Translate

samedi 3 février 2018

Souâd Ayada, une philosophe au conservatisme assumé


3 février 2018

Souâd Ayada, une philosophe au conservatisme assumé

La nouvelle présidente du Conseil des programmes vit une période mouvementée

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
De l'école, Souâd Ayada garde un bon souvenir. Elle parlera peu de sa vie privée, si ce n'est pour dire que, pour elle, " aller à l'école, grandir, vivre, c'était une seule et même chose ". Cette fille d'ouvrier au parcours exemplaire, agrégée de philosophie, doyenne de l'inspection générale dans cette discipline, a été nommée présidente du Conseil supérieur des programmes (CSP) par le ministre de l'éducation, Jean-Michel Blanquer, le 23  novembre 2017, après le départ fracassant du géographe Michel Lussault.
Deux mois après son arrivée, nouvelle démission, celle de Sylvie Plane, le 26  janvier. L'universitaire était vice-présidente du CSP et membre du conseil depuis sa création, en  2013. Y a-t-il une crise au CSP ? " Cette instance a pris l'habitude de médiatiser ses démissions, répond posément Souâd Ayada. Je me sens parfaitement à ma place. "
Souriante, un brin crispée, la présidente du CSP aime prendre le temps de choisir ses mots pour parler de ses nouvelles attributions, dans son petit bureau sans charme de la rue de Grenelle. " Le CSP propose des programmes. Il revient à l'autorité politique de décider de les retenir et de les diffuser. C'est là un signe clair de l'indépendance du CSP ", rappelle-t-elle, lorsqu'on évoque les craintes ceux qui ont claqué la porte de l'instance qu'elle dirige.
Spécialiste de spiritualité islamique, Souâd Ayada est philosophe et pas théologienne, distinction à laquelle elle tient. L'idéalisme allemand est au cœur de sa formation philosophique, et c'est par le biais des textes de Hegel qu'elle a d'abord appréhendé les " systèmes métaphysiques " de l'islam. Sa connaissance du sujet trouve néanmoins écho dans le chantier de refonte de l'enseignement du fait religieux.
Le 24  janvier, devant la commission des affaires sociales de -l'Assemblée nationale, elle n'hésite pas à critiquer des manuels scolaires qui, sur le chapitre de l'islam, ne répondent pas " aux exigences de l'histoire critique "." C'est un enseignement qui manque de rigueur, confirme-t-elle. Or, tout enseignement, fût-il du fait religieux, doit être un enseignement critique. Il faut, par ailleurs, toujours se soucier de la vérité historique quand on parle des religions. " Isolée en vidéo, cette séquence à l'Assemblée a rapidement été reprise par des comptes YouTube d'extrême droite.
" Revenir aux fondamentaux "Le choix de cette spécialiste de la philosophie en terre d'islam était-il iconoclaste, comme on a pu le lire ? Pourtant, nul n'offre de gage de fidélité aussi solide que l'inspection générale, ce vivier de hauts fonctionnaires loyaux dans lequel on puise bien souvent, après une alternance, pour peupler les cabinets et mener des missions.Seulement voilà, Souâd Ayada est " issue de l'immigration ", comme certains journaux aiment à le rappeler,en n'oubliant pas de la comparer avec l'ancienne ministre de l'éducation, Najat Vallaud-Belkacem, née comme elle au Maroc.
De son côté, elle s'amuserait plutôt de voir que l'on peut lui prêter à ce titre quelque dessein secret. " Mais vous savez, les fantasmes existent dans les deux sens ", précise-t-elle. Souâd Ayada ne fréquente pas les réseaux sociaux, mais on lui a rapporté quelques propos : " Il y a ceux qui craignaient que je mette l'islam partout. Certains aussi ont imaginé que, étant née dans cette aire culturelle, j'allais pouvoir défendre une religion, ou une culture. "
