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dimanche 1 juillet 2018

Mexique L'Eglise face aux narcos


30 juin 2018

Mexique L'Eglise face aux narcos

Dans l'Etat de Guerrero, le plus touché par la violence, les religieux sont en première ligne face aux trafiquants de drogue. L'insécurité reste la première préoccupation des Mexicains, appelés à voter aux élections générales, dimanche 1er juillet

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Le père Thomas Gonzalez en est conscient : son sacerdoce peut lui coûter la vie. La tombe en granit située à l'entrée de son église le lui rappelle chaque jour. " On s'habitue à tout, même à la peur ",soupire ce curé de 50 ans, un brin fataliste, devant la sépulture d'un de ses prédécesseurs, un missionnaire ougandais assassiné en  2014. Lorsqu'il a débarqué, en début d'année, à Nejapa, bourg pittoresque de l'Etat de Guerrero (sud-ouest du Mexique), le père Thomas a vite compris où il mettait les pieds. Sa paroisse est au cœur de la rivalité entre le cartel local, Los Rojos (" les rouges "), et son voisin, Los Ardillos, un nom dérivé du mot " ardilla " (" écureuil "). " J'avais des sueurs froides à l'idée d'aller dire la messe dans les -petites communautés alentour, confie-t-il. Notre discours moral, contre la violence et la corruption, peut vite déranger. "
Le parvis de l'église offre une vue imprenable sur cette région considérée comme la plus violente du pays. Au-delà des toits de tôle des maisons environnantes se dessinent les flancs escarpés et boisés de la Sierra Madre occidentale, une chaîne montagneuse où les conditions climatiques sont idéales pour la culture de la marijuana et du pavot, la base de l'héroïne. Alors que le Mexique est le troisième producteur mondial de pavot, après l'Afghanistan et la Birmanie, le Guerrero-assure à lui seul plus de la moitié de la production nationale de gomme d'opium, le -précieux latex extrait de la plante. " C'est l'économie locale ", résume le père Thomas.
Lui-même est originaire des environs, et connaît donc les usages locaux. Quand il évoque les barons de la drogue, il ne donne pas de nom, se contentant de dire " ellos " (" eux "). Quant à ses homélies, elles sont pesées au mot près. Mais cela ne l'empêche pas de célébrer la mémoire du père ougandais John -Ssenyondo. Le" Pa John ", comme on l'appelait dans cette paroisse paysanne, était arrivé en  2010. Il avait le courage de dénoncer " los malos " (" les méchants "). Le 30  avril 2014, un groupe armé l'a enlevé après une messe. Son corps a été retrouvé, six mois plus tard, dans une fosse clandestine, avec 12 autres cadavres. Que lui reprochait-on ? Difficile à savoir tant l'omerta règne dans ce gros village accablé, sous une chaleur tropicale. A l'écart des -regards, des fidèles glissent qu'il aurait refusé de baptiser l'enfant – né hors mariage – d'un chef de Los Rojos. Pour d'autres, il se serait -opposé à une tentative de racket.
Au total, 24 prêtres ont été assassinés, ces six dernières années, à travers les 32 Etats du pays. Le Centre catholique multimédia (CCM), organe d'information du clergé mexicain, avait dénombré 4 victimes en  2017. L'approche des scrutins présidentiel, législatifs et municipaux du 1er  juillet, laisse craindre un bilan bien plus élevé. Au cours du seul premier semestre, 5 religieux ont été tués, dont 2 trentenaires pris pour cibles, début février, sur une route au nord du -Guerrero, après une fête à laquelle avaient -assisté des membres de cartels concurrents. " Les enlèvements, les extorsions, les agressions et les vols dans les églises décollent -également, souligne le père Thomas. Plus aucun sanctuaire n'est à l'abri. "
A l'échelle nationale, 80  % des crimes -contre des religieux restent impunis, -dénonce le CCM, qui avait comptabilisé, en  2017, plus de 800 menaces de mort, soit 50  % de plus que l'année précédente. La situation est telle que la Conférence épiscopale du Mexique (CEM) diffuse auprès de ses prêtres un protocole de sécurité. Les consignes vont du plus ordinaire, comme d'éviter de sortir le soir, à des mesures plus élaborées, dont le -recours à des caméras, à des alarmes et même à un bouton d'alerte dans les églises.
