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mardi 27 février 2018

Les Crises.fr - Le « rapport Kremlin » du Trésor est perçu comme ciblant l’économie russe, par Gilbert Doctorow


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27
Fév
2018

Le « rapport Kremlin » du Trésor est perçu comme ciblant l’économie russe, par Gilbert Doctorow


Source : Gilbert Doctorow, Consortium News, 31-01-2018
Le Département du Trésor. a publié une liste de quelque 200 Russes susceptibles d’être sanctionnés, ce qui pourrait avoir un impact sur toute l’économie russe et exacerber encore davantage les tensions entre les États-Unis et la Russie, explique Gilbert Doctorow.
Par Gilbert Doctorow

Le 29 janvier a été considéré comme une sorte de « jour J » en Russie, avec des semaines d’anticipation et d’appréhension sur ce que beaucoup de Russes voyaient comme pouvant marquer un tournant critique vers le pire dans les relations avec les États-Unis. Les médias russes ont présenté leur couverture aux élites du pays, qui étaient sous l’épée de Damoclès des nouvelles sanctions américaines dont ils pourraient faire l’objet, mais aussi au grand public russe, qui a suivi l’affaire avec inquiétude, préoccupé par les effets des sanctions sur l’économie, leurs moyens de subsistance et leur niveau de vie.
Le document qui devait être publié le 29 janvier était le « Rapport Kremlin » du ministère des Finances, qui identifiait 210 fonctionnaires et milliardaires russes considérés comme faisant partie de l’élite dirigeante du président Vladimir Poutine. Le rapport, que l’administration Trump était tenue de déposer auprès du Congrès au plus tard le 29 en vertu de la loi intitulée Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act [CAATSA : loi sur les sanctions pour contrer les ennemis de l’Amérique, Ndt], pourrait permettre que ces « oligarques » fassent l’objet de sanctions.
La CAATSA a été adoptée à une écrasante majorité par le Congrès et promulguée par le président Trump le 2 août 2017, nonobstant le fait que la loi contredit directement son désir déclaré de normaliser les relations avec la Russie. Sa signature a été effectivement imposée, sachant que son éventuel droit de veto serait aussitôt contourné et que ses relations avec le Congrès s’en trouveraient aggravées à un moment où son gouvernement n’avait toujours pas de succès législatif à son actif.
Dans l’attente d’une nouvelle d’une grande importance pour la nation, les médias russes n’ont épargné aucun frais pour s’assurer que la couverture du Rapport Kremlin sur le terrain aux États-Unis au moment de la publication des rapports relatifs aux sanctions serait en phase avec le suspense dans leur pays. Rossiya-1, la chaîne d’État d’information russe la mieux cotée, a envoyé son principal présentateur d’émission-débat, Yevgeni Popov, à Washington pour diriger un groupe d’experts locaux qui ont pu bénéficier d’un temps de diffusion important chez eux.
Parmi les intervenants américains choisis pour parler du Rapport Kremlin, on trouve les commentateurs dignes de foi et bien connus Paul Sanders de The National Interest et David Filipov, jusqu à récemment chef du bureau de Moscou du Washington Post. Leur couverture en direct a commencé à la mi-journée à Moscou, ce qui s’avère être près de 20 heures avant la parution du rapport sur lequel on attendait leurs commentaires. Peu importe, les talk-shows s’attardent souvent sur les spéculations et le média n’a donc pas déçu.
En revanche, les médias américains et européens ont généralement réagi plus lentement et avec moins d’intérêt à la publication du Rapport Kremlin, la plus grande partie de la couverture n’apparaissant qu’après coup. Bien qu’une partie du retard puisse s’expliquer par l’heure de la publication du rapport juste avant minuit le 29 – et par le décalage horaire de six heures entre les États-Unis et l’Europe – les différences de couverture peuvent aussi s’expliquer par le degré de priorité accordé aux affaires russes par les différents acteurs des médias.
