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jeudi 8 février 2018

Travailleurs détachés : la Cour de Luxembourg fait " tomber un dogme "


8 février 2018

Travailleurs détachés : la Cour de Luxembourg fait " tomber un dogme "

Le certificat de détachement remis par le pays d'envoi pourra être écarté en cas de fraude

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C'est une décision qui écorne la thèse selon laquelle Europe rime nécessairement avec moins-disant social. Mardi 6  février, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a estimé que le certificat remis à un travailleur détaché pouvait être écarté, en cas de fraude, par une juridiction du pays accueillant ce même salarié. Il s'agit d'une première, dont se félicite le ministère du travail français. Elle peut avoir un impact, en matière de lutte contre le travail illégal et de recouvrement de cotisations sociales, mais sa portée reste, à ce stade, malaisée à cerner.
Au cœur de l'arrêt rendu mardi, il y a donc le certificat de détachement : le salarié envoyé pour une mission à l'étranger se voit octroyer ce document par les autorités du pays où est implantée son entreprise ; le formulaire prouve qu'il est affilié à la Sécurité sociale de son Etat d'origine et que c'est à elle qu'il paiera ses cotisations, et non pas à celle du pays d'accueil.
La décision de la CJUE résulte d'une procédure pénale contre une entreprise de construction belge qui avait fait appel à des salariés détachés par des sociétés bulgares. Une enquête, conduite par un juge d'instruction belge, avait démontré que celles-ci n'exerçaient aucune activité significative en Bulgarie ; dès lors, elles n'avaient pas le droit de détacher de la main-d'œuvre dans un pays tiers. Elles avaient néanmoins obtenu des autorités bulgares que soit délivré à leurs personnels un certificat de détachement, ce qui permettait de les faire travailler en Belgique tout en les affiliant à la Sécurité sociale bulgare. L'inspection sociale belge avait demandé à la Bulgarie de retirer ces certificats. Requête infructueuse.
" Une vraie inflexion "Parallèlement, les dirigeants de l'entreprise de construction, poursuivis par la justice pénale belge, avaient été condamnés en appel : les magistrats avaient considéré que les certificats de détachement ne s'appliquaient pas car ils avaient été obtenus frauduleusement. Saisie de l'affaire, la Cour de cassation du royaume avait, avant de se prononcer, préféré demander l'avis de la CJUE, en lui posant la " question préjudicielle " suivante : un juge du pays d'accueil peut-il " écarter " le certificat si celui-ci a été remis frauduleusement ?
La réponse n'était pas évidente car les règles de l'Union européenne prévoient que ce document est présumé régulier et qu'il s'impose, par conséquent, aux autorités de l'Etat d'accueil. Si -celles-ci veulent le remettre en question, elles doivent engager un dialogue avec le pays d'envoi, lui seul pouvant décider le retrait du formulaire incriminé.
La CJUE a jugé, mardi, qu'il pouvait en aller différemment, dès l'instant où il y a fraude et où le pays d'envoi n'en tient pas compte alors même que le pays d'accueil lui a signalé les manœuvres irrégulières.
Pour Jean-Philippe Lhernould, professeur de droit à l'université de Poitiers, cette décision " correspond à une vraie inflexion de la jurisprudence de la CJUE car elle fait tomber un dogme "" Jusqu'à présent, poursuit-il, le juge du pays d'accueil n'avait pas la possibilité d'écarter un certificat de détachement. "
L'arrêt rendu mardi " ouvre des perspectives très favorables à l'aboutissement de - certaines - procédures engagées pour travail dissimulé ", réagit-on dans l'entourage de la ministre du travail, Muriel Pénicaud. " La décision de la CJUE apporte des précisions importantes pour des dossiers, portés devant des juridictions françaises, dans lesquels sont mises en cause des compagnies aériennes low cost, qui ont rattaché leurs personnels navigants - à la - Sécurité sociale des pays d'envoi, abonde Etienne Pataut, professeur de droit à la Sorbonne. L'arrêt de mardi donne aussi une marche à suivre pour les services des Urssaf qui veulent recouvrer des cotisations. "
M. Lhernould, lui, se montre prudent sur " les incidences pratiques " de la décision de la CJUE : -elles " sont difficiles à évaluer car plusieurs conditions doivent être remplies pour que la justice du pays d'accueil ne s'estime pas liée par le certificat "" Il faut notamment établir des éléments de fraude, ce qui implique de mettre en évidence des éléments objectifs mais aussi subjectifs – c'est-à-dire l'intention de se soustraire au paiement de -cotisations sociales du pays de détachement ", souligne-t-il. En d'autres termes, les contentieux ne sont pas près de se tarir.
Bertrand Bissuel
© Le Monde

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