Un cri du cœur. " Nous sommes le parti des congés payés, des conventions collectives, de l'Office du blé, mais aussi de l'abolition de la peine de mort et du mariage pour tous ! " Pour la première fois du week-end, les applaudissements retentissent. Ce 7 avril, au 78e congrès du Parti socialiste à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), les militants retrouvent enfin le sourire et acclament debout les mesures qui ont fait la fierté du passé socialiste.
A la tribune, ce n'est pas le nouveau premier secrétaire Olivier Faure mais, dans un cruel paradoxe, l'un des plus vieux militants du parti, Louis Mexandeau, ancien ministre de François Mitterrand, 86 ans.
" J'ai l'outrecuidance de ressentir une fierté inexprimable et de vous présenter toutes mes cartes ! ", lance
" la rock-star de la journée " – comme l'a surnommé Rachid Temal qui passe la main à M. Faure – en brandissant toutes ses cartes d'adhésion depuis le congrès fondateur d'Epinay auquel il était déjà intervenu, en 1971.
Dans la salle, les cadres du PS craignent le pire.
" J'ai tremblé, c'était Papy fait de la résistance !, se souvient le député Guillaume Garot.
Le congrès ne pouvait pas se faire sur la figure d'un passé révolu. " Stéphane Le Foll en profite pour aller fumer une cigarette.
" Oh ça va, Mexandeau, je connais par cœur ! ", grommelle l'ancien ministre qui a trop entendu les rengaines du vieux compagnon de route de François Mitterrand.
Car dès qu'il en a l'occasion, l'ex-ministre des Postes et télécommunication (1981-1986) et des anciens combattants (1991-1993) répète l'importance de l'histoire du parti.
" J'ai vu Mitterrand au zénith mais aussi au plus bas dans les son-dages, on s'en remettra ! ",insiste cet ancien professeur d'histoire auprès de Jean-Christophe Cambadélis, après les législatives de 2017.
" Courage Olivier, l'opiniâtreté paie toujours en politique ",répète-t-il au nouveau premier secrétaire en faisant référence à une lettre de Mitterrand, reçue après une défaite :
" Viendra un temps où vos efforts imposeront leurs résultats. "
" Forfaiture ! "
" Tu reverras la gauche au pouvoir ", lui a promis Olivier Faure en montant sur la scène d'Aubervilliers.
" Cela dépendra de ma santé et de la médecine ", philosophe un mois plus tard l'octogénaire cravaté en se baissant difficilement pour ouvrir le local de la fédération du Calvados qu'il a fondée en 1971 et dont il a toujours les clés. Député du Calvados pendant près de trente ans quand il n'était pas au gouvernement, mais aussi conseiller régional et général, quand
" l'air du temps était au -cumul des mandats ", " Mex ", comme on le surnomme à " Solférino ", a fait sienne la devise de Roger Salengro :
" Mon parti aura été toute ma vie et toute ma joie. " Parcourant les petites routes, n'hésitant pas après 21 heures à aller frapper à la porte d'une ferme encore allumée, Louis Mexandeau a passé sa vie en campagne.
Cette année encore, fermement opposé à la vente du siège de la rue de Solférino, acquis sous François Mitterrand, il distribue des tracts à ses camarades à l'entrée du bureau national :
" Forfaiture ! Même les communistes ont gardé leur siège ! Alors, hein ! De l'argent on en trouve ! ", peste l'octogénaire, chapeau noir et écharpe rouge, sa façon à lui
" de faire survivre " son ami "
François ".
" Mex est avant tout un militant ", résume Laurence Dumont, députée de la circonscription de Louis Mexandeau. Quand la jeune femme débarque à Bayeux pour être candidate aux législatives en 1997, " Loulou " lui prodigue ses conseils pour faire son trou :
" Quand un administré vient le voir pour le remercier d'un service rendu et qu'il ne s'en souvient évidemment pas, il répond la même phrase : “et c'était pas facile !” ", sourit la parlementaire normande qui jure n'avoir pas retenu la leçon.
En Haute-Savoie, où il passait ses vacances, l'ancien ministre courait les comices agricoles. Le député gaulliste local, Pierre Mazeaud, s'en serait plaint un jour auprès de l'ex-président de l'Assemblée nationale Louis Mermaz :
" Calmez votre Mexandeau, il est plus député que moi ! "" Mazeaud ne faisait pas son travail de député, défend aujourd'hui l'intéressé.
Il faut être présent dans la circonscription et ouvrir son courrier. Les élections sur Internet, cela ne marche qu'une fois. " Sans jamais utiliser d'ordinateur,
" un comble pour un ancien ministre des PTT ", se moque M. Mermaz, " Mex " ne rate rien de la vie politique.
