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mercredi 28 octobre 2015

Où va le POI ? - Discussion sur la crise du POI

Où va le POI ?
 Je découvre par hazard ce nouveau témoignage qui me semble assez pertinent concernant la crise que traverse le POI et bien d'autres mouvements au sein du mouvement ouvrier. Je partage en grande partie ce point de vue.   Car pour moi la construction du parti ouvrier indépendant devrait participer au regroupement des multiples forces disséminées en petit groupes et chapelles. 
Plus que jamais nous devons construire un parti fédéraliste  qui permette de regrouper les multiples courants et tendances qui trop souvent s'affrontent et se neutralisent.
BV


http://clubpolitiquebastille.org

Discussion sur la crise du POI

mardi 27 octobre 2015par Club Politique Bastille
La discussion qui se développe est très intéressante. La dégénérescence de l’OCI renvoie à l’histoire, aux orientations de toutes les organisations qui se sont réclamées, se réclament encore du trotskysme. Et au-delà le processus de décomposition s’inscrit dans une dislocation plus générale du mouvement ouvrier.
À propos de l’entrisme.
Je crois que certains camarades confondent l’entrisme et le travail de fraction. Mon témoignage.
Quelques mois après le congrès d’Epinay, Robert Pontillon m’informe que Mitterrand voudrait voir le secrétaire national de l’AJS. J’hésite. J’en parle à Lambert qui me donne l’ordre d’y aller estimant inutile d’en parler au BP à ce stade. À l’époque nos rapports sont excellents. Nous nous parlons tous les jours.
Je me retrouve chez Lipp avec le premier secrétaire du PS, toute canine dehors. Il ne s’est pas encore fait arranger sa dentition. Quand il sourit il me fait penser à Bourvil. Bref, il me félicite pour les progrès de l’AJS - le rassemblement du 1er février 70 l’a visiblement impressionné. Rappelons nous, à l’époque le PS, organisationnellement, c’est peu de chose. Et puis à un moment il m’explique que contre « les staliniens à l’extérieur et les petits bourgeois à l’intérieur » - c’est-à-dire le CERES - il n’aurait rien contre, si une partie des militants de l’AJS entrait au PS publiquement, « drapeau déployé », créant une tendance.
J’enregistre. Je lui dit que cet état de chose ne pourrait durer longtemps. Il est d’accord avec moi. Quand les divergences seraient trop fortes, dit-il vous partirez. J’ajoute, ou vous nous exclurez ! En riant il acquiesce. Je promets une réponse rapide. Je ne suis ni pour ni contre, je trouve ça intéressant (1).
Je fais un compte rendu au BP de l’OCI. L’affaire prend cinq minutes. Tous ceux qui interviennent jugent inutile de reprendre la stratégie suggérée par Trotsky à la veille du Front Populaire : entrer pour sortir plus fort ayant gagné des ouvriers socialistes. Lambert conclut la discussion : pas de travail de tendances.
Idem au BN de l’AJS.
Évidemment j’applique et transmet via Pontillon déçu, la réponse. Quelques mois plus tard, congrès de l’OCI. À l’ordre du jour le passage du « groupe à l’organisation ». Lambert n’a rien préparé et - il faut vérifier mais dans mon souvenir, les textes prévus n’existent pas…
Lambert fait le rapport et brusquement, brutalement, il attaque le camarade Charles qui était « prêt à céder à la bourgeoisie en acceptant la proposition de F. Mitterrand ». Je suis scié. J’avais cédé à la pression de la social-démocratie ! Évidemment des dizaines de délégués – je n’exagère pas – montent à la tribune pour expliquer que j’ai bien sûr tort, que l’époque n’est plus à l’entrisme, que nous pouvons construire le Parti Révolutionnaire sinon directement du moins grâce à la politique de la Ligue. J’ai beau protester ma « déviation » ne fait aucun doute.
Je suis en rage, déclare que je ne suis pas candidat au CC. Hélas Lambert propose une liste fermée donc je suis élu.