Comment en est-on arrivé là dans ce pays de plus de 120  millions d'habitants, où 8 personnes sur 10 se déclarent catholiques ? " Avant, nous étions intouchables ", se souvient le père Thomas, ordonné prêtre en  1998. Dans son bureau aux peintures défraîchies, il salue un homme coiffé d'un chapeau de paille : Pedro Felipe Julio, le seul curé d'une paroisse voisine à être venu rendre hommage au regretté Pa John. La cérémonie n'a réuni qu'une vingtaine de paroissiens. " Les gens sont terrorisés ", justifie le père Pedro, surnommé ici " Padre Pechi ". Pour lui, ces meurtres sont des " messages " envoyés à la population : " S'ils tuent un curé, cela signifie qu'ils peuvent tuer n'importe qui. Ils s'attaquentà nous, car nous représentons le dernier rempart moral contre eux. "
" Sur le qui-vive "Originaire lui aussi du Guerrero, ce sexagénaire n'arbore aucun signe religieux. Il porte juste une chemise brodée, un pantalon en toile et des chaussures de marche. " La discrétion est de mise quand je me déplace ", lâche-t-il d'une voix rauque, avant de confier être sans cesse " sur le qui-vive. Une agression peut arriver à chaque instant, après la messe, dans le confessionnal, le presbytère ou sur une route ". Pas question, pour autant, de -sombrer dans la psychose. " Je m'en remets à Dieu en essayant de dominer ma peur pour ne pas la transmettre à mes paroissiens, qui sont aussi victimes de cette crise. " Après un long soupir, il déplore que le Mexique se soit à ce point " éloigné de Dieu ".  Les chiffres donnent la mesure de cet éloignement : rien qu'en  2017, année la plus meurtrière depuis vingt ans, 25 339 personnes ont été tuées, soit une hausse de 23  % par rapport à 2016. Et la crise s'amplifie. Au premier trimestre, 6 553 homicides ont été enregistrés, contre 5 673 un an plus tôt.
" Au-delà du nombre, c'est la barbarie qui choque ", déplore Padre Pechi . Cadavres démembrés, corps calcinés, disparitions, exécutions de familles entières… Le Guerrero, région montagneuse et côtière à la fois, décroche la palme des assassinats : 2 529 en  2017. A elle seule, la municipalité de -Chilapa, dont dépend la paroisse paysanne de Nejapa, affiche 134 meurtres pour 100 000 habitants, contre 20,5 au niveau -national. " Impossible, ici, de ne pas côtoyer le crime organisé, poursuit, un peu gêné, - Padre Pechi, auquel il arrive de confesser des tueurs dans sa paroisse d'Atzacoaloya, à 10 kilomètres de là.  Eux aussi sont catho-liques. Mais à leur manière… Alors, je prends mon temps pour gagner leur confiance et -accorder la mienne. "
Nous voici justement en route pour cette bourgade de 2 000 habitants. Au volant de sa Coccinelle blanche, le curé dévale une route sinueuse. La voiture râpe son bas de caisse sur un dos d'âne. Le prêtre aperçoit un barrage de l'armée. " S'ils nous arrêtent, ne dites pas que vous êtes journaliste ", lâche-t-il en baissant la voix. Le militaire hoche la tête. La voie est libre. " Les soldats font partie du problème ", peste le curé. Le président élu en  2012, Enrique Peña Nieto, a maintenu les 50 000 hommes déployés sur le territoire national par son prédécesseur, Felipe Calderon.
De fait, l'armée a réussi de jolis coups de filet ces dernières années : la plupart des 122 narcotrafiquants les plus recherchés du pays ont été arrêtés ou tués, dont Joaquin " El Chapo " Guzman, à la tête du cartel de l'Etat de Sinaloa (Nord-Ouest), extradé en  2017 vers les Etats-Unis. Son ancien allié puis ennemi, Arturo Beltran Leyva, qui contrôlait l'ensemble du Guerrero, a été criblé de balles, en  2009, par la marine dans un autre Etat, Morelos. La mort de ce boss, que les Mexicains qualifiaient de " chef des chefs ", a abouti à la fragmentation du puissant cartel qui porte son nom. Conséquence : le Guerrero compte -désormais plus d'une vingtaine de groupes rivaux, dont Los Rojos et Los Ardillos.
Un saint patron chez les narcos" Vous êtes ici à l'entrée des montagnes ", prévient Padre Pechi en arrivant à Atzacoaloya. Cette petite ville, située sur un axe stratégique pour le transport de la gomme d'opium et de la marijuana, était contrôlée, il y a encore trois ans, par Los Rojos.Mais le cartel de Los Ardillos a pris le dessus en  2015, imposant son emprise sur ces rues poussiéreuses où les maisons en torchis respirent la misère.
