FILM. Voyage au coeur d'un trou noir
Grâce à des modèles numériques basés sur les lois de la physique, ce documentaire coécrit par Alain Riazuelo décrit un voyage à la rencontre du trou noir, l'astre le plus mystérieux du cosmos.
Simulation d'un trou noir par l'astrophysicien Alain Riazuelo. Alain Riazuelo / IAP
"Trous noirs, les clés de l'Univers" : c'est le sujet de couverture de Sciences et Avenir 825, en vente le 29 octobre 2015, un numéro qui revient notamment sur les déclarations fracassantes de Stephen Hawking sur ce monstre cosmique qu'est le trou noir... Pour un auteur de science-fiction, décrire un voyage interstellaire en direction d’un trou noir relève de l’intuition. Après une écrasante accélération, bien calés dans notre vaisseau en titane, nous verrions les étoiles défiler à grande vitesse de part et d’autre du cockpit. Et puis soudain, il serait là, devant nous : un vaste trou noir semblable à un vortex, crachant peut-être des fontaines de matière azurée. Un tel voyage nous est presque familier. Et pourtant, il est contraire aux lois de la physique, comme le démontre Alain Riazuelo, astrophysicien à l’Institut d’astrophysique de Paris, dans une modélisation des plus décoiffantes, et présentée en intégralité sur le site de Sciences et Avenir (à voir ci-dessous) . Reprenons le voyage depuis le pas de tir. Notre objectif est d’atteindre Epsilon Eridani, une étoile un peu plus petite que notre Soleil, située à 10,4 années-lumière de nous. Cette étoile est devenue mythique dès 1960, lorsque Sir Francis Drake pointa le radiotélescope de Green Bank, en Virginie, à la recherche de signaux émis par une hypothétique civilisation extraterrestre. En vain. Fort de cette référence et des rumeurs littéraires qui font de cette étoile le lieu de naissance de Mister Spock, l’homme aux oreilles pointues de Star Trek, Alain Riazuelo y a niché un trou noir de type stellaire.
Imaginons qu’au 30e siècle nous disposions des technologies pour voyager jusqu'au trou noir
Ce cadavre extrême naît lorsqu’une étoile très massive (10 masses solaires et plus) arrive en fin de vie. A ce stade, l’énergie diffusée par la fusion nucléaire au cœur de l’étoile ne suffit plus à contrer la force gravitationnelle qui s’exerce en son sein. Les couches externes de l’étoile agonisantes sont alors expulsées dans l’espace par le souffle de son explosion en supernova, tandis que les couches internes s’effondrent sur elle-même. L’étoile implose, indéfiniment. L’objet qui en résulte est extrêmement massif et compact, exerçant autour de lui une force gravitationnelle sans égale : rien ne peut résister à son attraction, et les rayons lumineux eux-mêmes demeurent piégés à jamais. Si l’on espère atteindre Epsilon Eridani à l’échelle d’une vie humaine, il nous faut un vaisseau rapide, extrêmement rapide : en accélérant à 99% de la vitesse de la lumière, il nous faudra tout de même plus d’une décennie pour arriver à destination. Une telle accélération, hélas, nous pulvériserait, tant la force de gravité qui s’exercerait alors sur nos organismes serait écrasante. Et nul alliage de titane ne pourrait nous en préserver.
"ABERRATION". Néanmoins, imaginons qu’en ce trentième siècle nous disposions des technologies nécessaires pour voyager ainsi sans trépasser. Nous voici propulsés dans l’espace à une vitesse approchant les 70% de celle de la lumière. Loin de défiler de part et d’autre, les étoiles semblent venir de l’arrière : Antarès et Orion, qui sont à l’opposé de notre direction, apparaissent devant nous. Peu à peu, les rayons lumineux semblent se concentrer au centre de notre champ de vision en une flaque de lumière éblouissante. Nous sommes maintenant à 99% de la vitesse de la lumière et nous ne voyons plus rien. Cet effet inattendu est dû à un phénomène "d’aberration de la lumière", semblable à celui de la pluie sur le pare-brise d’une voiture. Lorsque celle-ci roule à grande vitesse, la direction apparente de la pluie bascule vers l’avant et nous avons l’impression que la pluie se précipite vers nous quasiment à l’horizontale. Peu à peu, toute la voûte céleste qui était dans notre dos semble passer devant excepté le point situé exactement dans notre dos.
C’est James Bradley qui a mis en évidence ce phénomène vers 1725. Tandis que l’astronome britannique traversait une rivière sur un voilier, il s’aperçut que la direction apparente du vent avait changé, un effet bien connu des navigateurs. Perplexe, Bradley se demanda si cet effet pouvait s’appliquer à la lumière. Après quelques mois d’observation de l’étoile gamma Draconis, il mit en évidence les variations de la position apparente de l’étoile. Le phénomène d’aberration a une conséquence déconcertante : alors que l’on accélère à des vitesses proches de celle de la lumière et que la lumière émise par tous les objets – même ceux situés derrière nous - se concentre dans la direction vers laquelle nous filons à toute allure, nous avons pourtant l’impression de reculer !