Quoi qu’il en soit, il faut savoir qu’en dépit de la parution à minuit, les journaux européens, The Financial Times (Royaume-Uni) et Le Monde, ont été au rendez-vous dans leurs éditions en ligne du matin avec une excellente couverture médiatique des reportages qui sont restés factuels et qu’ils n’ont que peu ou pas fait d’éditoriaux. Ils se distinguent ainsi des autres médias de la presse écrite grand public du continent qui n’ont eu aucune couverture, même au milieu de la journée ouvrable du 30. Je pense notamment à The Guardian (Royaume-Uni), Le Figaro (France), Die Zeit ou Frankfurter Allgemeine Zeitung (Allemagne).
Mardi matin, aux États-Unis, le Rapport Kremlin n’a fait l’objet d’aucune couverture dans la presse écrite grand public, y compris dans le New York Times et le Washington Post, en dépit du fait que ce rapport risque d’aggraver les tensions aux États-Unis.
C’est typique sur les développements majeurs concernant la Russie qui, d’une manière ou d’une autre, prennent un tour inattendu, comme ce fut certainement le cas avec le Rapport Kremlin, les comités de rédaction prennent leur temps, reniflent l’air pour voir dans quel sens souffle le vent, et seulement ensuite s’engagent dans une ligne éditoriale qui oriente leur couverture journalistique.
Ce n’est donc pas avant le milieu de l’après-midi que l’édition en ligne du New York Times a pris position sur le rapport. Et c’était une position équivoque et distante, nous disant que l’administration Trump avait publié un rapport qui avait réussi à offenser les deux parties en question : les Russes et les membres du Congrès américain, les deux parties s’opposant aux listes et à la façon dont elles avaient été établies.
Les médias électroniques américains ont été bien plus rapides et ont donné une couverture beaucoup plus large de la question. Sentant l’odeur du sang, aucun n’est entré dans la mêlée avec un plus grand enthousiasme que CNN, depuis longtemps la bête noire de l’administration Trump. Le journaliste de CNN et les experts invités se sont accordés sur le fait que le Président défiait la volonté du Congrès en ne prenant pas de sanctions immédiates contre la Russie pour la punir de son ingérence dans les élections présidentielles de 2016 et pour empêcher toute ingérence prolongée dans les élections de mi-mandat de 2018, comme l’en avait prévenu le directeur de la CIA Pompeo la veille.
Pendant ce temps, l’article en ligne de Bloomberg sur les sanctions était factuel même s’il était bref, alors que leur auteur, l’éditorialiste spécialisé dans les affaires russes, Leonid Bershidsky, sentait qu’il y avait un lézard dans la façon dont les listes de responsables, en particulier les « oligarques », avaient été dressées. En tant qu’ancien rédacteur en chef de l’édition russe de Forbes, l’émigré anti-Poutine Bershidsky, plutôt amer, utilisait son espace moins pour une analyse objective que pour se prononcer sur la façon dont les listes auraient dû être établies et sur la manière dont les sanctions auraient dû être imposées aujourd’hui.
Les préoccupations de la Russie au sujet de ce que l’administration Trump allait exactement sortir avaient été alimentées par les déclarations faites aux médias par plusieurs conseillers au projet de liste des sanctions, jouissant tous d’une réputation bien établie en tant qu’agents anti-Russie. Je fais référence aux auteurs d’un article intitulé How to identify the Kremlin Ruling Elite and its Agents. Criteria for the US Administration’s Kremlin Report [Comment identifier l’élite dirigeante russe et ses agents. Critères pour le Rapport Kremlin de l’administration américaine, NdT], publié par le Conseil de l’Atlantique le 13 novembre 2017.
Ces auteurs sont Anders Aslund, Daniel Fried, Andrei Illarianov et Andrei Piontkovsky. Le concept dont ils souhaitaient la réalisation était des révélations sur Poutine et ses « copains », attribuant leurs supposés gains illicites à la corruption et l’abus de pouvoir. Leur point de vue s’inspire directement des principes qui ont guidé les premières sanctions américaines contre la Russie, la loi Magnitsky de 2012. Dans les jours qui ont précédé le 29, la télévision russe a diffusé une courte vidéo de quelques uns des auteurs. L’un, Aslund, se vantait que les prochaines sanctions seraient « intelligentes », ciblées contre les malfaiteurs qui dirigent la Russie tout en ne faisant pas de mal à la population générale.
Pendant plus d’une semaine avant ce qu’ils ont appelé le « Jour du Jugement », les médias russes avaient mis en garde contre le fait que le Rapport Kremlin pouvait alourdir considérablement les sanctions. La semaine dernière, à Davos, Andrei Kostin, PDG de VTB Bank, l’une des plus grandes institutions financières publiques du pays, a dénoncé les nouvelles sanctions prévues comme étant une guerre économique ouverte, qui recevrait une réponse très ferme du Kremlin.
Dans ce contexte de menaces des néoconservateurs américains et de craintes et avertissements russes en réaction, l’ambassadeur des États-Unis à Moscou Jon Huntsman avait, entre-temps, fait des déclarations à la presse, insistant sur le fait que les sanctions ne constitueraient pas un sérieux obstacle aux relations, qu’il cherchait à dialoguer avec la Russie comme le faisait son homologue russe, l’ambassadeur de Russie à Washington, et qu’il subsistait des perspectives de coopération dans des domaines d’intérêt commun malgré les désaccords qui faisaient la une de l’actualité.
Nous devons donc, une fois de plus, nous demander quelle voix venant de Washington sur la politique russe fait autorité ? Qui a le dessus : le Congrès ou la Maison-Blanche ? Et au sein de l’administration, le Président ou son cabinet, et en particulier son Secrétaire d’État,qui est devenu au cours des derniers mois l’otage intellectuel des mêmes néoconservateurs qui ont dirigé la politique étrangère d’Obama et, avant cela, la politique étrangère de George W. Bush ?
Le rapport du Kremlin imposé par la loi américaine a été rendu public par le Trésor en même temps qu’une version secrète plus longue a été remise au Congrès. Le moment de la remise du rapport et surtout son contenu laissent à penser que l’administration Trump respectait à la lettre une loi à laquelle le Président s’était opposé, mais qu’il n’avait pas pu exercer son droit de veto en raison du soutien sans réserve qu’elle avait reçu de la législature.
Pourtant, l’administration a traîné des pieds et a présenté à la dernière minute un rapport qui aurait pu être rédigé en quelques heures si elle le souhaitait vraiment. Et la version publique du rapport lui-même est tellement absurde dans son contenu qu’elle ridiculise le Congrès qui l’a demandé.
En d’autres termes, comme l’ont commenté quelques Russes amusés de cet exercice cynique anti-russe, les auteurs du Rapport Kremlin, qui comptait plus de 200 Russes éligibles à de futures sanctions, n’ont fait que consulter l’annuaire téléphonique du cabinet des ministres, de l’administration présidentielle et des institutions para-étatiques russes et copier les noms des hauts fonctionnaires. Le seul haut fonctionnaire omis était Vladimir Poutine lui-même.
Quant aux « oligarques », ils étaient arbitrairement définis comme des personnes ayant un avoir net de plus d’un milliard de dollars, comme le montre le classement Forbes des 100 personnes les plus riches en Russie.
S’il y avait eu une quelconque révélation, la moindre saleté sur le gouvernement russe et les élites économiques dans la version secrète du rapport, on peut être sûr qu’à ce jour, il y aurait eu des fuites, étant donné le comportement passé des autorités américaines dans les opérations anti-russes. Rien n’est apparu jusqu’à présent.
Bien entendu, cela n’a pas empêché aujourd’hui les autorités russes de faire du battage au sujet du rapport sur les sanctions, lorsqu’elles étaient invitées, par les médias locaux et internationaux, à les commenter. Pour sa part, alors qu’il assistait à une réunion de campagne, Vladimir Poutine a expliqué son point de vue sur le Rapport Kremlin en répondant à une question de l’assemblée : pourquoi était-il le seul du gouvernement à ne pas figurer sur la liste des sanctions.
Poutine a déclaré que le rapport a cité des personnes exerçant une influence sur des secteurs entiers de l’économie et des couches de population, ce qui signifie, en un sens, que les listes de sanctions ont englobé l’ensemble de la nation russe,146 millions de personnes.
Il a noté que les choses auraient pu être pires, et qu’il aurait été prêt, si nécessaire, à couper tout lien avec les États-Unis. Néanmoins, il estime que la publication du rapport du Kremlin est un acte hostile qui ne ferait qu’aggraver la détérioration des relations avec les États-Unis. Pour le moment, a-t-il dit, il n’y aurait pas de contre-mesures russes, son gouvernement adoptant une attitude attentiste.
En effet, si le rapport du Kremlin n’a pas introduit de nouvelles sanctions personnelles et a identifié seulement ceux qui seraient les premiers à les subir si la situation justifiait un changement des sanctions, cette situation en elle-même est largement sous le contrôle des autorités américaines et de leurs intermédiaires en Ukraine, dans les pays baltes, en Syrie. Il est toujours possible qu’une erreur de calcul ou une provocation amènent une fois de plus l’opprobre sur la Fédération de Russie et conduisent à imposer rapidement des sanctions sévères qui ont été évitées jusqu’à présent.
Enfin, examinons le deuxième rapport présenté par l’administration Trump au Congrès en vertu de la loi CAATSA : le rapport sur l’opportunité de nouvelles sanctions sectorielles contre les entreprises russes.
Ce fut encore plus bref et sera certainement remis en question par les détracteurs de la Russie au Congrès. L’administration a indiqué que les sanctions sectorielles en cours à l’encontre du complexe industriel militaire russe et de ceux qui font des affaires avec lui en Russie et à l’étranger fonctionnent efficacement, de sorte qu’aucune autre mesure sectorielle n’est requise. Plus précisément, il a été affirmé que grâce aux sanctions mises en place, la Russie s’était vu refuser des ventes d’armes d’une valeur de plusieurs milliards de dollars.
Cette allégation peut être difficile à vérifier, mais le 29 janvier a également été la date d’entrée en vigueur de sanctions précédemment édictées à l’encontre d’entreprises du monde entier qui font des affaires avec des fabricants de matériels de défense et des entités de vente ou d’importation russes.
L’objectif ultime de ces sanctions est de s’attaquer aux ventes d’armes de la Russie à l’étranger, qui s’élevaient à plus de 14 milliards de dollars en 2017, ce qui en fait l’un des plus gros fournisseurs mondiaux. Les principaux clients pour les armes russes ont été l’Inde, la Chine, l’Algérie, le Vietnam, l’Irak et l’Égypte, comme l’a rapporté l’agence de presse RBC citant Jane’s pour 2016 [Jane’s Information Group (souvent désigné comme Jane’s) est une entreprise de renseignement de sources ouvertes sur les thèmes de la défense, la sécurité, les transports et la police, NdT]..
Théoriquement, les États-Unis peuvent sanctionner les entreprises qui violent cette interdiction de traiter avec le complexe industriel militaire russe en appliquant l’une ou l’autre de cinq sanctions différentes, notamment en limitant leur accès aux crédits des banques américaines, en interdisant les transactions en dollars ou en empêchant leurs responsables d’entrer aux États-Unis.
Toutefois, dans la pratique, ces ventes peuvent être transférées de sociétés privées à des ministères de la défense, et la faisabilité d’imposer des sanctions devient alors douteuse. Les efforts déployés récemment par les États-Unis pour persuader les autorités turques d’abandonner leur contrat de 2,5 milliards de dollars avec la Russie pour l’acquisition de son système de défense aérienne S-400 ont lamentablement échoué. Dans ces épreuves de force publiques visant à punir la Russie, les États-Unis s’exposent à l’échec et à l’humiliation.
En résumé, si les États-Unis décident un jour d’imposer des sanctions à l’ensemble du gouvernement russe, dont la liste figure dans le rapport du Kremlin du 29 janvier, cela créera une barrière qui sera rapidement brisée par une action cinétique, c’est-à-dire une guerre chaude avec la Russie.
S’ils mettent en œuvre les possibilités dont ils disposent théoriquement contre les secteurs industriels russes, et en particulier contre le complexe industriel militaire, ils risquent de subir des humiliations, car d’autres nations refusent de se laisser harceler. Pour les États-Unis, en ce qui concerne la Russie, le jeu des sanctions équivaut à une proposition de « pile, je gagne face, tu perds ».
Gilbert Doctorow est un analyste politique indépendant basé à Bruxelles
Source : Gilbert Doctorow, Consortium News, 31-01-2018
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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