29
Oct
2015
[Réparations 4] Les défauts des années 1930
Suite du billet sur L’hyperinflation allemande de 1923
Conférence de Lausanne de 1932
La crise de l’endettement s’est rapidement développée : ruée sur les réserves de la Reichbank (mars 1929), échec de l’émission d’un vaste emprunt d’État (mai 1929), mesures de restriction budgétaires d’urgence (2eme semestre), démission du ministre des finances (décembre 1929), départ du président de la Reichbank (février 1930).
En mars 1930, le gouvernement du chancelier socialiste Müller s’effondra et fut remplacé par un nouveau gouvernement minoritaire, constitué selon une procédure d’urgence, dirigé par le chancelier centriste Heinrich Brüning. Ainsi, la suspension partielle de la démocratie parlementaire achevait la transition vers une politique d’austérité et de déflation, rendue nécessaire par la coupure avec les marchés de capitaux étrangers.
En juin 1930, les troupes alliées se retirèrent de la région de Mayence, la dernière zone d’occupation en Rhénanie.
Durant l’été 1930, le gouvernement tenta de faire passer le nouveau budget déflationniste par des décrets d’urgence présidentiels. Néanmoins, sous la pression diplomatique française, cette idée a été abandonnée, et le projet de loi a été présenté au Reichstag, qui l’a rejeté. En conséquence, des élections ont été organisées en septembre, qui se sont traduites par un nouvel affaiblissement des forces centristes et une forte augmentation de la représentation du parti nazi. Alors qu’il n’avait recueilli que 2,6% des voix en 1928 avec 12 députés seulement, le partie nazi recueille cette fois 18,3% des voix, et 102 députés. Le parti communiste, quant à lui, ne progresse que de 10,6% à 13,1%. L’un et l’autre sont désormais en mesure de paralyser le travail parlementaire – il était alors en effet pratiquement impossible de trouver un majorité pro-républicaine.
En mai 1931, Kreditanstalt, la plus grande banque en Autriche, s’effondra provoquant une crise bancaire en Allemagne et en Autriche. En réponse, Brüning annonça que l’Allemagne suspendait le paiement des réparations. Cela se traduisit par un retrait massif de fonds nationaux et étrangers des banques allemandes.
La politique française, jusqu’à ce point, avait été d’apporter à l’Allemagne un soutien financier pour aider le gouvernement Brüning à stabiliser le pays. Brüning, maintenant sous l’intense pression politique des nazis et du président Paul von Hindenburg, fut incapable de faire des concessions. Fin juin 1931, Brüning annonça « son intention de demander la révision du plan Young, nécessaire selon lui pour éviter la suspension du remboursement de la dette commerciale. au vu de la déflation en cours, la menace semblait très crédible.
À la lumière de la crise et dans le contexte où l’Allemagne étant incapable de rembourser ses dettes, le président des États-Unis Herbert Hoover intervint et proposa un moratoire d’un an sur les réparations et sur les dettes de guerre interalliées, qui fut accepté le 6 juillet 1931.
Mais la Danatbank, importante institution de crédits, annonce le 12 juillet 1931 l’impossibilité de régler ses paiements. Le 13 juillet, la banque allemande Darmstädter fit faillite menant à de nouvelles faillites et une hausse du chômage aggravant encore la crise financière en Allemagne. Le gouvernement de Brüning annonça alors la fermeture temporaire des banques et des caisses d’épargne pour tenter de calmer les esprits.
En septembre 1931, le Royaume-Uni mis fin à l’étalon-or, entraînant une dévaluation de sa monnaie qui rendait ses produits moins chers de 20 %. Si en mars 1930, le gouvernement avait augmenté les impôts sur les entreprises, ce qui déplut au patronat, en septembre 1931, il fut donc conduit à accentuer la dévaluation interne, et baissa les salaires, les allocations, les prix et les loyers, baisse qui finit par atteindre -20 %, ce qui déplu à toute la population.
Avec la Grande Dépression, la Banque des règlements internationaux indiqua que le plan Young était irréaliste à la lumière de la crise économique et exhorta les gouvernements du monde entier à parvenir à un nouvel accord sur les diverses dettes qu’ils possédaient.
En janvier 1932, Brüning déclara qu’il demanderait maintenant l’annulation complète des réparations. Sa position était appuyée par les Britanniques et les Italiens, et contrée par les Français.