Comme l'immense majorité des habitants d'Atzacoaloya, Padre Pechi est un Indien nahua, descendant d'une des cultures ancestrales ayant survécu à la colonisation. Au coin de la rue, une Nahua quinquagénaire remplit des seaux d'eau à un robinet collectif. Vêtue d'un corsage et d'une jupe longue brodés, cette mère de 3 enfants habite juste en face. Chez elle, pas de plancher, juste un lità même le sol, une table vétuste et un autel fleuri en l'honneur de la Guadalupe, la vierge métisse. Derrière un vase, une statuette intrigue. " C'est Malverde, lâche-t-elle. Il nous protège. "
Moustache et foulard rouge, Jésus -Malverde est le saint patron des narcotrafiquants. La légende raconte que l'homme était un bandit, qui volait les riches pour donner aux pauvres, dans l'Etat de Sinaloa (Nord-Est), berceau du narcotrafic. Ce Robin des bois " sanctifié " aurait été tué en  1909 par les autorités. Devenu aussi le " protecteur des plus démunis ", il compte des milliers d'adeptes, du Mexique jusqu'aux Etats-Unis. Les cartels eux-mêmes entretiennent son culte afin d'attirer des recrues." Il n'est pas -reconnu par l'Eglise, souligne Padre Pechi. Ici, le narco, c'est M. Tout-le-Monde. Les gens cultivent de la drogue pour survivre. "
Dans cet Etat, qui compte plus de 60  % de pauvres, les paysans ont longtemps vendu à bon prix leur  gomme d'opium au seul cartel de Beltran Leyva, qui la transformait en -héroïne dans ses laboratoires clandestins, avant de l'acheminer aux Etats-Unis, dont le Mexique est le premier fournisseur. Mais la récente chute des prix menace l'économie -locale. Les producteurs vendent le gramme de gomme autour de 6 pesos (25 centimes), trois fois moins qu'il y a un an. Les cartels importent désormais de Chine le Fentanyl, un analgésique opioïde cinquante fois plus puissant que l'héroïne. Une crise accentuée par les destructions de champs de pavot par l'armée, qui a brûlé ou coupé 28 751 hectares en  2017.
" La pauvreté pousse les jeunes dans la délinquance organisée ", assure Padre Pechi, -assis dans la cour de son presbytère, qui fait office de bureau, de cuisine et de débarras à la fois. A vol d'oiseau, sa paroisse est à 18  km de la municipalité de Quechultenango (34 000 habitants), le fief de Los Ardillos, -situé derrière la montagne. Dirigé par les -frères Ortega, d'anciens producteurs de -pavot, le cartel semble avoir mis la main sur tous les pouvoirs locaux : politique, policier, économique et même… spirituel. Bernardo Ortega, membre de cette fratrie mafieuse, est candidat du Parti de la révolution démocratique (PRD, gauche) à un poste de député local. Cet ancien maire de Quechultenango (2002-2005), président du Congrès régional du Guerrero en  2015, est soupçonné d'être -l'opérateur politique de sa famille. Quant à l'oncle, Antonio Jimenez, il n'est autre que… le prêtre de Quechultenango.
La nuit tombe. Il est temps de filer. Padre Pechi fait vrombir le moteur de sa Coccinelle." Je ne dors plus là. C'est trop dangereux. " Une route bosselée nous conduit hors d'Atzacoaloya. C'est ici, sur le bas-côté, que le corps mutilé de Dulce Rebaja a été découvert, le 25  février. Cette trentenaire était candidate du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre, au pouvoir) à un siège de députée -locale. " La campagne électorale aggrave les tensions ", observe Padre Pechi tout en conduisant. Commencé en septembre, le processus électoral est le plus violent de l'histoire nationale : 48 candidats ont été assassinés, dont 14 dans le Guerrero. Pour protéger leurs trafics, les cartels financent les campagnes ou tuent les postulants gênants. Au total, 133 hommes politiques ont été tués et 588 agressésdans le pays depuis dix mois, -selon Etellekt, un cabinet d'analyse.
Avant de se rendre dans un village situé plus au nord, Padre Pechi fait une courte halte dans la ville de Chilapa (40 000 habitants). Cette élégante cité coloniale, dont les entrées sont gardées par l'armée, symbolise la crise sécuritaire. Des centaines de policiers fédéraux ont beau y patrouiller jour et nuit, le nombre d'homicides est à la hausse (177 en  2017, contre 85 en  2016). Au centre-ville, les fusils-mitrailleurs des soldats -détonent sur la place principale, d'apparence si paisible avec ses ficus géants et son -kiosque à musique.
