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31
Oct
2015
La Catalogne engage la rupture avec l’Espagne, par Romaric Godin
On y revient toujours : le vote ou les chars…
La Catalogne engage la rupture avec l’Espagne
Source : Romaric Godin, pour La Tribune, le 27 octobre 2015.
La majorité parlementaire catalane veut sortir de l’ordre constitutionnel espagnol. (Crédits : REUTERS/Albert Gea)
Dans une déclaration commune qui sera votée prochainement, les deux listes indépendantistes placent le parlement catalan hors de l’ordre constitutionnel espagnol. Le début d’un processus révolutionnaire.
Le bras de fer entre Madrid et Barcelone est lancé, cette fois sérieusement. Un mois après les élections régionales, ce 27 octobre 2015 a marqué un moment important de l’histoire de la Catalogne. A l’issue de discussions parfois serrées, ce mardi matin, les deux groupes parlementaires indépendantistes, la liste d’union Junts pel Sí (qui regroupe notamment le centre-droit de la CDC et le centre-gauche de l’ERC) et la gauche radicale sécessionniste de la CUP, ont annoncé la signature d’une déclaration commune en neuf points qui affirme clairement la volonté de rupture avec les institutions espagnoles.
Les forces du camp indépendantistes
Junts pel Sí et la CUP disposent à eux deux de 72 sièges, soit quatre de plus que la majorité absolue du parlement (68 sièges). Le 27 septembre, ces deux listes ont obtenu 47,8 % des voix de façon cumulée, soit moins que la majorité absolue. Mais la situation n’est pas si claire que le prétendent les « unionistes » dans la mesure où une partie de la liste de gauche radicale menée par Podemos ( Catalunya Sí Que Es Potou CSQEP, qui a obtenu 8,94 % des voix et 11 sièges) est formée d’indépendantistes. Lors de l’élection, lundi 26 octobre, à la présidence du parlement, l’indépendantiste Carme Forcadell a obtenu 5 voix issues de CSQEP. Cette liste, comme la liste des chrétiens-démocrates de l’UDC (2,51 % des voix, aucun siège), refusait certes formellement l’indépendance, mais était favorable à une consultation sur ce sujet. Bref, ces élections n’ont, en réalité, pas permis de trancher clairement.
Se séparer de l’Espagne
Aussi – et c’est le premier point de la déclaration commune – les deux listes indépendantistes estiment-elles que, par leur majorité parlementaire, elles ont « l’obligation de travailler à la création d’un Etat indépendant qui prendra la forme de la République catalane. » En conséquence, la déclaration commune proclame « solennellement l’ouverture d’unprocessus de création de l’Etat catalan sous la forme d’une république. » L’Etat espagnol est donc désormais clairement prévenu que le parlement catalan engage un processus de « déconnexion » avec l’Etat espagnol (point 7). Le point 5 prévient que le futur gouvernement catalan aura pour seule tâche de faire respecter ces décisions.
La déclaration prévoit que, dans les 30 prochains jours, le gouvernement devra avoir lancé un« processus constituant citoyen, participatif, ouvert et intégrateur » pour poser les bases de la future constitution catalane, mais aussi les fondements de la sécurité sociale et du budget purement catalans. Autrement dit, le gouvernement de Barcelone va commencer à créer des structures d’Etat propres destinées à remplacer celle de l’Etat espagnol.
Sortir de l’ordre constitutionnel espagnol
Mais le point essentiel de la déclaration concerne la fermeté avec laquelle ce processus d’indépendance est engagé. Le point 6 est ainsi très clair : il place le pouvoir du parlement catalan au-dessus des institutions espagnoles. « Comme dépositaires de la souveraineté et de l’expression du pouvoir constituant, les deux listes réitèrent que ce parlement et le processus de déconnexion démocratique ne se soumettront pas aux décisions des institutions de l’Etat espagnol, en particulier à celle du Tribunal constitutionnel, qui est considéré comme délégitimé », indique le texte. Ces propos sont une véritable déclaration de rupture qui placeront la Catalogne de fait en dehors de l’ordre constitutionnel espagnol. Désormais, les décisions du Tribunal Constitutionnel (TC) qui avait censuré partiellement le nouveau statut régional de 2006 et interdit la consultation du 9 novembre sur l’indépendance, ne seront plus reconnues par les autorités catalanes. Si cette déclaration n’est pas la déclaration unilatérale d’indépendance que voulait initialement la CUP et si le terme de “désobéissance” est absent, c’est un texte fort qui, dans les faits et sur le plan juridique, engage cette désobéissance.
