Villes dirigées par le Front national: quel bilan six mois après les municipales?
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Depuis six mois, le Front national dirige une dizaine de villes en France | AFP
POLITIQUE - "On vient voir ce qui se passe dans les villes dirigées par le Front national comme on emmène les enfants au zoo. C'est le côté voyeuriste de la politique. Imaginez que ça se passe bien, ce serait une catastrophe." On croirait entendre Marine Le Pen et pourtant ce n'est pas la présidente du FN qui s'exprime. Ce jour-là, c'est Franck Briffaut, le maire de Villers-Côteret qui raconte au HuffPost les six premiers mois de son mandat. Comme une dizaine d'autres villes, cette commune de 11.000 habitants de l'Aisne a basculé dans le giron frontiste le 30 mars dernier.
Il est vrai que depuis, les regards se sont beaucoup tournés vers Hayange, Fréjus ou Hénin-Beaumont. Marine Le Pen a beau le dénoncer aujourd'hui, elle a beaucoup contribué à ce phénomène en faisant de ces conquêtes des vitrines de ce que pourrait être le Front national une fois au pouvoir. "Il nous manque un bilan pour passer à un stade supérieur", reconnait-elle. Une quinzaine d'années après les fiascos de Vitrolles et Toulon, les responsables du FN juraient qu'ils avaient changé et tiré les leçons du passé.
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Alors inévitablement, la gestion des villes FN est passée au crible et chaque dérapage d'un élu frontiste fait le buzz. A Hayange, Fabien Engelmann en sait quelque chose lui qui a défrayé la chronique en faisant repeindre une oeuvre d'art sans avoir prévenu l'artiste. Le maire mosellan est surtout visé par une enquête préliminaire sur ses comptes de campagne. Ce cas est-il, pour autant, représentatif de ce qui se passe dans les autres communes? Pour tenter de répondre, le HuffPost a cherché à savoir ce qui se passe dans plusieurs de ces villes.
Drapeaux, Marseillaise et danse orientale
Il en ressort que les maires FN ne lésinent pas sur les symboles. "Ils nous mettent des drapeaux bleu-blanc-rouge dans toute la ville et ils ont enlevé les drapeaux européens et ceux des autres pays. Et avant chaque conseil municipal, ils nous font chanter la Marseillaise", explique Christophe André, conseiller municipal d'opposition à Beaucaire. Les décisions du même type ont été prises à Mantes-la-Ville ou à Hayange, notamment.
A Villers-Cotterêts, c'est une autre décision du maire qui a beaucoup fait parler. Quelques semaines après son élection, Franck Briffaut décide de ne pas participer à la commémoration de l'abolition de l'esclavage. "C'est d'autant plus regrettable que notre ville est le lieu de naissance du père d'Alexandre Dumas, lui-même fils d'esclave", dénonce Jean-Claude Pruski, l'ancien maire. Son successeur, qui a été désavoué par Marine Le Pen tente une explication: "La manifestation tourne tous les ans à la récupération politique. Il est davantage question de soutien aux sans-papiers que de véritable hommage aux victimes de l'esclavage. Alors je le redis, il est hors de question que je participe à cette pantalonnade. Nous ferons notre propre manifestation, plus discrète et plus sincère le 4 février 2015", promet l'édile.
A Cogolin, c'est l'utilisation du gymnase qui pose question. "On a une section de footsalle avec beaucoup de Maghrébins qui n'a plus de créneau horaire pour s’entraîner", s'interroge l'opposant Michel Dallari. Il s'étonne aussi que "lors du gala des associations, début septembre, consigne ait été donnée pour qu'il n'y ait pas de spectacle de danse orientale". "Je ne suis pas au courant de ces deux décisions", répond Marc-Etienne Lansade, le maire de la Ville. Mais il ajoute tout de même:
"Si on a proposé comme seul spectacle des danses orientales, je signe et resigne mon opposition parce qu'ici on est en Provence, pas en Orient et s'ils veulent vivre comme en Orient, les frontières sont ouvertes."