Jesus Diaz Navarro, la cinquantaine, est -attablé à la terrasse d'un petit hôtel coincé entre la mairie et la cathédrale. Il raconte comment ses 2 frères et son cousin, des entrepreneurs du bâtiment, ont été enlevés le 26  novembre 2014, à Atzacoaloya. Quatre jours plus tard, leurs corps gisaient au bord d'une route. " On n'a jamais retrouvé leurs -têtes ", précise M. Diaz Navarro, président du collectif Siempre vivos (" Toujours vivants "), constitué par des proches de victimes. Ce drame coïncide avec la déclaration de guerre entre Los Ardilloset Los Rojos.En mai  2015, un commando a kidnappé une trentaine de jeunes ici même, à Chilapa. " Depuis, l'horreur continue en toute impunité, s'alarme M. Diaz Navarro, professeur de lycée, qui dénonce la corruption politique.  Comment est-ce possible que des cargaisons de cadavres ou de drogues circulent librement avec autant de militaires et de policiers partout ? " Pour sa part, Manuel Olivares, directeur du Centro Morelos, organisation de défense des droits de l'homme basée à Chilapa, estime que les cartels profitent de l'absence d'Etat de droit : " La violence est une stratégie politique de contrôle social, exercée par le crime organisé, mais aussi par la police et l'armée. "
" Ni pardon ni oubli "A l'entrée de la cathédrale, des musiciens -accompagnent un cercueil. " C'était un -policier, chuchote un ami du défunt. Son corps a été retrouvé dans le coffre d'une voiture avec celui du chef de la police municipale. " Fusil mitrailleur au poing, des policiers surveillent la cérémonie. L'un d'eux -pénètre dans l'immense nef marbrée. C'est là que, le dimanche, l'évêque de la région vient célébrer la messe. A la tête du diocèse de -Chilpancingo-Chilapa, Mgr Salvador Rangel a provoqué, fin mars, une levée de boucliers en révélant dans les médias qu'il avait demandé une trêve au crime organisé. " L'application de la loi ne se négocie pas ", a rétorqué le -ministre de l'intérieur, Alfonso Navarrete. Quant à M. Diaz Navarro, il répète : " Ni -pardon ni oubli. La loi pour tous. "
La question divise aussi le clergé. Le 22  mai, le père Jose Luis Segura, prêtre dans l'Etat -voisin de Michoacan, a critiqué " l'évêque qui transgresse les règles de l'Eglise en -reconnaissant le narco comme une autorité -légitime ". Pourtant, un mois plus tôt, la Conférence épiscopale du Mexique faisait bloc derrière Mgr Rangel. " Il agit au nom de la défense de ses prêtres dans des zones non contrôlées par les autorités ", a justifié, le 13  avril, Alfonso -Miranda, secrétaire général de la CEM. Le Mexique a beau être un pays laïque depuis 1857, la CEM a publié, mi-mai, un projet pastoral engagé exhortant les hommes politiques à " rendre des comptes ". Le document appelle aussi à " une Eglise du peuple " prônant le " dialogue " pour -" reconstruire le tissu social ".
Alors que l'insécurité est la première préoccupation des électeurs appelés à voter le 1er  juillet, le sort des prêtres s'est immiscé dans la campagne présidentielle. Mi-avril, la CEM a convoqué les principaux candidats pour leur communiquer la vision de l'Eglise sur le fléau. A la sortie, le grand favori des sondages, Andres Manuel Lopez Obrador, a approuvé l'initiative de dialogue de l'évêque Rangel, annonçant qu'il solliciterait " l'aide du pape pour pacifier le pays ". Le leader de la gauche, surnommé " AMLO ", a proposé une amnistie pour les narcotrafiquants, avant de réserver la mesure aux petits cultivateurs de pavot et de marijuana.
