Ironie de l'histoire : c'est au siège de la CFDT que se tiendra, mardi 24 octobre, une intersyndicale pour décider d'une manifestation unitaire contre les ordonnances sur la réforme du code du travail. La centrale de Laurent Berger, qui refuse toute mobilisation interprofessionnelle, assimilée à une " démonstration de faiblesse ", accueillera la CGT, FO, la CFTC, la CFE-CGC, l'UNSA, la FSU, Solidaires. Une réunion d'ores et déjà vouée à l'échec. Lors du conseil national de la CFDT, les 18 et 19 octobre, un responsable fédéral a répliqué aux militants pressés d'en découdre : " La CGT, c'est le Titanic. Qui a envie de monter sur le Titanic ? "
Pour rallier les autres syndicats, la CGT, embarquée dans une stratégie jusqu'au-boutiste pour le retrait des ordonnances, est très fragilisée. Depuis le début de cette contestation, son secrétaire général, Philippe Martinez, sait que des journées d'action à répétition ne lui permettront pas d'avoir gain de cause. En 2016, quatorze mobilisations pour le retrait de la loi El Khomri s'étaient soldées par un échec. En 2017, la centrale, qui a été détrônée par la CFDT de sa première place dans le secteur privé, a joué petit bras, ayant du mal à mobiliser très au-delà de son cercle militant. Jeudi 18 octobre, la " manif " de la CGT, accompagnée de Solidaires mais lâchée par la FSU, a fait un flop. Le ministère de l'intérieur a dénombré dans toute la France 37 700 manifestants – plus de trois fois moins que lors de la journée du 21 septembre –, la CGT se bornant à parler de
" dizaines de milliers " de participants, contre 500 000, selon ses chiffres, le 12 septembre.
La mayonnaise ne prend pas mais la CGT ne s'avoue pas vaincue, quitte à provoquer quelques troubles internes.
" Le refus de subir une dégradation - des -
droits au travail restetrèsfort ", n'a-t-elle pas hésité à proclamer le 18 octobre. Du coup, elle tente d'élargir les thèmes de protestation contre
" le programme libéral de Macron ", mais en même temps, elle proposera, le 24 octobre,
" une journée d'action interprofessionnelle en novembre pour liquider le contenu des ordonnances ". M. Martinez, qui a jugé le 20 octobre, que
" la division syndicale pèse fortement sur la mobilisation ", a envoyé le même jour un texte en ce sens à ses homologues. La CGT renoue ainsi avec ses mauvaises pratiques des années 1980 quand elle se voulait l'avant-garde du syndicalisme et invitait les autres syndicats à la rejoindre sur ses revendications à la date qu'elle choisissait. Elle tourne le dos au
" syndicalisme rassemblé " que Louis Viannet (secrétaire général entre 1992 et 1999)
avait tenté de mettre en musique, et qui consistait à rechercher les convergences sans soumettre ses éventuels alliés à ses exigences. Un concept que M. Martinez avait enterré au congrès de Marseille, en avril 2016.
Sur la réforme du code du travail, les dés étaient pipés à l'avance. Emmanuel Macron a habilement joué, notamment en modifiant son projet initial pour donner plus de place aux branches, réussissant à diviser les syndicats et à " neutraliser " la CFDT et surtout FO, laquelle avait bataillé derrière la CGT contre la loi El Khomri. Avant même le début de la concertation, M. Martinez avait programmé une journée d'action le 12 septembre. Les tentatives pour parvenir à une position commune, au moins sur les lignes blanches à ne pas franchir, n'ont pas manqué. Trois réunions secrètes des numéros un des cinq centrales représentatives ont eu lieu pendant l'été, deux à la CFDT et une à FO. Mais elles n'ont pas permis de construire un front syndical unitaire, contrairement à ce qui s'était passé en 2006 contre le contrat première embauche et en 2010 contre la réforme des retraites de Nicolas Sarkozy.
intervention tonitruanteLa CGT ne fera pas fléchir la CFDT dans son refus de manifester mais elle ne désespère pas de rallier FO. La " positive attitude " de Jean-Claude Mailly a été contestée par son " parlement ", le 29 septembre. Le secrétaire général de FO, qui n'en voulait pas, s'est vu imposer
" une mobilisation interprofessionnelle ", et non une grève générale, avant la ratification des ordonnances. Le but n'est pas d'obtenir le retrait global de la réforme, mais celui des
" mesures inacceptables ". M. Mailly n'a donc pas mandat pour défiler aux côtés de M. Martinez pour le
" retrait " du texte. Le président de la CFE-CGC, François Hommeril, s'est placé dans le camp du refus et s'est dit prêt à manifester s'il s'agit d'un
" mouvementunitaire ". Mais le 18 octobre, la présence de treize fédérations de la CFE-CGC dans les cortèges de la CGT est restée invisible…
L'intervention tonitruante de Jean-Luc Mélenchon dans le jeu syndical a peu de chances de favoriser l'unité. Le leader de La France insoumise avait demandé aux syndicats de
" prendre l'initiative ".
" De ce leadership, a-t-il écrit sur son blog le 16 octobre,
que sort-il ?Fort peu. Avrai dire, rien. " Le député craint donc
" une victoire de Macron par K.-O. ". Ces propos ont entraîné une vive réplique de M. Mailly.
" Faut arrêter, t'es quoi ?, a-t-il lancé le 17 octobre sur France 2.
Tu fais de la politique ou tu fais du syndicalisme ? "
" On n'a pas de leçon à recevoir de lui ou d'autres, a-t-il ajouté.
Il est dans un rôle politique, nous on fait du syndicalisme. "
Au diapason de la CFTC et de l'UNSA, M. Berger ne veut pas d'une manifestation unitaire. Pour le secrétaire général de la CFDT, la mobilisation doit avoir lieu dans les entreprises, pour
" faire en sorte qu'aucune - d'elles -
ne puisse s'exonérer vraiment du dialogue social ". Il suggère à l'intersyndicale de s'entendre sur des
" propositions communes " sur les réformes à venir (assurance-chômage, formation professionnelle). Mais, là aussi, une large unité syndicale risque d'être un leurre.
Michel Noblecourt
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