On ne saura jamais si la carte " diversité " a joué ou non.Souâd Ayada a été choisie pour son " goût de l'excellence pour tous ", indique l'entourage de M. Blanquer. Ministre avec lequel elle n'est d'ailleurs pas intime. Souâd Ayada l'a rencontré alors qu'il était recteur de Créteil et elle professeure de philosophie dans l'académie. S'estimant victime d'une injustice administrative, elle lui écrit, il la reçoit. Cela fait une dizaine d'années qu'ils se connaissent, " mais je n'ai pas de relations amicales avec lui, je n'ai pas son numéro de portable ".
Comme le ministre, Souâd Ayada revendique un attachement à " l'esprit des Lumières "et une vision " de bon sens " de l'école. Elle évoque la nécessité de clarifier les programmes scolaires afin de permettre de " revenir aux fondamentaux ", cette obsession de la mandature Blanquer. Les exemples ont afflué dans la presse ces derniers jours, où Souâd Ayada a évoqué les tables de multiplication dont on ne sait plus bien s'il faut les apprendre par cœur.
" Nous essaierons de formuler les choses de manière claire et lisible, nuance-t-elle, en prenant l'exemple de la grammaire en primaire. On peut dire plus explicitement qu'il faut faire de l'analyse grammaticale systématique, en s'appuyant sur une terminologie claire et accessible pour tous, y compris pour les parents. " Le prédicat et autres mots barbares de l'ère précédente pourraient donc disparaître. Michel Lussault, qualifié parfois de " pédago ", aura donc été remplacé par un profil plus conservateur. Souâd Ayada a récemment assumé ce terme dans la presse, et confirme qu'une forme de conservatisme va, pour elle, de pair avec l'école : " J'estime que, dans tout acte de transmission, il s'agit de conserver et de transmettre le passé. "
Du temps de l'inspection générale, son classicisme lui a valu d'être très appréciée des professeurs de sa discipline, la philosophie. Souâd Ayada défendait une vision traditionnelle de l'enseignement, avec le programme par notions (" le désir ", " l'inconscient ", etc.) et l'exercice de la dissertation. D'autres chapelles de l'inspection générale préféraient une approche du programme par les textes et l'histoire des idées.Un enseignant se souvient d'une inspectrice à la personnalité forte, " courageuse " et parfois isolée dans la défense de ses principes.
Appréciée chez les profs pour sa connaissance du terrain, Souâd Ayada faisait figure de spécialiste lors de son arrivée au CSP. " Elle a une spécialité et elle se hasarde rarement au-delà, fait remarquer un membre du CSP. Ce qui est plutôt un gage de sérieux. " Lors de l'audition devant la commission de -l'Assemblée le 24  janvier, les membres du conseil se sont inquiétés en la voyant évoquer les programmes de primaire et de collège, qu'elle maîtrise moins, au risque de commettre des imprécisions.
Le caractère explosif du sujet des programmes, la présidente en est bien consciente : " La question des programmes est brûlante en France parce qu'elle est au confluent de deux ordres : celui du savoir et celui de la formation de la communauté politique. " Le CSP pourra-t-il continuer à jouer son rôle dans l'école de demain ? La semaine passée, les membres de la commission de l'Assemblée ont souhaité " bonne chance " à Souâd Ayada, comme au soldat qui devra bientôt s'aventurer hors de la tranchée. " C'est une charge difficile. En France, les passions politiques sont des passions scolaires, car l'école a son destin lié à celui de la République. " A fortiori aujourd'hui, après plusieurs" dizaines d'années de perte de confiance " en l'école, -insiste-t-elle.
Violaine Morin
© Le Monde



