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samedi 12 mai 2018

Macron et Merkel orphelins de la relation transatlantique


12 mai 2018

Macron et Merkel orphelins de la relation transatlantique

Le président français a de nouveau exhorté la chancelière allemande à défendre la souveraineté du continent face aux choix de Trump

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LE CONTEXTE
Insistance
En septembre 2017 à la Sorbonne, Emmanuel Macron avait fait une longue liste de propositions pour relancer l'UE, en particulier la zone euro, sans pour l'instant que l'Allemagne d'Angela Merkel ait répondu franchement à sa main tendue. Berlin a déjà enterré son projet de superministre des finances et d'un Parlement de la zone euro, et reste sceptique à l'égard d'un budget consacré à l'union monétaire. " Mais réveillez-vous, la France a changé, elle n'est plus la même, elle a fait un choix dont je suis le dépositaire, celui des réformes ", a martelé le chef de l'Etat français, pour inciter Angela Merkel et son gouvernement à faire mouvement.
Le moment était propice : avec le retrait unilatéral des Etats-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien, l'immédiat regain de tensions entre Israël et l'Iran et le constat d'une relation transatlantique en lambeaux, il fallait d'urgence réaffirmer une volonté européenne. A Aix-la-Chapelle (Allemagne), Emmanuel Macron, qui recevait le prix Charlemagne, la plus prestigieuse récompense européenne, a plaidé, jeudi 10  mai, pour faire de l'Union " une puissance géopolitique et diplomatique ", sans hésiter à mettre Angela Merkel, présente à ses côtés, face à leurs responsabilités communes.
" Si nous acceptons que d'autres grandes puissances, y compris alliées (…), se mettent en situation de décider pour nous notre diplomatie, notre sécurité, parfois en nous faisant courir les pires risques, alors nous ne sommes plus souverains ", a déclaré le président, dans une allusion au dossier iranien. D'ordinaire plus mesurée sur les questions concernant l'avenir de l'Europe et les projets français, Angela Merkel a enchaîné, tenant ses propos les plus forts du jour : la politique étrangère européenne " n'en est encore qu'à ses débuts, car les conflits se jouent à nos portes et les Etats-Unis ne vont pas nous protéger, déclarait-elle. L'UE doit prendre son destin en main. Il s'agit d'une question de guerre ou de paix ".
" La règle de l'autre "Soulignant l'urgence à agir – " N'attendons pas, c'est maintenant ! " – et la défense des valeurs – " N'ayons pas peur de nos principes et ne nous trahissons pas " –, M.  Macron s'est permis d'exhorter l'Allemagne et ses dirigeants à " prendre des risques ", à ne " pas avoir peur " et à en finir avec ses " fétiches ". Le propos visait bien sûr les questions budgétaires et les excédents commerciaux – M.  Macron a continué de défendre son projet d'un budget de la zone euro, auquel Berlin s'oppose –, mais sans doute aussi l'ambition stratégique de l'Union.
Le président français a insisté sur une nécessaire prise de conscience face aux Etats-Unis de M.  Trump, tout en prônant le multilatéralisme. " Ne soyons pas faibles, ne subissons pas ", a-t-il lancé : " Accepterons-nous la règle de l'autre ou sa tyrannie ? Qui doit -décider de nos choix commerciaux, ceux qui nous menacent parce que les règles ne leur conviennent plus ? Nous avons fait le choix de construire la paix au Proche et au Moyen-Orient, d'autres puissances ont choisi de ne pas respecter leur parole. Devons-nous céder à la politique du pire ? "
Jeudi, M.  Macron s'est entretenu avec le président iranien Hassan Rohani. Selon l'Elysée, ils sont " convenus de poursuivre leur travail commun (…) en vue de la mise en œuvre continue de l'accord et de la préservation de la stabilité régionale "" Nous allons respecter l'accord et nous ferons tout pour que l'Iran se tienne à ses obligations ", a ajouté Mme  Merkel.