Un gouvernement de résistance
Le point 8 de la déclaration incite ainsi le futur gouvernement régional « à remplir exclusivement les normes et mandats émis par le parlement catalan, afin de protéger les droits fondamentaux qui pourraient être affectés par les décisions des institutions de l’Etat espagnol. » Autrement dit, le futur exécutif catalan aura pour mandat de résister aux mesures d’application de la constitution espagnoles. Le tout, précise la déclaration, « pacifiquement et démocratiquement. » Mais avec un tel texte, les indépendantistes catalans sautent un pas essentiel, celui de la rupture. En cela, cette déclaration est proprement révolutionnaire : une fois votée, elle établira deux ordres de légitimités sur le territoire catalan, celui du parlement de Barcelone et celui de la Constitution espagnole. C’est là le propre de toute révolution à ses débuts de confronter ainsi deux ordres antagonistes sur un même territoire.
Vote avant le 9 novembre
Cette déclaration, qui est « ouvert à d’autres formations » – ce qui est un appel aux indépendantistes de CSQEP – sera votée avant l’élection du nouveau président de la région, prévue le 9 novembre prochain. A cette date, le parlement catalan sera devenu officiellement hors-la-loi au regard de la constitution espagnole. La clé de l’avenir résidera alors dans trois éléments : la détermination des indépendantistes, la réaction de ceux qui refusent cette rupture en Catalogne même et la réaction des autorités espagnoles.
Réponse ferme de Madrid
Le président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, n’a pas manqué de riposter rapidement. Dès le début de l’après-midi, il a dénoncé « un acte de provocation qui prétend ignorer la loi parce qu’il sait que la loi ne l’admet pas. » Et de marteler : « tant que je serais président, l’Espagne continuera à être une nation de citoyens libres et égaux. Nous sommes toues soumis à la loi et aux décisions des tribunaux. » Un appel du pied aux électeurs espagnols qui doivent voir en Mariano Rajoy le défenseur de l’unité du pays avant les élections du 20 décembre qui s’annoncent difficile pour son parti, le PP.
Rien d’étonnant alors à ce que Madrid ait aussi répondu avec fermeté : « nous ne renoncerons à aucun mécanisme juridique et politique que nous attribue la constitution et les lois », a indiqué le président du gouvernement espagnol. Ceci suppose que Madrid envisage sérieusement l’application de l’article 155 de la Constitution qui l’autorise à « prendre les mesures nécessaires » pour obliger une communauté autonome (région) à « remplir les obligations que lui imposent la Constitution et les lois. » En cas « d’atteinte grave à l’intérêt général espagnol », le gouvernement central peut suspendre les autorités régionales. Selon la presse espagnole, Madrid étudie déjà les moyens d’appliquer cet article.
Un article 155 applicable ?
Cet article apparaît comme un épouvantail, une menace pour les Catalans. Mais, en réalité, son application est des plus complexes. D’abord, la constitution espagnole reste floue sur les moyens laissés au gouvernement central. En cas de suspension de l’autonomie catalane, que se passera-t-il concrètement si le parlement catalan refuse cette décision ? L’Etat central devra-t-il établir des institutions espagnoles de substitution, qui coexisteront concrètement avec les institutions catalanes ? Que feront alors les fonctionnaires catalans ? Suivront-ils Madrid ou Barcelone ? Pour faire respecter la loi espagnole, faudra-t-il avoir recours à la menace ou à la force ? Et comment ? Les forces de police et de garde civiles espagnoles sont peu nombreuses en Catalogne, tout comme les forces armées. Le gouvernement catalan, lui, dispose d’une force de police, les Mossos D’Esquadra. Ces derniers suivront-ils l’ordre catalan ou l’ordre espagnol ? C’est essentiel, car pour faire respecter la loi, il faut en avoir les moyens concrets. En réalité, l’article 155 ne serait qu’une ouverture vers le chaos complet. Et Madrid n’y a guère intérêt. Même si, pour le moment, la campagne électorale espagnole joue un rôle négatif de ce point de vue.
Dialogue encore possible ?
Reste l’option ouverte par le point 9 de la déclaration catalane : celle du dialogue. Ce point fait part de la volonté catalane « d’ouvrir des négociations » et de réaliser le processus d’indépendance « en accord avec l’Etat espagnol, l’Union européenne et la communauté internationale. » Ce dialogue est-il encore possible au sein de l’Etat espagnol ? Certes, Mariano Rajoy et le leader du PSOE, Pedro Sanchez, se sont mis d’accord lundi pour « laisser ouverte une porte au dialogue. » Mais cette porte n’est ouverte que dans la « loi. » Or, désormais, Barcelone, a dépassé la loi espagnole. On se retrouve donc dans une situation de blocage absolu. Seule une médiation externe pourrait la débloquer.