À la fin du congrès, réunion du CC. Lambert prend la parle sur le thème :
La discussion a été rude. La position de Charles combattu. C’est réglé. Nous sommes des révolutionnaires. Il n’y a plus de divergences, en avant toute ! Et puis brusquement : Charles voulait faire un travail de tendance. Ce n’est pas à l’ordre du jour, par contre il faut faire un travail de fraction. Les masses repasseront pas les organisations traditionnelles, donc par le PS. Nous allons faire entrer quelques dizaines de militants du PS. Ils rejoindront les tendances les plus intéressantes sur le terrain, deviendront des cadres, refusant tout mandat électif, s’occupant du parti et le jour de l’affrontement entre les masses et le gouvernement de Front Populaire, ils créeront une tendance qui rompra et convergera vers nous. Ce sera l’application de la stratégie de la Ligue Ouvrière Révolutionnaire. (2)
Le CC est stupéfait. J’éclate de rire. Jaune. Lambert ajoute : qui est le plus compétent pour mener à bien ce travail ? Charles bien sûr. Il vient de la social-démocratie et son savoir-faire le désigne etc…J’ai donc dirigé ce travail jusqu’en 1978. Il s’agissait effectivement d’un travail d’implantation secret. Une fraction. Rien à voir avec l’entrisme. Et ce travail a porté ses fruits. Jospin est entré sur cette ligne dans le PS. Il avait le talent et le profil pour grimper, vite, dans l’appareil. Mitterrand avait besoin d’un dirigeant pour résister au PC. Ça tombait bien. Il n’y a jamais eu d’accord entre Lambert et Mitterrand. Tout ça, c’est du baratin. Cette orientation a changé du tout au tout en mai 1981. La « ligne » était claire, limpide. Un militant pouvait accéder aux responsabilités exceptées celles qui l’obligent à appliquer la politique d’un gouvernement de Front Populaire ! En acceptant la proposition de F. Mitterrand de lui succéder Jospin a radicalement rompu avec cette orientation. Mais ce n’est pas lui qui a décidé ! Un BP extraordinaire s’est tenu. Il était présent. À l’initiative de Lambert le BP a voté à l’unanimité que Lionel devait accepter d’être 1er secrétaire ! Une trahison totale. Évidemment Stéphane Just a voté pour. Le travail de fraction devenait une activité d’espionnage politique…
Maintenant une remarque sur le rôle de Lambert dans la dégénérescence de l’OCI. Elle est bien sûr majeure. Mais ça ne s’est pas fait sur un jour mais sur plus de vingt ans ! Petit pas, par petit pas. Et Lambert politiquement, n’avait pas que des défauts. Au contraire il savait saisir le fil, exploiter les failles, agir dans le moment, manœuvrer. Et surtout véritable Janus capable d’être ultra orthodoxe et ultra opportuniste…en même temps. Lambert c’était le Guy Mollet du trotskysme. 
À tort, à raison, j’ai toujours été ami avec Stéphane. Quand il est mort j’ai écrit un article dans Carré Rouge pour rendre hommage au militant. De nombreux camarades, ont trouvé cet article malvenu. Je n’ai rien à y retirer. Chacun son opinion. Je lui ai rendu hommage mais je n’ai jamais oublié le rôle qu’il a joué aux côtés de Lambert. Pour faire court, disons que Stéphane Just était le bras armé de Lambert. Plus que son second. L’histoire d’un Stéphane Just, irréprochable dirigeant luttant contre l’opportunisme de Lambert est une fable !
Car la dégénérescence de l’OCI connaît un épisode quasi-historique que nombre de militants ont oublié ou pas connu : le 10 mai 1968.
Lorsque le cortège de la FER sortant d’un meeting arrive au carrefour Odéon – St-Michel les affrontements entre les milliers d’étudiants et la police sont déjà engagés. C’est l’affrontement de la jeunesse contre l’État bourgeois. La FER est respectée dans le milieu. Nous avons jusque là joué un rôle majeur. Sur le terrain en participant à toutes les mobilisations étudiantes et toujours, en mettant en avant la solidarité, le lien nécessaire entre les étudiants et la classe ouvrière. Et notre influence sur cette ligne et très importante : les dirigeants, les militants de la FER sont reconnus, appréciés.
