Initialement, on avait prévu de consacrer cette newsletter à la création du prix Eco-Fauve par le festival international de BD d’Angoulême (FIBD) à l’occasion de l’édition 2022, qui devait se tenir fin janvier. La BD est le secteur le plus dynamique de l’édition aujourd’hui et les albums abordant la question écologique y connaissent un véritable engouement. Que le plus grand événement du 7e art en France décide d’y consacrer un prix spécial était l’occasion de se pencher sur ce qui est en train de devenir un genre littéraire en soi. Les 7 albums sélectionnés pouvant être considérés comme un échantillon représentatif, il y aurait de quoi esquisser quelques tendances. Bref le sujet s’annonçait assez tranquille.
Sauf que, depuis l’annonce de sa création début décembre, ce prix n’a cessé d’avoir des ennuis. Le dernier en date, c’est la réduction de la jauge des événements publics décidée lundi par Jean Castex et qui a entraîné dès le lendemain le report sine die des festivités de janvier. Cela ne devrait pas empêcher les différents prix d’être décernés (on ne sait pas encore quand), même s’il est clair que le lancement de ce tout nouveau Eco-Fauve y perdra un peu d’éclat.
Mais il y a plus sérieux. Quelques jours avant cette annonce, ce prix avait fait l’objet d’une attaque en règle par l’une des grandes figures de la BD française, Yves Frémion. Il faut dire que Frémion organise depuis 25 ans un « prix Tournesol », décerné à la meilleure BD parlant d’écologie et qui est remis chaque année à l’occasion de ce même festival d’Angoulême. Le communiqué de Frémion est rageur et un tantinet grandiloquent (le prix Tournesol « effraie ses adversaires, surtout en période électorale », hum…), mais il est intéressant sur le fond.
Rappelant l’ancienneté du combat écologiste, il dénonce les « écolos de la dernière heure » qui tentent désormais de s’acheter un brevet d’engagement. On appelle ça le « greenwashing ». Comment lui donner tort ? Surtout lorsqu’il souligne que ce prix est l’occasion pour un sponsor, en l’occurrence une entreprise d’emballage, d’accoler son nom à la lutte pour l’environnement (mais après tout, le greenwashing n’est-il pas une forme d’emballage ?). « Doit-on avoir un prix officiel par sponsor ? », demande Frémion.
Enfin, celui qui a été toute sa vie autant militant antinucléaire que fan de BD attire l’attention sur la présence, parmi les 7 albums de la sélection, du « Monde sans fin », dessiné par Blain et scénarisé par Jancovici, que Frémion qualifie de « porte-plume de tous les nucléocrates ». Une remarque qui nous ramène à la question de départ : qu’est-ce qu’une « BD écolo » ?
Prenons l’album de Blain et Jancovici : c’est une somme qui apporte une mine d’informations passionnantes sur le réchauffement climatique, mais qui se termine en effet par un éloge insistant du nucléaire. Pourtant, la gêne que l’on ressent à la lecture porte sur un tout autre aspect du récit : son caractère très didactique, avec un Jancovici omniprésent et omniscient.
Faire parler un sachant qui apporte la solution, c’est une tentation forte dans la BD-reportage. Dans « Le Droit du Sol », qui figure également parmi les nominés du prix Eco-Fauve, Davodeau y cède parfois, quand il met en scène des entretiens avec divers experts. Mais ces passages un peu fastidieux sont compensés par le récit minutieux d’une randonnée à travers la France et des émotions « écologiques » qui l’ont rythmée. La beauté des paysages, leur variété, leur vulnérabilité, y sont magnifiquement restitués, par les mots choisis autant que par le travail graphique.
Autre album de la sélection, « les Oiseaux », de Troubs, partage cette même ambition de dessiner au plus près du sol, du vivant. Quitte à sortir de la narration classique, tendue vers un dénouement clairement situé. Chez Troubs comme chez Davodeau (ou encore dans « Désolation », d’Appolo, lui aussi dans la sélection), la chronologie se disloque progressivement et quelque chose reste en suspens. Comme si de tels récits ne pouvaient pas avoir de véritables fins - en écho à cette crise écologique interminable dont le propre est de nous plonger dans un monde sans issue prévisible. De quoi avancer l’hypothèse que si vraie « BD écolo » il y a, ça ne peut être que celle qui est capable d’enregistrer - jusque dans sa forme - ce chamboulement chronologique.
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