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lundi 14 mai 2018

Dialogue social : le choc des cultures entre PSA et Opel


13 mai 2018

Dialogue social : le choc des cultures entre PSA et Opel

La direction du groupe français et le syndicat allemand IG Metall sont en conflit depuis plusieurs semaines

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La méthode adoptée par Carlos Tavares compromet-elle l'avenir d'Opel ? Le conflit qui dure depuis plusieurs semaines entre la direction du groupe PSA et sa nouvelle filiale allemande, Opel, prend une tournure inquiétante. Entre les représentants du personnel, le syndicat IG Metall et la direction du groupe automobile français, l'incompréhension a atteint son paroxysme et illustre le gouffre entre deux cultures de dialogue social dans l'entreprise.
Le dirigeant portugais entend redresser Opel aussi vite qu'il l'a fait pour PSA : la marque à l'éclair, qui n'a pas gagné 1 euro depuis 1999, doit dégager une marge opérationnelle de 2  % d'ici à 2020, selon ses plans. Pour ce faire, PSA est parvenu à des compromis sur les salaires avec les employés de tous ses sites Opel-Vauxhall en Europe… sauf en Allemagne, le cœur de la marque. Là, PSA a dû accepter à contrecœur d'adopter la nouvelle convention collective négociée en février, qui a accordé 4,3 % d'augmentation pour tous les salariés de l'industrie.
Depuis, une épreuve de force est engagée entre la direction et le syndicat allemand pour obtenir des contreparties à ces hausses de salaire. Pour s'imposer, PSA et la direction d'Opel ont ouvert un généreux guichet de départs volontaires et entretiennent le flou sur l'activité à venir des trois sites du groupe en Allemagne : Rüssels-heim, Eisenach et Kaiserslautern (19 000 employé au total).
Au sein d'IG Metall et du Betriebsrat d'Opel (le conseil de représentation des salariés), cette façon de faire passe mal. Le plan de départs volontaires est jugé excessif. Ils arguent que la tradition de dialogue social outre-Rhin prévoit qu'une entreprise en difficulté économique puisse s'affranchir temporairement de certaines conditions prévues par une convention collective si la direction ouvre ses comptes et présente aux représentants des salariés un plan précis de sortie de crise. C'est le sens de l'accord de Pforzheim (Bade-Wurtemberg), scellé en février  2004 entre les fédérations d'employeurs et IG Metall pour s'adapter à la mondialisation.
Mais le syndicat estime ne pas avoir reçu de la direction d'Opel suffisamment d'éléments précis pour pouvoir négocier. " Jusqu'ici, PSA et Opel se sont accrochés au plan de redressement “Pace” - présenté en novembre  2017 - . Mais ce plan nous semble beaucoup trop général ", explique Michael Ebenau, d'IG Metall, au Monde" Opel et PSA n'ont pas encore précisé de façon convaincante quel modèle allait être produit sur quel site. Si nous concluons un accord où les salariés renoncent à une partie de leurs revenus, ou si tous les emplois ne sont pas maintenus, nous avons besoin de garanties pour l'avenir. "
Pas des " ennemis idéologiques "Conscient du malaise croissant entre PSA et les salariés d'Opel, Carlos Tavares tente depuis plusieurs jours de jouer la carte de l'apaisement. Jeudi 3  mai, il a reçu à Paris la presse allemande, en précisant qu'il était " prêt à mettre tous les documents sur la table ". Il a expliqué qu'il existait des plans d'investissement prêts pour les trois sites allemands, ajoutant cependant qu'" on pouvait présenter des tonnes de documents, mais qu'il ne fallait pas confondre transparence et management ". Difficile de mieux exprimer la méconnaissance du fonctionnement de la Mitbestimmung (cogestion) allemande, qui se pense justement comme un comanagement de l'entreprise.
En témoigne la réaction très claire du syndicat au lendemain de l'interview de Carlos Tavares. Dans un communiqué, IG Metall conteste " l'impression que de nouvelles négociations sur les rémunérations avec Opel sont sur le point de s'ouvrir ". Le syndicat déplore qu'il ne dispose ni d'une nouvelle offre ni de calendrier de négociation. " Même PSA doit comprendre que les plans pour les sites allemands ne peuvent être dictés unilatéralement, mais nécessitent impérativement de vraies négociations bilatérales pour arriver à un compromis ", écrit Wolfgang Schäfer-Klug, président du Betriebsrat d'Opel.
Officieusement, dans le camp français, on ne cache pas son agacement vis-à-vis des négociateurs allemands. On reproche même au Betriebsrat une approche " politique "du conflit. Ce qui hérisse IG Metall, lequel répète que PSA doit comprendre que les syndicats allemands ne sont pas des " ennemis idéologiques ", mais des acteurs " prêts à jouer le jeu ".
Faut-il un négociateur interculturel franco-allemand pour sauver Opel ? Côté français, le compromis conclu dimanche 6  mai par Siemens, qui prévoit de supprimer environ 3 500  emplois en Allemagne dans sa division turbines en grave difficulté, pourrait servir de preuve qu'il est possible de nouer des compromis avec IG Metall. Les Allemands, quant à eux, devraient sans doute examiner de plus près les sacrifices -consentis par les salariés de PSA en  2012 pour sauver le groupe.Jeudi 10  mai, dans les colonnes du quotidien Handelsblatt, le directeur d'Opel, Michael Lohscheller, s'est efforcé de rester optimiste quant à l'issue du conflit, sans dissimuler la gravité de la situation.
Pour Opel, le temps presse : selon une étude publiée jeudi 10  mai par le Centre de recherche automobile (CAR) de l'université de Duisbourg-Essen, la part de marché de la marque en Allemagne a encore reculé au premier trimestre 2018, à 6, 5  %. Son plus bas niveau depuis les années 1950.
Cécile Boutelet
© Le Monde

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