Claude Chisserey est le plus talentueux d’entre tous. Avec Christian de Bresson, Georges, Jean, Didier, Nicole, Martin, Joëlle, les frères Serfati et beaucoup d’autres il est à l’origine de la FER. Ce n’est pas rien. Notre influence dans l’UNEF est considérable comparé à nos forces militantes.
Stéphane Just ce soir décide que nous n’avons rien à faire au Quartier Latin. Notre mot d’ordre « 500.000 travailleurs quartier latin » est aux antipodes de « l’affrontement gauchiste » qui oppose « quelques milliers d’étudiants aux forces de l’ordre ». Il faut partir. Appeler les étudiants à dissoudre la manifestation !
Il y a quatre membres du BP. Stéphane, De Massot, Xavier et Claude, moi je suis membre du CC. Les trois membres du BP s’alignent sur Just. Claude et moi sommes contre. Évidemment nous appliquons. En fait c’est Claude avec son incroyable courage qui, fort de son autorité appelle à quitter la manifestation. Il s’exprime avec d’autant plus de radicalité qu’il est contre cette politique : les petits bourgeois doivent cesser de faire du jardinage ! – il fait allusion au dépavage – et combattre pour la grève générale.
Le lendemain matin réunion de la direction. Il y a des centaines de blessés. Just est effondré mais maintient la Ligne. On a eu raison ! Lambert était resté au congrès FO de sa fédération ( !) durant 3 jours !
Ce jour, cet épisode, est une catastrophe politique qui va nous couper de dizaines, de centaines de milliers d’étudiants et jeunes travailleurs ! Et cette défaite pèsera lourd, pendant des années. Elle nous a marginalisé, coupé des luttes culturelles, du féminisme, de la lutte contre l’homophobie etc…Claude ne s’en remettra jamais. Ajoutons que c’est à ce moment que notre politique s’est « militarisée ». Nous combattions les staliniens qui nous agressaient. Nous avions raison mais nous avons étendu ce comportement contre l’extrême gauche dans son ensemble. Une folie ! Puis l’OCI a utilisé la violence contre les militants quand ils étaient en désaccord…
Tout le monde peut commettre une erreur. Il faut ensuite en discuter. Redresser.
Lambert, au nom de « l’unité de l’organisation », refusera d’ouvrir la discussion sur le 10 mai. Le congrès se tiendra en septembre analysant 1968 comme « un bloc » pour reprendre la formule de Clémenceau sur la Révolution Française. On centrera le débat sur la question gouvernementale mais pas un mot sur le 10 mai. La discussion n’aura jamais lieu ! Lambert sauve Stéphane Just qui jamais n’évoquera cet épisode lourd de conséquence dans ses écrits. Les héritiers de Stéphane, notamment les camarades qui pratiquent une sorte de culte de la personnalité devraient y réfléchir…
À partir de ce moment la discussion des désaccords ne se mènera que dans un cadre limité, la direction, jamais au-delà ! Et les divergences resteront au niveau du BP, voire au CC. Les militants n’en sauront jamais rien. Stéphane sauvera Lambert à chaque fois que nécessaire. C’est Tartemuche et Tartemolle. La fable selon laquelle Just a toujours veillé à contrer Lambert dans ses tendances opportunistes et largement surestimées. Stéphane a repris contact avec moi dès 1980. Il était démoralisé. Nous nous sommes vus, revus. Jusqu’à sa mort. J’ai toujours dit à Stéphane ce que j’écris ici. Il était gêné mais il ne protestait pas. Au contraire il m’expliquait qu’il avait probablement eu tort de ne pas aller jusqu’au bout dans l’affrontement avec Lambert.
Cela dit, je ne crois pas que l’origine de la dégénérescence puisse être seulement expliqué, par le rôle de Lambert ou du duo Lambert-Just. C’est plus compliqué. Plus profond. D’abord c’est une question internationale. Gerry, Healy, Posadas, Moreno, Lora, Canon etc… Le mouvement s’est construit comme une addition de sections nationales. Pas comme des sections d’un parti mondial de la Révolution en construction, en discussion. Non. Comme des organisations « nationales – trotskystes ». L’Internationale était simplement un plus. Chacun veillant à rester maître chez lui ! Et ces organisations bâties sur le principe du centralisme démocratique avaient des chefs inamovibles qui incarnaient cette politique nationale. C’est moins vrai pour le courant « pabliste » car avec la même méthode, il avait un fonctionnement réellement démocratique, menait une discussion publique internationale et nationale.
C’est, notamment à ces problèmes qu’il faut réfléchir. Le socialisme, la révolution, le parti révolutionnaire ?
Que signifient aujourd’hui ces objectifs, ces formulations ? (3) Bien sûr, il faut faire la clarté sur le passé, mais c’est à mon avis sur les problèmes de fond de la construction d’un éventuel parti révolutionnaire évidemment non léniniste qu’il faut réfléchir. En discutant sans anathème ni attaques ad hominem. Autant d’obstacles à une véritable discussion démocratique. Car à mes yeux, la démocratie, pour les militants comme pour les salariés, les citoyens est le concentré d’une alternative déterminante au système capitaliste.
Cette discussion vaut si nous voulons essayer de transmettre quelques chose à d’éventuels jeunes militants. Voilà pourquoi à mon avis, par exemple, les deux groupes issus de l’explosion du groupe Just, comme les camarades de La Commune devraient prendre leur place dans ce débat sans violence verbale, ni stigmatisation.
La crise du POI concerne au premier chef ses militants. Mais je crains qu’il n’en sorte pas grand chose. La plupart des militants, après les exclusions, la syndicalisation trade unioniste sont devenus des « lignards » prêts à tout justifier. Après plusieurs dizaines d’années de ce régime, difficile de changer. Par contre cette crise, après les autres, déblaye le terrain. C’est un échec qui marque la fin d’une époque. D’un cycle historique. Je souhaite la disparition de tous les groupes au profit d’un rassemblement : un souhait probablement utopique…
« Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » écrit René Char à la Libération, après les années passées dans la Résistance. Je paraphrase le poète : notre héritage n’est plus précédé d’aucun testament.
Trotsky incarnait la continuité avec l’Octobre victorieux, la lutte contre le « socialisme dans un seul pays », le stalinisme. Il avait rédigé le testament : le programme. Fondé la IVème. La victoire du stalinisme qui in fine a conduit à la destruction de l’URSS la réintroduction du capitalisme, mais également l’échec historique de la IVème Internationale ont brisé le fil de la continuité.
Ces lignes me vaudront d’être voué aux gémonies. Peu me chaut. Le fil qui nous liait à la révolution d’Octobre, au bolchevisme, a été rompu. C’était il y a un siècle. Il faut tout recommencer ! Ce n’est pas une mince affaire…
En cela, la crise de l’OCI rejoint celle de toutes les organisations du mouvement ouvrier.
J’ajouterai dans un autre domaine au moins aussi essentiel que celui qui est évoqué, que le texte « Écologie Sociale » du camarade Patrick est à bien des égards remarquable.
Quand nous avons créé le Club, Michel notamment avait insisté pour que jamais il ne devienne le lieu d’une quelconque lutte de pouvoir. Il avait totalement raison. Et c’est le cas. Voilà pourquoi c’est devenu un véritable lieu de rencontre, d’échange.
Continuons ce débat modeste mais ambitieux.
JK
(1) Évidemment avec le recul je pense que ça pouvait jouer un véritable rôle contre la politique du Front Populaire et la possible création d’une véritable tendance socialiste. Tout le monde connaît mon opportunisme…
(2) Si cette orientation avait été mise en œuvre il aurait été possible de cristalliser la réaction d’une grande partie des militants du PS au moment du débat sur l’école et de « l’ouverture de la parenthèse »…
(3) Dans « défense du marxisme, Trotsky évoque la guerre qui vient. La nécessité du socialisme. Des révolutions politiques et prolétariennes. Si par malheur dit le « vieux », la révolution ne l’emportait pas, il faudrait « tout recommencer » ! Trotsky ne répétait pas la messe.

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