"Une association partisane doit être financée par ses partisans"
Mais Romain Carbonne, du collectif de réflexion et d’initiatives citoyennes de Mantes-la-Ville en convient. "Tout cela est symbolique mais ne change pas la vie des gens". "Ma singularité n'est pas aussi évidente que ça dans le travail de gestion au quotidien. Et cette année, le budget avait déjà été voté donc je ne pourrai pas mettre réellement ma patte avant l'an prochain", reconnait d'ailleurs Marc-Etienne Lansade, maire de Cogolin.
Reste que certaines décisions ont parfois des impacts directs sur le budget des familles.Au Pontet, la cantine qui était gratuite pour les familles pauvres ne l'est plus. A Villers-Cotterêts, le prix a été largement augmenté pour les familles les plus modestes. "Cela n'avait pas été revalorisé depuis le passage à l'euro, se défend Franck Briffaut. Il faut responsabiliser nos concitoyens parce que cette augmentation concerne les familles dont les deux parents ne travaillent pas. On peut d'ailleurs se demander pourquoi ils mettent leurs enfants à la cantine."
Comme il s'y est engagé durant la campagne, Franck Briffaut a également coupé les subventions à la CGT et à la FCPE. "Je ne vais pas subventionner une association qui nous crache dessus. Si leurs responsables descendent dans l'arène politique, l'asso devient partisane et doit vivre uniquement avec l'argent de leurs partisans", se justifie-t-il. A Mantes-la-Ville, les subventions de toutes les associations ont été baissées de manière unilatérale de 22%. "Le maire justifie cela par la volonté de faire des économies même si ça représente une goutte d'eau dans le budget général", explique Romain Carbonne.
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"A Beaucaire, cela a permis une baisse symbolique des impôts de 0,05%", constate Christophe André. Même chose à Hénin-Beaumont, où Steeve Briois a pris la décision de baisser les impôts malgré les dettes, comme Marine Le Pen l'avait demandé pendant la campagne. A Villers-Cotterêts, le maire espère "pouvoir baisser la pression fiscale, même de manière symbolique". Mais ailleurs, comme à Mantes-la-Ville ou Cogolin, les maires frontistes en ont aussi profité pour recruter de nouveaux policiers municipaux et renforcer les dispositifs de vidéosurveillance, quand ils n'ont pas tout simplement décidé d'augmenter leurs indemnités.
"Ne pas faire de vague"
"Mais pour le reste, ils ne font rien, absolument rien à part repeindre les passages cloutés. Ils surfent sur ce que l'ancienne municipalité a laissé", explique Michel Dallari de Cogolin. "Je pense qu'ils ont eu une consigne de ne pas faire de vague, de ne pas bousculer les choses", ajoute l'opposant local. "Je ne me mets pas en avant, je reste discret", confirme le maire Marc-Etienne Lansade.
Cette volonté de ne pas faire d'écart est également visible à Villers-Cotterêts. "Le maire a d'autres ambitions que la mairie. Il veut être député et pourquoi pas ministre en 2017 donc il ne veut commettre aucun dérapage, ne pas faire d'autres erreurs", assure l'opposant Jean-Claude Pruski. "Le maire est très formaté, il est très sous contrôle et essaie de se retenir mais c'est compliqué pour lui, abonde Christophe André à Beaucaire. Ce n'est pas ce qu'attendent les électeurs. Ils veulent qu'ils soient les magiciens de la gestion de la collectivité."
Là réside en effet le plus grand risque pour le Front national: ne pas parvenir à faire mieux que le parti socialiste ou l'UMP. Marine Le Pen perdrait alors l'un de ses principaux arguments en vue de la présidentielle. Alors comment ces maires comptent-ils se différencier d'ici à 2020? "Nous allons tenir nos promesses de campagne, quitte à faire des choses qui ne se voient pas", répond Franck Briffaut. "Nos élus disent ce qu'ils font et font ce qu'ils disent", abonde un cadre frontiste.
Marine Le Pen, elle, ne voit que le résultat des urnes. "Je pense que les administrés sont assez contents si j'en crois les résultats des européennes dans ces villes", souriait la présidente du FN, il y a une dizaine de jours.
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