Un petit autocollant sur la porte d'entrée indique au visiteur qu'il est arrivé à destination : " Institut de formation politique " (IFP). Contrairement à certaines écoles privées qui affichent leur nom en grosses lettres pour mieux séduire le chaland, l'IFP mise sur la discrétion, comme pour ne pas déranger le voisinage dans ce quartier bourgeois qu'est le 16e arrondissement de Paris. Dans certains milieux, la réussite se vit à l'abri des regards.
Fondée en 2004, cette institution connaît un essor inédit depuis quelques années, au point d'inspirer l'ancienne députée frontiste Marion Maréchal-Le Pen, qui entend lancer sa propre
" académie de sciences politiques " à Lyon. Distincts, les deux projets ont en commun de vouloir former la jeunesse militante de droite et d'extrême droite, de lui offrir un cadre, un corpus idéologique, des références, des techniques de propagande, mais aussi de jeter des ponts entre les différentes sensibilités qui la composent, entre soldats d'une même bataille culturelle.
" Passage obligé "L'IFP
" est en train de devenir un passage obligé pour tout mec de droite un peu sérieux ", assure Charles de Meyer, cofondateur de la controversée association SOS Chrétiens d'Orient. Assistant parlementaire de l'ancien député d'extrême droite Jacques Bompard, puis de sa successeure à l'Assemblée nationale, Marie-France Lorho, ce proche de l'Action française a été tour à tour auditeur puis intervenant à l'école. Outre des militants du groupuscule maurrassien, on trouve parmi les dizaines d'élèves qui se succèdent dans les locaux, séminaire après séminaire, des représentants du parti Les Républicains, du Front national, de Debout la France, quelques identitaires, d'anciens participants de La Manif pour tous mais aussi des jeunes dépourvus de tout engagement partisan.
Les prétendants doivent être âgés de 18 à 30 ans et se plier à un processus de sélection. En 2017, l'école affirme avoir reçu 420 candidatures pour 180 places. Les formations se déroulent le week-end, en complément des études classiques.
" C'est un lieu de rencontre, où se prépare la relève. L'IFP ne s'est jamais mise au service de tel ou tel, ce qui rassure les cadres d'en haut ", note Charles de Meyer.
" C'est l'école des droites au sens large ", appuie le directeur de l'IFP, Alexandre Pesey.
A l'heure des balbutiements, il y a bientôt quinze ans, l'institution ne se voyait pourtant pas comme un laboratoire de la recomposition politique et de l'union des droites. Ses promoteurs tractaient plutôt à la sortie des écoles de commerce dans l'espoir d'attirer des jeunes désireux de porter haut le libéralisme économique, cet idéal célébré chez les Anglo-Saxons mais moins en cour en France.
Deux bonnes fées se sont penchées sur le berceau du nouveau-né : le groupe de pression Contribuables associés, qui lutte contre
" l'oppression fiscale ", et la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap), farouche lobbyiste en faveur de la baisse de la dépense publique. Le journal d'extrême droite
Les 4 Vérités a aussi apporté son soutien au projet. Trois entités qui s'avèrent de redoutables spécialistes de la levée de fonds auprès des particuliers, soit le gros des ressources de l'IFP. Une technique importée des Etats-Unis, notamment des sphères républicaines et libertariennes.
Militants plus structurésPar la grâce d'amitiés bien placées, les premiers séminaires se sont organisés au château de Vaux-le-Vicomte (Seine-et-Marne).
" Les promotions étaient assez différentes, peu de gens faisaient la synthèse. C'était soit des souverainistes, soit des libéraux, qui venaient avec leurs bouquins de Frédéric Bastiat - penseur libéral du XIXe siècle -
", se souvient le président de l'Union nationale -interuniversitaire (UNI, syndicat étudiant de droite), Olivier Vial, qui a participé comme intervenant aux travaux de l'IFP.
" Aujourd'hui, les militants ancrent davantage leur engagement sur une thématique en particulier que sur la fidélité à une famille de pensée, ajoute-t-il.
Ils se définissent comme étant de droite, mais se montrent préoccupés par la famille, l'immigration, l'islam… "
La Manif pour tous, qui a éveillé de nombreux jeunes conservateurs à l'engagement politique, à partir de 2013, a représenté un -virage important dans l'histoire de l'école.
" Nous sommes passés de 100 candidats par an à 300 ", affirme Alexandre Pesey. La
" crise migratoire " de 2015, dit-il, a aussi mobilisé tout un courant identitaire contre ce qu'il appelle
" le grand effacement ".
L'IFP est devenu depuis un laboratoire du " libéral-conservatisme " et draine des militants des grandes écoles de plus en plus structurés idéologiquement. On leur apprend à s'exprimer dans les médias, à mobiliser des réseaux, à s'outiller pour débattre. Les stars du combat identitaire et anti-islam Eric Zemmour et Philippe de Villiers sont accueillis à bras ouverts comme
" grands témoins ". Mais c'est la venue comme simple étudiante de l'ex-députée FN du Vaucluse Marion Maréchal-Le Pen, en 2015, qui braque vraiment les projecteurs sur l'école.
L'égérie de l'union des droites devient alors un argument promotionnel : des bannières sont créées avec son image, comme avec celles d'autres intervenants, tel le député du Loir-et-Cher Guillaume Peltier, vice-président de LR, venu en 2016. Lui ne partage pas l'objectif d'unir les droites, mais il assume de porter la bonne parole de son parti.
" J'y suis intervenu avec la fierté de mes convictions, avec la ferme intention de leur donner envie de s'engager chez LR, plaide-t-il aujourd'hui.
Cela ne me choque pas qu'on y retrouve des sensibilités différentes. Mon ambition, c'est d'aller recruter partout. " Invité lui aussi, le président des Républicains, Laurent Wauquiez, n'a pour l'heure jamais fait le déplacement, et ne devrait pas le faire, assure son entourage.
A sa manière, l'institution est venue pallier le déficit de structures dans les partis politiques pour former les cadres et militants. Les jeunes LR se dispersent en différents campus chaque année, et la direction du parti commence tout juste à lancer un projet d'école des cadres ; le FN, lui, n'a jamais vraiment investi ce chantier.
Très proche de LR, l'UNI – où le directeur de l'IFP, Alexandre Pesey, a milité – est plus avancée dans ce domaine, mais le syndicat étudiant a fortement incité ses troupes à toquer à la porte de l'IFP. Toujours avec la même logique : planter des graines pour le futur. Un ancien militant de La Manif pour tous veut croire que le temps joue en leur faveur :
" Nous en sommes à la deuxième étape, en floraison printanière. On voit les fleurs, pas encore les fruits. " Les jardiniers seront en tout cas à pied d'œuvre.
Olivier Faye
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