L'Europe se dirige-t-elle tout droit vers une -confrontation lourde de conséquences entre Rome et Bruxelles ? Les voisins européens de l'Italie commencent à paniquer, tandis que la situation politique du pays commençait à peine à se clarifier, vendredi 18 mai. Les deux partis " antisystème " arrivés en tête aux récentes législatives, la Ligue et le Mouvement cinq étoiles (M5S), ont annoncé la veille qu'ils soumettraient lundi 21 mai leur programme au président Sergio Mattarella. Ils espèrent alors être en mesure de révéler l'identité du prochain président du Conseil – ni Matteo Salvini, ni Luigi Di Maio, leur chef de file, ne devraient occuper le poste.
Jeudi, à Sofia, lors d'un sommet européen informel consacré à l'origine aux Balkans, les dirigeants européens ont croisé – sans doute pour la dernière fois – le premier ministre sortant, Paolo Gentiloni, apprécié à Bruxelles pour son pragmatisme. Il a cherché à les rassurer, mais aussi à mettre en garde le futur gouvernement contre toute dérive eurosceptique.
" Si le pays sort des rails, les dégâts ne seront pas pour les technocrates de Bruxelles mais bien davantage pour les citoyens italiens ", a insisté le dirigeant social-démocrate.
Interrogé sur les projets de la probable future coalition, la première totalement " antisystème " à la tête d'un pays fondateur de l'Union, Emmanuel Macron a d'abord avancé qu'il
" faut accepter ce que les peuples décident ". Soulignant des forces
" disparates, hétérogènes et paradoxales ", en référence aux positions a priori divergentes du M5S et de la Ligue, le chef de l'Etat a ajouté que la France
" fera au mieux pour travailler avec - ses -
partenaires et amis ", faisant aussi remarquer que
" le présidentMattarella avait dit que le gouvernement italien devrait travailler avec l'Europe ".
La coalition italienne paraît d'autant plus incongrue, vue de Bruxelles, de Paris ou de Berlin, qu'elle s'affiche aux côtés de forces clairement eurosceptiques. Les 14 eurodéputés du M5S sont ralliés à la formation d'extrême droite Europe de la liberté et de la démocratie directe (EFDD), présidée par le héraut du Brexit, le -Britannique Nigel Farage. Quant aux cinq élus européens de la Ligue, ils sont associés au Front national (FN) français.
Le flou qui entoure le programme du prochain gouvernement n'arrange rien, même si les deux partis auraient renoncé à sortir de la zone euro et à la demande, jugée
" délirante " par plusieurs sources, d'un effacement de la dette publique italienne par la BCE à hauteur de 250 milliards d'euros.
Un nouveau " moment Syriza "En revanche, de très coûteux projets demeureraient, comme une
" flat tax ", un impôt sur le revenu ramené à 15 % et 20 %, ou un revenu universel de 780 euros par bénéficiaire – inscrit au programme du M5S. Ces promesses de campagne pourraient coûter entre 109 et 126 milliards d'euros, selon l'Observatoire italien des comptes publics. De quoi violer allégrement le pacte de stabilité et de croissance européen – dont la coalition demande la révision – et son plafond autorisé d'un déficit public de 3 % du produit intérieur brut (PIB) du pays. Pour 2018, le déficit italien est attendu par Bruxelles à 1,7 % de son PIB seulement, mais l'inquiétude porte surtout sur l'énorme dette publique, encore annoncée à 130,7 % du PIB pour 2018.
Certains vont même jusqu'à craindre un nouveau " moment Syriza ", en référence à la coalition de la gauche radicale grecque, dont Alexis Tsipras avait pris la tête au début 2015, défiant les règles de l'Union européenne (UE) pendant six mois, au point de mener son pays tout près d'une sortie de l'euro. A l'époque, l'action de la Banque centrale européenne, qui avait coupé le robinet des liquidités au pays, et celle de ses autres créanciers, avaient forcé Athènes à respecter les règles de l'UE.
Qu'en serait-il de l'Italie, troisième puissance économique de l'union monétaire ? Le reste de l'UE n'aurait tout simplement pas les moyens de la sauver si elle était trop chahutée par les marchés financiers. Ou de la faire " plier " aussi brutalement que la Grèce, sous perfusion de la zone euro et du FMI depuis 2010.
D'où les mises en garde récentes de divers responsables européens. Le ministre français de l'économie, Bruno Le Maire, a ainsi déclaré que
" les engagements - de l'Italie -
avec l'Europe devront être respectés ".
" L'Italie doit maintenir sa politique actuelle en réduisant progressivement le déficit et la dette ", a renchéri Valdis Dombrovskis, le vice-président de la Commission, chargé de l'euro. Bruxelles a déjà usé, depuis 2014, de toutes les flexibilités autorisées par le pacte de stabilité pour maintenir l'Italie sous surveillance, sans pour autant la sanctionner, au grand dam de l'Allemagne.
L'arrivée aux manettes à Rome de ces " nouveaux barbares ", comme le
Financial Timesqualifie la Ligue et le M5S, risque d'entraîner d'autres défis. L'attitude future de son pays à l'égard de questions internationales – le rôle de l'OTAN, la levée des sanctions européennes contre la Russie – est un sujet de préoccupation, a indiqué M. Gentiloni jeudi.
L'Italie, en première ligne depuis des années dans l'accueil des migrants, pourrait surtout bloquer la réforme des règles de Dublin pour l'accueil des réfugiés, en négociation depuis deux ans à Bruxelles. Le pays s'est longtemps plaint du manque de solidarité des autres Européens et Rome pourrait exiger ces fameux quotas de réfugiés que Budapest ou Varsovie refusent.
" L'inaction s'installe "L'avènement du gouvernement M5S-Ligue risque aussi d'être
" une pierre dans le jardin français ", souligne Yves Bertoncini, président du Mouvement européen, une association fédéraliste, en France. Les relations avec l'Italie, déjà compliquées, pourraient se détériorer encore si elle devait réclamer davantage de solidarité pour l'accueil des migrants arrivés en masse sur son territoire, alors que la France n'a recueilli que 635 réfugiés passés par la péninsule dans le cadre des relocalisations décidées à Bruxelles il y a deux ans et demi.
Les projets de M. Macron pour la zone euro risquent d'être définitivement compromis. L'Allemagne a déjà repoussé son idée d'un super-ministre des finances et d'un parlement pour l'union monétaire, et elle hésite aussi à accepter une ligne budgétaire pour l'eurozone. Une Italie réfractaire aux règles budgétaires refroidirait définitivement ses faibles ardeurs.
" Les populismes, les divisions, le sentiment anti-européen progressent quand l'inaction ou l'incapacité à faire s'installent ", a averti M. Macron, jeudi. Pour l'instant, le seul antidote à la perspective d'une confrontation entre Rome et Bruxelles, c'est
" de laisser - la Ligue et M5S -
se casser la figure ", affirme un membre du Parti populaire européen (droite conservatrice), la formation où siègent les élus berlusconiens de Forza Italia. En attendant, l'Europe risque de devoir bien accrocher sa ceinture.
Cécile Ducourtieux, et Jean-Pierre Stroobants
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