Le 16 juin 1932, la conférence de Lausanne s’ouvrit. Au cours de cette conférence, les Américains informèrent les Britanniques et les Français qu’ils ne seraient pas autorisés à faire défaut sur leurs dettes de guerre. À leur tour, ils recommandèrent que les dettes de guerre soient liées au paiement des réparations allemandes, ce à quoi les Allemands s’opposèrent également. Le 9 juillet, un accord fut conclu et signé.
La conférence de Lausanne annula le plan Young et imposa à l’Allemagne de payer un unique et ultime versement de 3 milliards de marks (pour sauver la France de l’humiliation politique – mais il ne sera jamais payé) mettant ainsi fin à l’obligation de l’Allemagne à payer les réparations.
Hélas, cette annulation intervint trop tard. Une fois le plan Young en place, les Allemands devaient attendre qu’il montre son inefficacité. La politique déflationniste de Brüning – dont on voit qu’il eut peu de marges de manœuvre – aurait pu marcher (dans ce contexte). En effet, les élections suivantes étaient prévues en 1934. Avec la fin des réparations, et le gain de compétitivité obtenu, avec un retour mesuré de la confiance internationale, cette politique d’austérité dure aurait pu porter quelques fruits deux ans plus tard.
Hélas, le président Hindenburg, réélu en avril 1932, procéda à une manœuvre politique. S’il méprisait Hitler, il avait plutôt des sympathies pour la contre-révolution anti-démocratique que représentait le parti nazi et les autres partis nationalistes. Le 1er juin 1932, Hindenburg se vit contraint de congédier Brüning, qui, outre le fait de susciter le mécontentement populaire avec sa politique de rigueur, se disposait à ponctionner les grands propriétaires fonciers de l’Allemagne orientale, les Junker, qui ont l’oreille du président Hindenburg.
Le très influent major Kurt von Schleicher suggère à Hindenburg de nommer à la chancellerie un député quasi-inconnu du Zentrum catholique, Franz von Papen, aristocrate proche des milieux d’affaires et des nationalistes. Mais le nouveau gouvernement ne tient que grâce à la neutralité du parti nazi, obtenue contre la promesse d’élections législatives anticipées. N’ayant pas trouvé de majorité, Papen demanda la dissolution du Parlement, après avoir abrogé l’interdiction symbolique des milices SA prise par Brüning peu avant son départ.
Au terme d’une campagne marquée par la violence, les nazis obtinrent le 31 juillet leur plus haut score dans une élection libre, avec 37,3 % des voix. Le parti nazi et le parti communiste disposaient désormais de la majorité des voix au Parlement. Hitler refusa de devenir ministre de von Papen, et exigea le poste de Chancelier, qui lui fut refusé le 13 aout 1932. Von papen n’obtenant aucune majorité, le parlement fut de nouveau dissout. Le 6 novembre, les nazis étaient toujours en tête, mais connurent une grosse déception, perdant 2 millions de voix, et n’obtenant plus que 33,1 % des voix.
Le 3 décembre, le Général Kurt von Schleicher fut nommé Chancelier. Il tenta en vain d’obtenir une majorité en ralliant les gauches de plusieurs partis. L’expérience du “Général Socialiste” tourna court, et il demanda à Hindenburg de nouvelles élections le 22 janvier.
Dans le même temps, l’ancien président de la Reichsbank Hjalmar Schacht et quelques autres sommités du monde économique demandent par lettre à Hindenburg de nommer à la chancellerie le «chef du groupe national le plus nombreux», autrement dit Hitler. Ils y voient le moyen de détourner les masses populaires des communistes et de les rallier à la République de Weimar…
Finalement, Hindenburg fut convaincu par von Papen que, en baisse de régime, Hitler pourrait être contrôlé, et le nomma Chancelier le 30 janvier 1933, à la tête d’un gouvernement minoritaire avec von Papen comme vice-chancelier, où les nazis ne détenaient que 3 sièges de ministres sur 11 (Hitler, Wilhelm Frick à l’intérieur et Herman Göring ministre sans portefeuille, qui était par ailleurs ministre de l’intérieur du Land de Prusse).