Mgr Rangel accepte de nous recevoir dans le bureau austère d'une maison diocésaine rénovée, plantée sur les hauteurs de Chilpancingo, capitale du Guerrero. L'évêque défend l'idée d'une amnistie. " Mais seulement pour les repentis, précise-t-il, en se disant l'évêque de tous, narcos inclus. " Chemise blanche brodée, crucifix noir au cou, il interroge : " Que faire quand les autorités ont été remplacées par le crime organisé ? Deux prêtres sont menacés de mort. Je ne vais pas rester les bras croisés. L'Eglise est bien obligée de combler le vide laissé par le gouvernement. "
En pleine semaine sainte, le religieux a -déclaré s'être rendu dans les montagnes du Guerrero pour rencontrer le chef d'un cartel. " Il a accepté une trêve à deux conditions : que l'élection soit libre de fraude et que les politiciens honorent leurs promesses. "Depuis, Mgr Rangel aurait rencontré quatre autres barons régionaux de la drogue. " Il faut les écouter, dans l'espoir de semer une graine de bonté dans leur cœur ", assure l'évêque franciscain, dont les virées en zone narco se font sans -escorte. " Deux religieuses m'accompagnent, précise-t-il. Je me sens plus en sécurité sous la protection des cartels que sous celle de l'Etat. " L'évêque, qui ne fait pas ses 72 ans, se montre déterminé : " La violence engendre la violence. La militarisation a échoué. Il est temps de chercher des alternatives. " De là à se rendre complice des narcotrafiquants, il n'y a qu'un pas, qu'il assure ne pas franchir : " Pas de pacte avec eux. Je viens juste en ami, sans les juger. " Il affirme avoir le soutien du pape François. En visite au Mexique en  2016, ce dernier n'avait-il pas invité les évêques à faire preuve de " courage prophétique " pour soigner la " métastase de la violence " ?
Ce défi pastoral, le père Jesus Mendoza le -relève au quotidien sur le terrain.A 65 ans, cet homme affable et cultivé s'apprête à célébrer une messe dans un quartier populaire d'une petite ville proche de la station balnéaire d'Acapulco, la principale agglomération du Guerrero (800 000 habitants). Le prêtre salue de la main deux hommes à la mine patibulaire assis au coin d'une rue. Cinq -fusils-mitrailleurs et deux talkies-walkies -satellitaires sont posés, bien en évidence, sur leur table de jardin. Ils sont aux ordres d'une famille mafieuse, liée autrefois au cartel des Beltran Leyva, qui a mis la main sur cette -paroisse de 7 000 âmes.
Défi pastoral au quotidienFace à une dizaine de fidèles, l'ecclésiastique enfile son habit sacerdotal dans une chapelle sans cloison. " Sur cette croix, Jésus a été -humilié comme le pire des délinquants. Mais il a ressuscité… " Le prêtre se garde bien de personnaliser son sermon, car il ne faut pas -" diviser la communauté ". De retour dans son église, dont le porche est orné d'une -colombe, il raconte : " Un jour, en pleine messe, 15 hommes armés sont entrés pour réclamer ma bénédiction. Je leur ai dit qu'ils devaient d'abord déposer leurs armes. Ilsont accepté. Je les ai bénis dans la paix. Les criminels sont aussi des victimes. " Le curé soutient son évêque, mais pas l'amnistie suggérée par " AMLO ", le candidat de gauche. Lui milite plutôt pour une " justice transitionnelle, comme en Colombie ou en Afrique du Sud, au nom de la vérité, de la justice et du pardon ".
Avant d'atterrir dans ce bourg, le père -Mendoza a passé vingt-trois ans à la tête d'une église à Acapulco, cet ancien joyau touristique devenu l'une des villes les plus dangereuses du monde, avec 106 meurtres pour 100 000 habitants en  2017. " Au-delà des trafics vers les Etats-Unis, le tourisme a créé un -lucratif marché local de la drogue, que se disputent les cartels ", explique le curé, qui a monté un programme d'assistance aux victimes à Acapulco. Il faut dire que la plus célèbre baie du pays a perdu de sa superbe avec ses hôtels de 20 étages, ses embouteillages monstres et son taux de criminalité -impressionnant.
Dans les hauteurs, la -Confédération internationale d'organisations catholiques à but caritatif (Caritas) -accueille tout le monde, victimes et bourreaux. " Notre soutien est spirituel, juridique et psychologique ", prévient la sœur Maria Agustina Canul, qui a succédé au père Mendoza. A ses côtés, Judith Orozco, une sexagénaire au visage marqué par la douleur, évoque son calvaire : " Mon fils aîné a été kidnappé en  2013. Je ne l'ai jamais revu. Trois ans plus tard, j'ai reçu une photo de la tête coupée de mon second fils, qui cherchait son frère… " Ses plaintes sont restées sans réponse judiciaire." L'injustice et la solitude m'ont longtemps submergé, avant que je trouve une -lumière de réconfort auprès de Caritas. "
Cette histoire, et bien d'autres encore, ont fini par affecter la santé du père Mendoza, contraint de stopper sa mission pastorale à Acapulco avant d'être muté dans une -nouvelle paroisse en  2016. " Arrêter le bain de sang nécessite une chirurgie sociale lourde ", précise-t-il. Dans le Guerrero comme ailleurs, la plupart des morts ont moins de 30 ans. Le temps presse, s'alarme le prêtre : " Un pays sans une jeunesse saine est une nation sans avenir. "
Frédéric Saliba
© Le Monde

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