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30
Oct
2015
[Réparations 5] Le montant réellement payé par l’Allemagne
Suite et fin de notre série sur les réparations allemandes de la Première guerre mondiale, et leurs conséquences :
- Le Traité de Versailles
- L’occupation de la Ruhr
- L’hyperinflation allemande de 1923
- Les défauts des années 1930
- Le montant réellement payé par l’Allemagne
Le montant réellement payé par l’Allemagne
Dernier point de notre exposé : qu’a payé l’Allemagne, et combien cela représente-il ?
On partait donc de 132 milliards de marks-or : 12 MdMo de série A, 38 MdMo de série B et 82 MdMo de série C.
Le chiffre exact payé par l’Allemagne est un sujet de discussion. La Commission des réparations et de la BRI estiment, qu’au total, 20,6 milliards de marks-or de réparations (hors frais d’occupation) furent payés par l’Allemagne (dont 7,6 milliards furent payés avant le calendrier des paiements de Londres). (Weill-Raynal)
L’historien Niall Ferguson donne un chiffre légèrement inférieur : 19 milliards de marks-or. (Wikipedia)
La France toucha un peu plus de 9,5 milliards de marks-or, au lieu des 68 prévus, – sachant que ses seules dépenses pour la reconstruction des régions dévastées se sont élevées à 23,2 MdMo (+ 1 MdMo de pensions de guerre à verser tous les ans) et qu’elle devait 1,6 MdMo aux Alliés de 1927 à 1931. Cela repréentait un paiement de 2,5 mois de revenu national, auquel s’ajoutaient des pensions de guerre pesant tous les ans 1,6 % à 2,3 % du PIB.
Reste à mieux quantifier ce que représentaient ces sommes – dont on rappellera que le Traité de Versailles imposaient qu’elles soient exprimées en marks-or :
Article 262.Toute obligation de l’Allemagne de payer en espèces, en exécution du présent traité, et exprimée en marks-or, sera payable au choix des créanciers en livres sterling payables à Londres, dollars or des États-Unis payables à New-York, francs or payables à Paris et lires or payables à Rome.Aux fins du présent article, les monnaies or ci-dessus sont convenues être du poids et du titre légalement établis au 1er janvier 1914 pour chacune d’entre elles.
Il est assez difficile de se représenter leur valeur actuelle.
Première méthode : par l’inflation
Elle est assez facile. Sachant qu’un mark-or de 1914 représentait 1,25 franc, 0,24 dollar et 0,05 livre de l’époque.
Qu’au niveau inflation, on trouve (par exemple ici) que 1 F 1913 = 3,1 € ; que 1 $ 1913 = 23,2 $ 2015 ; que 1 £ 1913 = 74,7 £ 2015
Les 132 milliards de marks-or deviennent donc aujourd’hui :
- par le franc : 510 Md€ environ
- par le dollar : 735 Md$, soit 570 Md€ environ
- par la livre : 493 Md£, soit 590 Md€ environ
Deuxième méthode : par l’or
Le mark-or valait 0,358425 g d’or fin.
Comme actuellement le gramme d’or vaut 31,7 € (soit 1 107 $ / once), on arrive à 132 MdMo = 1 500 Md€
Cependant, l’or est très au-dessus de son cours moyen, qui conserve habituellement le pouvoir d’achat.
En partant sur une valeur moyenne plutôt de l’ordre de 500 $ / once, on arrive à un total de réparations de 680 Md€ actuels environ.
Nos différentes estimations monétaires aboutissent donc à un total d’environ 500 à 600 Md€ actuels de réparations.
Le chiffre est important, mais finalement pas si colossal, si on considère qu’il pouvait être payé sur 70 ans (plan Young). Mais le problème est que ce chiffre ne tient pas compte des gains de pouvoir d’achat de la population. Une estimation en fonction du PIB serait donc intéressante pour mieux quantifier la charge réelle.
Troisième méthode : par le PIB
Albert Ritschl, complication, plusieurs auteurs, arrive pour sa part à un total de réparations de 250 % du PIB 1913 (auquel s’ajoutent 50 % du PIB de dette nationale). Ferguson est plus proche de 240 % du PIB.
Avec un PIB allemand actuel de l’ordre de 2 700 Md€, on arrive ainsi à un montant de réparation corrigé de l’ordre de 6 500 Md€ – soit une charge dix fois plus lourde que la précédente…
Les paiements réels
Ainsi, sachant que l’Allemagne n’a payé que 15,6 % du total affiché à Versailles (mais près de 42 % sans les obligations C), on arrive à une estimation du paiement réel actualisé de 85 Md€, ou, plus justement, de 39 % de son PIB annuel 1913 versés en 14 ans.
Un travail plus précis de Ferguson estime que les réparations ont représenté une moyenne de seulement 2,4 % du PIB annuel moyen entre 1919 et 1932, soit 34 % du PIB moyen.
On voit que le montant annuel n’a jamais dépassé 8,3 % du PIB (courbe claire), et est resté la plupart du temps en dessous de 3 % du PIB – alors que Keynes estimait que ce montant représenterait 25 à 50 %. Pour en revenir à 1871, la France paya à l’Allemagne 9 % de son PIB la première année et 16 % la seconde – mais ce fut alors terminé. On se rend compte que le montant annuel était soutenable, mais que, comme on espérait le toucher pendant des décennies, on arrive à un montant actualisé délirant, qui a tant choqué les Allemands… Ceci étant, si on a beaucoup moqué le plan Young et son étalement jusqu’en 1988, l’Allemagne, entre 1958 et 2000 a eu une contribution nette au budget européen de l’ordre de 160 milliards de marks ; bien entendu, cela représente une toute petite fraction de son PIB, mais on arrive au final à une somme supérieure au montant nominal du traité de Versailles…
On peut enfin comparer en conclusion ces montants aux dettes actuelles…
(2 traductions du premier graphe pour finir)
Sources et documents
La “bible” : Etienne Weill-Raynal, Les réparations allemandes et la France, Nouvelles Éditions Latines, 1947 (3 volumes)
Albrecht Ritschl, Les réparations allemandes 1920-1933, 1999
Sally Marks, The Myth of German Reparation, 1973
Martin Destroismaisons, L’occupation de la Ruhr et le révisionnisme de l’ordre versaillais dans deux grands journaux français (1920-1924), 2008
Jeannesson Stanislas. Pourquoi la France a-t-elle occupé la Ruhr ?. In: Vingtième Siècle, revue d’histoire, n°51, juillet-septembre 1996. pp. 56-67.
Niall Ferguson, The pity of war, 1998