pas à empêcher cette adaptation mais à l'organiser au mieux.
La puce n’est pas si minuscule qu’elle en a l’air ; elle correspond à un énorme désir : voir l’industrie de pointe se mettre toujours plus à notre service, afin d’augmenter notre performance. De l’aspirateur Roborock au robot émotif Pepper, un environnement familier se met en place – qui fait de l’homme un être vivant parmi d’autres objets animés, souvent plus efficaces que lui. L’industrie du sport formate une image du héros invincible, dopée par nos rêves d’immortalité. Nos footings, nouvelles processions urbaines, trahissent une volonté de ne pas accepter les insuffisances de la mécanique humaine. Quant au smartphone, il nous colle déjà à la peau, comme s’il prolongeait nos organes vitaux.
Bref, les mentalités sont prêtes à recevoir la puce. Même si elle gratte un peu. Malgré l'Apocalypse.
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