Hitler avait cependant exigé de procéder rapidement à de nouvelles élections, ce qu’il obtint dès le 1er février, élections prévues pour le 5 mars. Dès le 4 février 1933, certains journaux socialistes et communistes sont interdits. Le 27 février 1933, le bâtiment du Reichstag est incendié. Le lendemain, un décret présidentiel, le Reichstagsbrandverordnung, restreint les libertés individuelles. Hitler accuse les communistes de cet incendie, fait interdire le KPD, suspend la liberté d’opinion (28 février 1933), ce qui permet d’arrêter de nombreux anti-nazis. Malgré le climat de terreur, les élections du 5 mars 1933 ne donnent que 44 % des sièges pour les nazis au Reichstag. Les députés communistes sont arrêtés, ce qui donne au NSDAP la majorité absolue (51 % des voix). Le 23 mars 1933, la loi « sur la suppression de la misère du Peuple et du Reich » lui accorde les pleins pouvoirs par 441 voix contre 92.
Le 12 novembre 1933, de nouvelles « élections » au Reichstag sont organisées sur une liste unique ne comportant que des nazis qui sont élus avec 92 % de « oui ». Hitler supprime alors les Assemblées dans les Länder et dote l’Allemagne d’une administration centralisée. Le 14 juillet 1933, le Parti nazi devient le seul parti légal ; son emblème et son idéologie sont présents partout. Le président Hindenburg meurt le 2 août 1934, mais les élections présidentielles sont supprimées. Hitler cumule alors les deux fonctions : Président de la République et Chancelier sous le nom de Führer, un bouleversement constitutionnel approuvé par près de 90 % des électeurs lors du plébiscite du 19 août 1934. En vertu du « Führerprinzip », il affirme n’être responsable devant personne.
Dès lors, on parle de Troisième Reich, même si formellement la Constitution de Weimar n’a jamais été abrogée par les nazis. C’était le début de la course à l’abîme…
Les défauts des années 1930 sur les dettes interalliées
La suppression des réparations allemandes mi-1932 allait évidemment avoir de lourdes conséquences sur la capacité des créanciers à honorer leurs propres dettes de guerre.
L’arrivée de l’échéance semestrielle de la dette européenne envers les États-Unis le 15 décembre 1932 allait jouer le rôle de détonateur d’une crise diplomatique, survenant en pleine passation de pouvoir présidentiels, Roosevelt ayant été élu le 8 novembre 1932. Face aux demandes anglo-française de re-négociation, le Président Hoover adopta une ligne intransigeante :
“Les gouvernements qui ont contracté des engagements à notre égard, au titre des dettes de guerre, ont demandé, en ce qui concerné l’échéance du 15 décembre, une suspension des paiements dus aux États-Unis, qui devait être suivie d’un échange de vues sur cette question des dettes. Notre gouvernement leur a fait savoir que nous n’approuvons pas la suspension des paiements du 15 décembre.” [Message du Président Hoover au Congrès du 6 décembre 1932) [Weil-Raynal, 1947]
Ainsi, le “moratoire Hoover” état bon pour l’Allemagne, mais pas pour les Alliés…
Le 10 décembre 1932, la Chambre française demande au gouvernement de préparer le paiement du 15 décembre, à condition que les États-Unis acceptent auparavant la tenue d’une Conférence internationale visant à restructurer les dettes interalliées.
La Grande-Bretagne informe les États-Unis qu’elle accepte de procéder au paiement, moyennant une petite réserve, mais les États-Unis exigent le paiement intégral et refusent la réserve.
Le Président du conseil Édouard Herriot proposa alors à la Chambre de voter une loi et indiquant que le versement du 15 décembre 1932 serait honoré, mais serait le dernier si les dettes n’étaient pas révisées dans leur ensemble.
Mais l’attitude américaine avait fortement déplu aux députés français qui refusèrent le 13 décembre de voter la loi par 402 voix (droite, centre, socialistes) contre 167 (radicaux), entrainant la démission d’Édouard Herriot.
La chambre vota alors une résolution indiquant qu’elle ne refusait pas de payer, mais qu’elle “différait” le versement jusqu’à la tenue d’une Conférence internationale.
Ainsi, le 15 décembre 1932, les débiteurs se scindèrent en deux groupes :
- la France, la Belgique, la Pologne, l’Estonie, la Hongrie n’honorèrent pas leur paiement ;
- la Grande-Bretagne (qui avait maintenu sa réserve), l’Italie, la Tchécoslovaquie, la Finlande, la Lituanie acquittèrent l’échéance.
En 1933, la Grande-Bretagne procéda à 2 paiements symboliques, Roosevelt (plus souple que son prédécesseur) indiquant qu’il ne considérait pas ceci comme un défaut.