Pas de vrai plan BLes ministres des affaires étrangères français, allemand et britannique rencontreront, le 14  mai, leur homologue iranien Mohammad Javad Zarif. Il s'agira, souligne un diplomate bruxellois, de conforter le camp des réformateurs sans faire preuve de " complaisance ", alors que l'ayatollah Ali Khamenei, le Guide suprême, réclame des -garanties solides et " réelles " des Européens. " Faute d'accord, il pourrait ruiner définitivement le projet ", selon ce diplomate.
Pour l'instant, Téhéran se dit en tout cas hostile à la discussion de l'idée française d'un accord " plus large ", incluant son programme balistique, son rôle régional et ses engagements au-delà de 2025. Et M. Rohani a précisé que les intérêts de l'Iran devaient être " garantis " avec " des décisions claires et transparentes " en particulier sur la vente de pétrole, le transport, les relations bancaires, les investissements et les assurances.
A l'instar de la France qui martèle, avec son chef de la diplomatie, Jean-Yves Le Drian, que " l'accord n'est pas mort ", les Européens soutiennent qu'ils ont les moyens de satisfaire les demandes des Iraniens, soucieux d'engranger les résultats économiques liés à leur engagement de renoncer à la course au nucléaire. Paris, Berlin et Londres devront aussi trouver les moyens de préserver leurs entreprises qui commercent avec l'Iran des sanctions américaines. Ces discussions s'annoncent difficiles et leur issue, très incertaine.
Des firmes qui avaient commencé à investir en Iran dans les secteurs autorisés par l'accord – aéronautique, énergie, finance ou automobile – élaborent déjà des plans de retrait. N'ont-elles pas confiance dans les fermes déclarations des dirigeants politiques ? Ceux-ci semblent, en réalité, démunis. Ils avouent découvrir les implications concrètes, et juridiques, de la décision américaine, et ne possèdent pas de vrai plan B. Parce que, malgré leurs appréhensions, ils ne croyaient pas à un retrait aussi brutal de M. Trump, dont ils savent désormais qu'il est prêt à se mettre en marge de la légalité internationale et à bafouer une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, celle qui a entériné l'accord conclu à Vienne en  2015. " L'Europe affronte un choix crucial et historique et doit démontrer sa volonté politique de défendre ses intérêts sécuritaires au travers d'une diplomatie solide ", juge Ellie Geranmayeh, du European Council for Foreign relations. " En réalité, Trump nous aide plutôt à trouver une unité ", affirme un diplomate. Jusqu'à donner une impulsion à cette indépendance stratégique, gage de sécurité et d'un rôle véritable sur la scène mondiale ? Jusqu'à sortir certains dirigeants de leur frilosité ?
" La force du franco-allemand "Des deux côtés du Rhin, les diplomates ont l'habitude de dédramatiser les divergences entre Allemands et Français. Sur le commerce, l'économie mais aussi la défense, les " positions de départ de Berlin et de Paris sont souvent éloignées, mais on finit toujours par trouver un compromis, c'est ce qui fait la force du franco-allemand ", soulignent-ils. Pour l'heure, les compromis en discussion paraissent toutefois plus allemands que français, et pas forcément à la mesure de cette " perspective de trente ans " que M.  Macron dit vouloir -offrir aux citoyens.
Le chef de l'Etat sait qu'il ne pourra avancer seul, s'il entend du moins passer du champ de la parole à celui de l'action. Or, si elle a loué le " charme " et la " capacité " du président à enthousiasmer, la chancelière n'a offert aucune réelle ouverture, insistant seulement sur les priorités allemandes : les flux migratoires et la transformation numérique.
Le conflit ouvert avec Washington – qui pourrait bientôt s'aggraver à la faveur d'une éventuelle taxation de l'acier et de l'aluminium européens – la poussera-t-il à davantage d'audace ? Ou à accepter un nouvel affaiblissement européen aux conséquences désastreuses ?
Cécile Ducourtieux, et Jean-Pierre Stroobants
© Le Monde

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