Attention, sujet explosif. Surtout pour la France, qui fut l'une des instigatrices de la politique agricole commune (PAC), il y a soixante ans, et en reste la première bénéficiaire de l'Union européenne (UE), avec un peu plus de 9 milliards d'euros versés par an sur la période 2014-2020.
Mercredi 2 mai, la Commission européenne a confirmé que, pour tenir compte du trou laissé par le Brexit dans le budget communautaire de la prochaine décennie (10 milliards d'euros annuels) et afin de financer les nouvelles priorités de l'UE (défense, numérique, migration), elle allait couper pour la première fois franchement dans les aides directes aux agriculteurs.
Au sein du budget pluriannuel 2021-2027, annoncé à 1 279 milliards d'euros, la PAC restera le premier poste de dépenses, mais diminuera de 5 % en euros courants, à 365 milliards d'euros, contre 408 milliards actuellement. Surtout, sa composante principale, les subventions, le reste étant du cofinancement allant au développement rural, passera en France à
50,03 milliards d'euros sur sept ans, soit une baisse de 3,9 %, comparée à l'enveloppe actuelle, courant jusqu'en 2020.
" Vu nos contraintes, cette diminution est raisonnable ", a osé le commissaire à l'agriculture, Phil Hogan, obligé d'assumer une baisse de 3,9 % des aides directes pour son pays, l'Irlande, l'un des plus agricoles de l'UE. Même régime sec pour les agriculteurs allemands, italiens ou grecs. L'est de l'Europe serait moins touché, continuant à bénéficier des politiques de rattrapage mises en place pour les Etats arrivés dans l'UE au début des années 2000. Les aides directes aux Polonais ne seraient rabotées que de 1 %.
C'est une mauvaise nouvelle pour les agriculteurs français, déjà durement frappés par la crise du lait et de l'élevage. La proposition de Bruxelles, qui doit encore être validée au Parlement de Strasbourg et adoptée à l'unanimité par les Etats membres, entraînerait une perte nette de revenus, les subventions en représentant une part substantielle. Elle pourrait même être plus forte : la Commission
" déguise son chiffre en oubliant le montant de l'inflation dans la valeur des aides ", affirme Luc Vernet, du groupe de réflexion Farm Europe, qui estime pour la France la baisse des subventions plus proche de 10 % sur 2021-2027.
" Inenvisageable "Le danger est grand pour Emmanuel Macron, s'il ne parvient pas à infléchir la position bruxelloise, d'être à nouveau taxé de président des " urbains ", faisant peu de cas des " territoires " ruraux, déjà largement tentés par le vote d'extrême droite. Signe de la nervosité française, la réaction officielle de Paris, mercredi, était très brutale. Une proposition qui entraînerait une baisse
" drastique, massive et aveugle " des subventions agricoles européennes est
" inenvisageable ", a dit le ministre de l'agriculture, Stéphane Travert.
" Nous allons batailler contre ", a renchéri le premier ministre Edouard Philippe. Au Parlement européen, l'attention des élus s'est aussi focalisée sur la PAC et les fonds structurels, autres grands perdants des réorientations stratégiques de l'Union.
Des réflexes défensifs qui irritent Jean-Claude Juncker, le président de la Commission :
" Je constate, avec une certaine tristesse, qu'on s'intéresse davantage aux anciennes politiques (PAC et cohésion) qu'aux nouvelles. Pourtant, tous les gouvernements réclament une meilleure protection des frontières extérieures, qu'on investisse dans la jeunesse, davantage dans la recherche et développement, etc. " Une façon de dire aux dirigeants de l'UE, dont M. Macron, qui a multiplié les propositions de réformes pour une Europe
" qui protège " davantage, qu'ils ne peuvent pas gagner sur tous les tableaux.
Afin de limiter la casse pour les exploitants les plus fragiles, Bruxelles a proposé que les coupes touchent en priorité les grandes exploitations, qui, jusqu'ici, ont bénéficié à plein des subventions. Les Etats devront réorienter leurs enveloppes d'aides européennes vers les petites et moyennes entités. Soit en plafonnant les aides à 60 000 euros par exploitation et par an, comme l'a suggéré M. Hogan. Soit en généralisant une dégressivité des aides au-delà d'un certain nombre d'hectares.
L'initiative, là aussi, est radicale : elle inquiète déjà en Allemagne ou au Danemark, des territoires à forte proportion de grandes exploitations. La bataille de la PAC commence tout juste, et elle s'annonce féroce.
Cécile Ducourtieux
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