BÉTELGEUSE. Pendant cette prodigieuse accélération l’aspect même des étoiles s’est modifié. Les astres rouges, tels Bételgeuse, sont devenus oranges, jaunes puis d’un blanc éclatant. Les géantes bleues ont vu leur éclat décupler. Derrière nous en revanche, l’inverse s’est produit. Toutes les étoiles ont peu à peu rougi, leur luminosité a décru fortement puis elles se sont assombries jusqu’à ce que le ciel tout entier devienne noir. Ces deux phénomènes opposés sont dus à l’effet Doppler, qui engendre un décalage vers le rouge lorsque la lumière s’éloigne et un décalage vers le bleu tandis qu’on s’approche de sa source. De fait, entre l’émission d’une onde et sa réception, il peut se produire un décalage de fréquence lorsque la distance entre l'émetteur et le récepteur varie au cours du temps. Ce décalage des ondes lumineuses est similaire à celui, plus connu, des ondes acoustiques : le bruit d’une sirène de voiture de police devient de plus en plus aigu à mesure qu’elle s’approche de nous, puis devient plus grave en s’éloignant.
Dédoublement d’étoiles et images fantômes
Le trou noir est maintenant en vue, découpant son ombre sur un somptueux tapis d’étoiles. Notre vaisseau est installé sur une orbite circulaire, à distance respectable du monstre. Pour ne pas subir l’influence gravitationnelle de celui-ci, il nous faut en effet adapter la vitesse à l’altitude. Plus nous approchons du trou noir, plus il faut aller vite et dépenser une énergie de plus en plus phénoménale. Mais il y a une limite à ce jeu d’équilibriste, appelée "sphère des photons" : sur cette orbite, la vitesse de satellisation est égale à celle de la lumière, ce qui signifie que seuls les photons peuvent frôler le trou noir si près avec une chance d’en réchapper.
Autour de l’astre mort, cependant, se produisent d’étranges phénomènes optiques. Les étoiles se dédoublent de chaque côté, dansant autour de lui une ronde lumineuse. A distance, les objets apparaissent comme distordus. La traînée gazeuse de la Voie lactée elle-même s’arrondit et son double dessine une boucle sous le trou noir. Bientôt, notre Galaxie semble dessiner un anneau gazeux autour du trou noir. Tous ces mirages visuels sont dus à la déflexion des rayons lumineux. Prédit par Albert Einstein en 1915 dans le cadre de sa théorie de la gravitation, cet effet fut confirmé en 1919 lors d'une éclipse de Soleil, qui permit d’établir que les rayons lumineux qui rasaient le bord du Soleil était défléchis de 1,75 seconde d'angle. Ce phénomène devient bien plus important encore aux abords d’un trou noir. Un photon qui s’aventurait à proximité d’un trou noir serait comme happé par son extraordinaire force gravitationnelle. S’il ne dépasse pas la sphère des photons, il pourrait faire plusieurs orbites avant de repartir avec un angle différent. Pour l’observateur, c’est comme s’il y avait plusieurs sources de rayons lumineux. Ce détournement de lumière crée une infinité d’images fantômes à proximité du trou noir. Plus étonnant encore, les étoiles situées derrière nous peuvent être aperçues aux abords du trou noir, certains de leurs rayons ayant été déviés par le trou noir, qui sert alors de rétroviseur cosmique. Enfin, lorsqu’une étoile passe exactement derrière le trou noir, celui-ci agit à la manière d’une loupe, concentrant et détournant vers nous l’essentiel de sa lumière, ce qui décuple son éclat.
SPAGHETTI. Parti pour un voyage sans retour, notre vaisseau file maintenant droit devant, vers ce port obscur qui demeure d’un noir absolu. Si la femme élastique nous précédait dans cette descente infernale, ses pieds seraient d’abord attirés imperceptiblement vers l’astre mort, puis son corps s’allongerait jusqu’à lui donner la forme d’un long spaghetti. Il y a pourtant une frontière qui sépare la région où tout est encore possible de celle où notre destin sera définitivement scellé. Hélas ! Ce point de non retour n’est absolument pas repérable. A l’instar du nageur qui ne ressent rien au moment où il se fait happer par les courants qui vont l’emmener vers la chute d’eau, il ne se passe rien au moment où nous passons l’horizon du trou noir.
Peu à peu, la silhouette sombre du trou noir emplit le champ de vision, nous enveloppe, et nous avons l’impression que le ciel nous tombe sur la tête. Notre dernière vision avant de heurter le centre du trou noir, c’est celle d’un anneau extrêmement lumineux qui nous encercle de part et d’autre. Nous ne ressortirons pas du trou noir et ne pourrons jamais partager notre expérience, puisque aucune information de pourra ressortir. Notre seul espoir désormais relève de la science fiction : si les trous de ver existent, nous pourrons peut-être ressortir dans un autre Univers. Mais si la théorie n’interdit pas leur existence, leur existence demeure hautement improbable…
Trahi par ses voisins ! Par essence, les trous noirs sont invisibles, puisqu’ils n’émettent aucun rayonnement. Alors, peut-on être sûr qu’ils existent réellement ? Un moyen de les repérer, cependant, est d’interroger leurs voisins. C’est ce qu’a fait une équipe internationale menée par Rainer Schödel du Max Planck Institute à Garching, en Allemagne. Pendant 15 ans, les chercheurs ont guetté patiemment, les mouvements des nombreuses étoiles qui encombrent le centre de notre Galaxie. Cette foule dense, concentrée dans une petite région, était déjà le signe qu’il existait dans cette région une masse importante capable de lier gravitationnellement tout ce petit village stellaire. Année après année, les orbites d’une dizaine d’étoiles ont été reconstituées. Force a été de constater que ces étoiles tournent à grande vitesse autour de … rien. Et de surcroît, ce "rien" est extrêmement massif : environ 3,7 millions de masses solaires contenues dans une région pas plus grande que notre système solaire. Cet objet sombre ne peut être qu’un trou noir supermassif, baptisé Sagittarius A*, qui constitue le cœur de notre Voie lactée.
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