L’UE regarde ailleurs
L’UE a, là, une chance unique de prouver qu’elle est bien garante de la paix, comme l’avait affirmé le Comité d’Oslo en 2013 lors de son prix Nobel de la paix. Mais, pour l’instant, l’UE regarde ailleurs. Les grandes puissances de l’union, France et Allemagne en tête refuse de se pencher sur le cas catalan. Pire, ils soutiennent ouvertement Madrid, prenant partie dans un débat interne sous couvert de neutralité factice. Mais, en cas d’application de l’article 155, il faut s’attendre à voir les Catalans en appeler à cette médiation et à se prévaloir de l’article 7 du traité de l’UE qui prévoit la suspension d’un Etat membre en cas de violation des droits démocratiques. Cette fois, l’affaire de la Catalogne ne pourra plus être ignorée par la pusilanimité de l’Europe.
Un mandat démocratique pour la Catalogne, par Artur Mas
Source : Artur Mas, pour Le Monde, le 29 octobre 2015.
Le 27 septembre, les Catalans ont donné à leurs représentants élus un mandat démocratique clair pour entamer un processus politique responsable et négocié qui aboutira à la création d’un État indépendant pour la Catalogne. Les résultats de cette élection historique sont clairs : avec une participation record de 77,5 % des électeurs, les deux listes qui sont explicitement en faveur de l’indépendance ont remporté 72 sièges sur 135 et près de 48 % des suffrages. Les partis politiques qui sont explicitement contre l’indépendance ont reçu 39 % des suffrages. Les 11 % restants se sont répartis entre deux partis qui sont en faveur de l’autodétermination de la Catalogne, sans toutefois confirmer qu’ils appelleront leurs représentants à voter en faveur du « oui » ou du « non » si un référendum d’autodétermination a lieu. La victoire du « oui » est par conséquent indiscutable. De plus, elle est remarquable, compte tenu de la campagne de peur conduite par le gouvernement espagnol dans le but d’influencer le résultat du scrutin.
La victoire en faveur de l’indépendance est claire est sans équivoque, bien que le gouvernement espagnol ait suggéré que les partisans de l’indépendance avaient perdu. On peut s’étonner que le gouvernement espagnol, qui a empêché la tenue d’un référendum formel comme cela s’est fait en Écosse ou au Québec, interprète à présent les résultats de l’élection comme s’il s’agissait d’un référendum. Si le gouvernement espagnol souhaite compter les votes, cela peut être fait très simplement : le Président espagnol Mariano Rajoy n’a qu’à suivre l’exemple de David Cameron, qu’il admire tant, et autoriser l’organisation d’un référendum légal. Tant que cela n’est pas possible, nous continuerons sur notre voie actuelle. En tant que démocrates, nous nous devons d’honorer le mandat électoral qui nous a été accordé.
Partenaire fiable
Qu’en est-il donc pour l’avenir ? Tout d’abord, le Parlement de Catalogne nouvellement élu fera une déclaration solennelle pour marquer le début d’un processus politique qui se conclura par l’indépendance. Cette déclaration sera envoyée aux institutions espagnoles, européennes et internationales pour annoncer que la transition vers un État indépendant a commencé, et que les négociations à cette fin vont débuter. Nous ne souhaitons pas entreprendre ce processus seuls, mais préférons au contraire le faire main dans la main avec nos voisins et alliés, afin d’assurer une transition progressive et sans heurts.
La feuille de route que nous avons dressée établit un calendrier de transition sur environ 18 mois, au cours desquels le gouvernement de Catalogne concevra et construira les structures nationales nécessaires pour que la Catalogne puisse fonctionner en tant qu’État. La future République catalane sera semblable à l’Autriche et au Danemark en termes de taille, de population et de PIB. Elle constituera un partenaire fiable et responsable pour construire une Europe plus solide, plus unie et plus sûre. Le mouvement national catalan a toujours été profondément attaché au projet européen. Nous sommes également de fervents défenseurs du marché libre, et notre économie est déjà intégrée dans celles de l’UE et de la zone euro.
Avec le résultat des élections, nous avons reçu un mandat solennel de la part du peuple catalan, que nous mettrons en œuvre au cours des semaines et mois à venir. Au cours de cette période de transition, nous agirons avec la plus grande transparence et sous le regard des institutions de l’Union Européenne. Par ailleurs, bien que le gouvernement espagnol soit jusqu’à présent resté intransigeant sur la question de l’indépendance catalane, il est clair qu’une transition sans dialogue n’est souhaitable pour personne. Par conséquent, nous sommes convaincus qu’en dialoguant de façon productive avec les institutions concernées en Espagne, en Europe et ailleurs, nous pourrons obtenir un résultat négocié positif qui profitera à toutes les parties.
Artur Mas est le président de la Catalogne
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