Mais le Congrès veillait, et la loi Johnson votée le 13 avril 1934 fermait le marché financier américain aux gouvernements des pays en défaut de paiement. Roosevelt changea alors d’attitude, et se montra très ferme dans son discours du 1er juin 1934, ce qui entraina une profonde déception dans la presse de gauche.
En réaction, le gouvernement britannique indiqua que le 4 juin 1934 que la Grande-Bretagne suspendait désormais tout paiement.
Ainsi, deux fois par an, aux approches des échéances du 15 juin et du 15 décembre, des lettres étaient échangées entre les gouvernements américains et français. Le premier envoyait au second le relevé des sommes dues, ajoutant à partir du 15 décembre 1934 (suite au défaut anglais) qu’il était disposé “à étudier par la voie diplomatique toutes propositions que le gouvernement français souhaiterait présenter touchant le paiement de ces dettes et à prendre ces propositions en considération, en vue de leur présentation au Congrès américain”.
Le gouvernement français répondait que “il ne contestait pas la validité de la dette, qu’il demeurait prêt à en rechercher le règlement avec le Gouvernement des États-Unis, sur des bases qui apparaitraient acceptables aux deux pays” mais “qu’il se trouvait actuellement dans l’impossibilité de formuler de telles propositions”.
Cette situation se prolongeât ainsi, d’échéances trimestrielles en échéances trimestrielles, jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale…
Épilogue
Pour payer les réparations, l’Allemagne avait contracté divers prêts au cours des années 1920. En 1933, à la suite de l’annulation des réparations, Hitler, annula tous les paiements au titre de la dette commerciale.
En juin 1953, un accord sur la dette extérieure allemande fut conclu à Londres avec l’Allemagne de l’Ouest pour ce qui concernait la dette existante. Moyennant une décote d’environ 50 %, l’Allemagne de l’Ouest acceptait de rembourser les prêts qui avaient été en défaut, mais reportait une partie de la dette jusqu’à ce que les deux Allemagnes soient réunifiées. Il restait ainsi à payer environ 15 milliards de marks sur 30 ans.
En 1995, après la réunification, l’Allemagne commença à effectuer les derniers remboursements des prêts qui avaient été en défaut dans les années 1920. Le 3 octobre 2010, un versement final de 94 millions de dollars fut effectué clôturant le règlement des dettes de prêts allemands concernant les réparations.
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Les historiens et les économistes ont beaucoup discuté du problème de ces réparations et de leurs conséquences.
Il semble finalement que, au delà du problème “d’affichage” délirant (les obligations C), le problème le plus déterminant ne semble pas tant avoir été la “capacité de paiement” de l’Allemagne (elle investira énormément dans les années 1930 pour se réarmer), que la possibilité limitée des créanciers à lui imposer de payer ses dettes. L’occupation de la Ruhr et l’hyperinflation de 1923 a montré aux parties ces limites.
Si Keynes avait raison au sujet des clauses économiquement absurdes du traité de Versailles, le problème est qu’elles visaient à se substituer à une résolution politique et stratégique du problème – les réparations étaient aussi vues comme un substitut au refus des États-Unis de protéger l’Europe de l’Allemagne.
De fait, il aurait été possible de parvenir à un accord raisonnable dès 1924, qui aurait certes maintenu un temps l’Allemagne dans la pauvreté et déçu la France – mais cela n’a pas été lé cas. L’Allemagne est alors entrée dans un cycle économique très volatile, avec d’abord une forte expansion puis une profonde dépression. Les garde-fous du plan Dawes, qui partaient d’une bonne intention, ont en fait induit un comportement très dangereux, autorisant de fait l’Allemagne à se surendetter, ce dont elle ne s’est pas privée… Lorsque la pyramide des crédits s’est effondrée, l’Allemagne a été confrontée à un double fardeau : celui des réparations et celui de la dette commerciale ; un des deux devait fatalement être abandonné, ce qui explique l’échec du plan Young.
Ainsi, on n’a à cette époque cessé de repousser à plus tard l’heure de vérité, ce qui a fini par causer des conséquences beaucoup plus graves qu’elles ne l’auraient été dans les années 1920. Sans le plan Dawes, la récession allemande de 1929-1932 serait probablement intervenue dès les années vingt et aurait été plus modérée – entraînant des conséquences politiques sans doute bien moins dramatiques…
À suivre dans le prochain billet : Le montant réellement payé par l’Allemagne
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