3 février 2018

Le rôle et la composition du Conseil des programmes en question

La démission de la vice-présidente du CSP et la création en parallèle d'un Conseil scientifique de l'éducation relancent le débat

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Certains parlent d'un " changement de cap " au sein du Conseil supérieur des programmes (CSP). D'autres s'interrogent sur le rôle de l'instance, son devenir… Jeudi 1er févrierau soir, à l'issue d'une réunion jugée " conclusive " en interne, les membres du CSP ont semblé souffler. Pas de démission en cascade – en tout cas, pas ce jour-là –, après celle révélée, la veille dans Le Point, de Sylvie Plane, vice-présidente de ce conseil créé par la gauche, il y a bientôt cinq ans, pour tenter de rendre plus transparente la fabrique des programmes scolaires.
Des polémiques, le CSP en a connu – sur les programmes d'histoire ou la notion grammaticale de prédicat, pour n'en citer que quelques-unes. Des démissions également : ses deux premiers présidents ont claqué la porte, Alain Boissinot en juin  2014, -Michel Lussault en novembre  2017. Les tensions internes ont aussi donné lieu à quelques départs retentissants – comme, à l'été 2015, celui de la députée (LR) Annie Genevard, partie en dénonçant, notamment, la " tutelle -ministérielle " de Najat Vallaud-Belkacem et de son cabinet.
Depuis, les protagonistes ont changé – à commencer par le locataire de la Rue de Grenelle et la majorité des membres du CSP –, mais l'épisode qui se joue aujourd'hui au sein de l'instance relance, dans le microcosme éducatif, les questions sur son indépendance, même si sa présidente fraîchement nommée, Souâd Ayada, dit " ne pas très bien les comprendre ". " Il faut voir la raison pour laquelle Sylvie Plane a choisi de démissionner, explique-t-elle. Elle souhaitait retrouver sa liberté de chercheur et de citoyenne sur des points auxquels elle était attachée (…). Je ne l'ai pas sommée de démissionner. "
Pas sommée, certes, mais pas retenue non plus, murmure-t-on dans des cercles bien informés, où les conditions du départ de Sylvie Plane, qui avait assuré l'" intérim " entre la démission de Michel Lussault, le 26  septembre 2017, et la nomination de Souâd Ayada, le 23  novembre, ont suscité une certaine émotion.
L'agrégée de grammaire, professeure émérite en sciences du langage, se serait vu reprocher deux articles, l'un, paru en décembre dans une revue de linguistique, sur le prédicat – notion qu'elle a toujours défendue – ; l'autre, le 15  janvier dans Libération,sur la place du passé simple dans les programmes. A-t-elle outrepassé une forme de " devoir de réserve ", guère formalisé jusqu'à présent, en s'exprimant sur ces sujets polémiques ? Cela lui aurait en tout cas été reproché.
" Instance de réflexion "" On ne parvient pas, dans la durée, à stabiliser l'instance ", regrette un ancien membre. " Et pour cause, renchérit un membre actuel. C'est un objet hybride dont a accouché la loi Peillon - loi de refondation de l'école, en  2013 - ; un conseil pensé comme indépendant, mais en même temps au -service du politique. L'équilibre compliqué… "
Jean-Michel Blanquer s'est, d'ailleurs, laissé le temps de la réflexion avant de remettre le CSP au travail. " Avec le changement de mandature, durant près de six mois, on a été comme en suspens, sous observation ", glisse un membre. Une période durant laquelle le Conseil a connu un fort turnover : les six parlementaires qui y siègent – trois députés, trois sénateurs – ont été renouvelés. Parmi les dix personnalités qualifiées qui en font partie, le mathématicien Xavier Buff et l'astrophysicienne Catherine Cesarsky ont souhaité prendre la porte de sortie, pour des raisons professionnelles.
Dans l'entourage du ministre de l'éducation, on reconnaît qu'un " profond renouvellement " du CSP est en cours : " Souâd Ayada est en adéquation avec Jean-Michel Blanquer, elle va donner une direction différente sur certains points ", souligne la Rue de Grenelle, en faisant état d'une saisine par le ministère, à peine faite, sur la clarification des programmes des cycles 2, 3 et 4 (école élémentaire et collège), et notamment sur " la partie relative aux  fondamentaux ". Le travail relatif à la réforme du lycée ne devrait, lui, démarrer qu'après le 14  février, date à laquelle seront annoncées, en conseil des ministres, les grandes lignes de la réforme du baccalauréat.
Reste une question : que vaudront les travaux rendus ? " Nous sommes une instance de réflexion, de préconisation, pas d'ordonnance ", avance la députée (La République en marche) Cécile Rilhac, tout juste nommée. " Une instance parmi beaucoup d'autres ",murmure-t-on dans les rangs syndicaux, où l'on redoute que le CSP se retrouve " vidé "de ses missions. Voire clairement " satellisé ". Autour de lui gravitent de fait, aujourd'hui, bien d'autres missions et instances, à commencer par le Conseil scientifique de l'éducation nationale qui tenait, ce jeudi, sa première conférence.
Mattea Battaglia
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire