Dans son rapport public annuel, publié mercredi 7 février, la Cour des Comptes livre son diagnostic sur la situation des finances publiques. Son premier président, Didier Migaud, rappelle au
Monde la nécessité de continuer à réduire le déficit, et appelle l'Etat à faire des choix dans ses missions de service public.
En matière de maîtrise des finances publiques, quel bilan tirez-vous du début de mandat d'Emmanuel Macron ?
Pour 2017, les éléments dont nous disposons confirment le diagnostic formulé au moment de l'audit remis fin juin au premier ministre. Cet audit avait mis en évidence des risques forts de dépassement des dépenses affectant la sincérité de la loi de finances pour 2017. L'accélération de la croissance a généré des ressources supplémentaires qui ont contribué à compenser cette sous-estimation.
Le déficit devrait être in fine proche de celui prévu par le gouvernement précédent
- 2,9 % au lieu de 2,7 % prévu par la loi de finances initiale 2017 - , mais ce ne sera pas du tout avec le même contenu. Il y a eu plus de recettes grâce à la croissance et, simultanément, plus de dépenses du fait des sous-budgétisations, en dépit des annulations de crédits et de mesures d'économies ciblées décidées à l'été
- baisses des APL, diminution des contrats aidés - .
En 2018, la France devrait pouvoir sortir de la procédure de déficit excessif, tout en restant proche des 3 % de déficit. La dépense devrait continuer de croître, à un rythme plus ralenti (+ 0,6 %) mais néanmoins pas assuré. L'amélioration de la conjoncture ne doit pas avoir un effet anesthésiant. Si la croissance réduit mécaniquement le déficit, elle ne règle pas la question de la maîtrise des dépenses et de leur efficacité.
Sur quels postes reposera le ralentissement de la dépense ?
Le gouvernement prévoit la poursuite de l'effort sur l'Assurance-maladie, et son accentuation sur les dépenses de l'Etat et des collectivités territoriales.
Pour freiner les dépenses des collectivités territoriales, le gouvernement a préféré la contractualisation (modulation à la hausse ou à la baisse sur trois ans autour d'un taux pivot de 1,2 %) plutôt que la baisse des dotations. Appréciez-vous ce changement ?
Cela constitue un pari. Si en 2018, les dépenses locales évoluent comme en 2017, et non comme prévu par le gouvernement, cela représenterait un écart de plus de 2 milliards d'euros. La politique de baisse des dotations a eu des effets incontestables en matière de réduction des dépenses de fonctionnement des collectivités, mais sa poursuite devenait problématique. La Cour elle-même avait invité à une concertation plus étroite entre l'Etat et les collectivités territoriales. La contractualisation la traduit.
Au-delà de 2018, la trajectoire des finances publiques définie par l'exécutif vous paraît-elle pertinente ?
Sur la durée, le gouvernement prévoit une nette amélioration, avec un déficit attendu à 0,3 point de PIB en 2022. Mais l'effort structurel
- hors conjoncture économique -annoncé pour réduire ce déficit reste faible, notamment en 2018 et 2019. Cette trajectoire repose, là aussi, sur un pari : que les excédents de la Sécurité sociale et des collectivités territoriales compenseront en partie les déficits persistants de l'Etat. De plus, elle retient des hypothèses de croissance constantes (+ 1,7 %) sur le quinquennat, voire en hausse (+ 1,8 %). Quand vous regardez les cycles économiques, c'est rare.
Plus fondamentalement, l'amélioration de la conjoncture économique a mécaniquement des effets positifs sur le déficit public. Mais la partie structurelle du déficit peut demeurer élevée et renvoie à la question de la maîtrise, de l'efficacité de la dépense publique. Le gouvernement dit en avoir conscience et donne le sentiment de vouloir s'en saisir.
Votre analyse diffère de celle de Bercy, qui estime que l'effort sur la dépense correspond à ce que réclame Bruxelles en matière structurelle…
Contrairement à la Commission européenne, qui est une instance politique et peut passer des compromis, la Cour des comptes est une juridiction, qui raisonne par rapport aux textes. Or, on est en deçà des règles européennes en termes d'efforts structurels. D'incontestables efforts ont été faits, mais tous les rapports de la Cour montrent que des marges existent encore. La France a bénéficié ces dernières années de deux phénomènes importants : des taux d'intérêt bas et la baisse des concours à l'Union européenne
- contribution au budget - . Ces éléments favorables risquent de ne plus jouer, voire de jouer en sens inverse.
Notre dette va continuer d'augmenter en 2018 alors que la dette de l'ensemble des pays de la zone euro baisse. Le sujet est d'autant plus aigu que la remontée des taux d'intérêt aura un effet mécanique sur le poids de la dette, cependant que les dépenses régaliennes (défense, sécurité, justice) sont appelées à augmenter. Notre situation reste donc vulnérable.
Dans l'absolu, la France va mieux que par le passé. En relatif, ce n'est pas le cas. Les autres pays ont fait des efforts de maîtrise des dépenses plus importants, et plus tôt. Voilà pourquoi le pilotage des finances publiques est particulièrement important dans les périodes de bonne conjoncture économique. C'est la fable de
La Cigale et de la Fourmi : les phases de croissance ne dispensent pas d'efforts sur la dépense, au contraire !
Mais, à la différence d'autres pays, nos prélèvements obligatoires comprennent aussi le financement de la protection sociale ou de l'éducation…
La France est effectivement l'un des pays où les prélèvements obligatoires et la dépense publique sont parmi les plus élevés en proportion du PIB. Mais, au-delà de ce constat chiffré, sur lequel la Cour ne porte pas de jugement a priori, il y a un problème plus profond qui constitue un " mal français " : les résultats de nos politiques publiques sont rarement à la hauteur des moyens qui y sont consacrés. C'est vrai dans le domaine de l'éducation, de la protection sociale, mais aussi du logement, des aides aux entreprises, de l'emploi, de la formation professionnelle…
A niveau de prélèvements donné, les citoyens peuvent-ils considérer qu'ils en ont pour leur argent ? En matière d'éducation, par exemple, la France dépense plus que ses voisins pour le lycée, mais moins pour le primaire, alors que c'est là que l'effort est déterminant. Des redéploiements devraient donc être possibles. En matière de santé, quand on raisonne en termes d'efficacité et de qualité des soins, on s'aperçoit qu'en Allemagne, par exemple, les médecins acceptent davantage de régulation et qu'ils ont en contrepartie des rémunérations plus élevées. Les assurés sociaux y sont davantage responsabilisés, notamment dans l'usage des médicaments génériques.
L'exécutif a présenté, le 1er février, les premières mesures d'une vaste réforme de la fonction publique. Avez-vous l'impression d'un changement d'état d'esprit ?
Les objectifs annoncés sont ambitieux mais la Cour ne peut s'arrêter aux intentions. Trop souvent, les résultats sont en décalage par rapport aux objectifs fixés ou au montant des crédits qui leur sont consacrés. Tout n'est pas qu'une question de moyens. L'organisation, le fonctionnement, la répartition des crédits sur le territoire, bref la gestion de ces moyens, ça compte aussi.
Il faut que l'Etat fasse des choix entre ses missions, qu'il clarifie les responsabilités entre les collectivités territoriales et lui, et entre les collectivités elles-mêmes. A force de vouloir être présent partout et de ne pas arbitrer, l'Etat finit parfois par ne plus remplir correctement ses missions essentielles.
Pourquoi ce raisonnement a-t-il tant de mal à prendre dans une partie de l'opinion ?
Cela évolue. Il faut faire preuve de pédagogie, car améliorer les résultats de l'action publique profite aux Français. L'enjeu, c'est de faire comprendre à nos concitoyens que l'intérêt général, ce n'est pas la somme des intérêts particuliers, ou qu'il est légitime de mettre fin à des effets d'aubaine.
Propos recueillis par, Patrick Roger, Et Audrey Tonnelier
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