FRANCE|CHRONIQUE
Macron sur tous les fronts
La meilleure défense, c’est l’attaque, dit-on. Bousculé, affaibli, stoppé dans son élan depuis quatre mois, Emmanuel Macron a donc engagé, cette semaine, une offensive de grande envergure pour tenter de reprendre l’initiative.
Préparé de longue date, le périple qui doit le conduire de Strasbourg, le 4 novembre, à Paris, le 11 novembre, en passant par tous les départements de l’Est et du Nord ravagés par la Grande Guerre, était évidemment destiné à célébrer le centenaire de la victoire des Alliés (Français, Britanniques, Américains, Belges, Italiens et bien d’autres) sur les empires allemand, austro-hongrois et ottoman. Et à tirer de ce passé aussi tragique que glorieux d’utiles enseignements pour le temps présent.
Mais ses déboires estivaux ont conduit le président de la République à ajouter à cette « itinérance mémorielle » deux autres objectifs, plus pressants encore : la reconquête d’une opinion publique de plus en plus critique à son endroit et celle de territoires dont les élus et les habitants s’estiment négligés par la politique du gouvernement.
Sur le front de l’opinion, l’été aura été calamiteux. Selon la moyenne des dix instituts de sondage qui mesurent chaque mois la popularité présidentielle, Emmanuel Macron ne recueillait plus, en octobre, que 28 % d’opinions favorables, soit une dégringolade de onze points depuis le mois de juin. Hormis chez les sympathisants de La République en marche (LRM), le discrédit s’est brutalement installé dans toutes les catégories politiques ou sociales.
Exaspération
Tout y a contribué. L’assurance du chef de l’Etat, bientôt perçue comme de l’arrogance. Un parler vrai revendiqué, à coups de petites phrases-chocs, peu à peu ressenti comme de la provocation, voire du mépris.
Plus sûrement encore, les Français étaient prêts à admettre, il y a dix-huit mois, que les réformes engagées prendraient du temps pour produire l’effet escompté. Devant l’absence de résultats tangibles, sonnants et trébuchants, en matière d’emploi comme de pouvoir d’achat, ils ont fini par s’impatienter, puis par s’irriter.
Le mouvement de protestation qui enfle contre la hausse des prix de l’essence est symptomatique de cette exaspération, beaucoup de Français, notamment les plus modestes, ayant le sentiment que le gouvernement reprend d’une main ce qu’il distribue de l’autre. Bref, entre le chef de l’Etat et ses concitoyens, le fil s’est rompu.
Il en est de même sur le front des « territoires ». Le « pacte girondin » promis par le candidat, puis le président Macron, n’a pas longtemps fait illusion aux yeux des élus locaux, heurtés les uns (les maires) par la suppression progressive de la taxe d’habitation, les autres (les départements) par des transferts de charges inopinés, les troisièmes (les régions) par la réforme de la formation professionnelle qui était jusqu’à présent leur apanage.
Le pouvoir exécutif s’est employé, depuis peu, à arrondir les angles pour éviter le divorce qui menaçait. Là encore, le long déplacement provincial du chef de l’Etat, loin de Paris et des métropoles, au plus près des villages oubliés et des petites villes en déshérence, peut contribuer à apaiser la fronde. Mais il en faudra davantage pour restaurer la confiance.
Reste le troisième front sur lequel Emmanuel Macron va faire porter tout son effort cette semaine : celui de la mémoire de la première guerre mondiale.
« Lucidité » à double tranchant
C’est un terrain qu’il affectionne. Mieux que d’autres, il sait y déployer la gravité requise et s’inscrire avec aisance dans le récit national. Gageons qu’il saura, dans la clairière de Rethondes (Oise), le 10 novembre, associer la chancelière Angela Merkel à la célébration de la réconciliation franco-allemande sur le lieu même où, en 1918 comme en 1940, les deux pays subirent successivement l’humiliation de la défaite.
Et présumons qu’il trouvera, le lendemain, à Paris, devant une centaine de chefs d’Etat et de gouvernement, l’éloquence nécessaire pour plaider en faveur de la paix, contre toutes les crispations nationales, voire nationalistes, actuelles.
Pour autant, l’exercice n’est pas simple. En dépit de l’immense entreprise menée depuis quatre ans par la Mission du centenaire pour en ressusciter les multiples mémoires, la Grande Guerre est, aujourd’hui, littéralement impensable. Cette effroyable tuerie de masse, cette entreprise industrielle de destruction des peuples, ces millions de jeunes hommes dont la mort laissait imperturbables, sinon indifférents, les chefs politiques et militaires, tout autant que l’abnégation des soldats qui endurèrent pendant plus de quatre ans les pires souffrances, et pour finir le suicide collectif des puissances dressées les unes contre les autres et un désir de revanche qui enfanta un second conflit mondial plus ravageur encore : tout cela est devenu inconcevable dans un pays et sur un continent en paix depuis sept décennies, si l’on excepte les guerres coloniales et le terrible conflit yougoslave.
Il n’est pas plus aisé de tirer les leçons de l’histoire. Ainsi, Emmanuel Macron n’a pas hésité à s’inquiéter de la « ressemblance entre le moment que nous vivons et celui de l’entre-deux-guerres », « une Europe divisée par les peurs, le repli nationaliste et les conséquences de la crise économique ». A bien des égards, il a raison. Mais l’exercice de « lucidité » auquel il invite est à double tranchant. Ses adversaires populistes, en France comme en Europe, ne manqueront pas de lui demander pourquoi cette Union européenne développée et consolidée depuis soixante ans n’a pas su apaiser ces peurs et ces divisions.
L’on mesurera rapidement l’impact de l’offensive tous azimuts du chef de l’Etat. Mais l’on peut douter que cette longue semaine au « front », entre écoute, pédagogie et histoire, suffise à restaurer une confiance en berne.
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