" Emmanuel Macron est très habile, il a été élevé chez les jésuites, ce sont les spécialistes du “en même temps” ", décrypte-t-il.
Bien que situé à la gauche du parti – il a soutenu Benoît Hamon en 2017 –, il n'émet pas la moindre critique sur François Hollande. Mais il n'est pas tendre avec
" la polka des frondeurs et Manuel Valls qui n'a pas aidé ".
" Hollande est mon ami, il a manqué de fidèles ", regrette-t-il devant la photo de l'ex-président lui remettant la Légion d'honneur en 2013.
" Il n'était pas le moins turbulent des socialistes ", se souvient de son côté l'ex-chef de l'Etat qui évoque notamment les municipales de 2001.
Alors âgé de 70 ans et malgré quatre tentatives infructueuses (1977, 1983, 1989 et 1995) pour -reprendre la ville de Caen au maire UDF Jean-Marie Girault, " Guillaume le conquérant ", un autre des surnoms de " Mex ", s'obstine à vouloir être candidat.
" Le vieux lion doit céder sa place ", estime François Geindre, son adversaire au PS local. Après une rude bataille interne, François Hollande arbitre en faveur de " Mex ".
" Normal ", commente l'indéboulonnable au volant de sa voiture automatique, en accélérant aux feux orange.
" Je suis en infraction, comme souvent ", -s'excuse-t-il en percutant un trottoir. Récemment contrôlé dans un train alors qu'il n'avait pas payé son billet, la suppression de ce privilège d'ancien député lui ayant échappé, celui qui a lancé le Minitel en 1982 hausse les épaules :
" Tout se retrouve toujours sur Internet. "
Le retraité le plus actif du PS se consacre désormais à l'écriture et vit toujours dans le souvenir de François Mitterrand. L'été à Hossegor, avec son ami Louis Mermaz, au côté duquel il a préparé l'agrégation d'histoire en 1960, il lui arrivait de dormir dans une dépendance, au fond du jardin du futur président. Quand il évoque sa mort, la gorge de " Mex " se noue.
" Il a été héroïque jusqu'au bout ", salue celui qui a organisé l'hommage du 10 janvier 1996 à la Bastille. Il avait notamment sillonné tout Paris pour trouver une partition du
Temps des cerises pour Barbara Hendricks.
" Je lui ai envoyé la partition par télécopie. Le lendemain, elle l'a interprété de façon admirable, alors qu'elle ne connaissait pas cette chanson ! "
Régulièrement, ce bon vivant qui connaît plus d'une centaine de chansons par cœur entonne des airs, surtout grivois, souvenirs de ses années d'études à Lille. En pleine campagne présidentielle de 2017, installé à la buvette de l'Assemblée nationale, il reprend ainsi une célèbre chanson paillarde revisitée pour illustrer l'affaire Fillon :
" Ah Pénélope, va laver ton cul malpropre…
" Les députés présents éclatent de rire, sauf ceux de droite… qui rient jaune.
" Les jeunes boivent trop d'eau "Tous les vendredis ou presque, c'est d'ailleurs à la buvette de l'Assemblée que Louis Mexandeau retrouve " l'ancien monde ", les anciens députés Christian Bataille et François Loncle, 70 ans passés, pour déjeuner.
" Un jour, on a failli être virés parce que la buvette était réservée aux nouveaux députés ! ", se plaint l'ex-député qui fréquente ce lieu depuis quarante ans et se dit atterré par les coutumes du " nouveau monde ".
" Les jeunes boivent trop d'eau ! Ils ne seront pas réélus s'ils continuent à boire de la Badoit comme ça ", assure, le plus sérieusement du monde, ce grand amateur de vin, qui connaît
" aussi bien la carte électorale que celle des vignobles ",selon l'ancien maire de Caen, Philippe Duron.
Quand on interroge " Mex " sur la baisse du nombre de parlementaires, il lève les yeux au ciel, comme quand il croise une femme voilée.
" Je leur dis qu'il faut qu'elles se débarrassent de leur tenue d'esclavage mais elles me répondent : “M. Mexandeau, vous nous emmerdez” ! " Sans animosité, le vieux lion contemple l'ancien monde disparaître. Entre les réunions du PS local et de longs appels téléphoniques à ses amis, Louis Mermaz et Michel Charasse, celui qui est plusieurs fois grand-père prend du bon temps à Caen, dans son jardin couvert de pâquerettes et de violettes, autour d'un verre de blanc.
" Je suis heureux ", conclut-il en humant l'air du printemps, avant de citer l'un de ses amis du coin,
" un curé socialiste " :
" Je comprends que tu veuilles aller le plus tard possible au paradis, tu y es déjà… "
Astrid de Villaines
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