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lundi 27 octobre 2014

Mélenchon : «Comment pouvait-on prévoir l'ampleur des mensonges de Hollande ?»

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Mélenchon : «Comment pouvait-on prévoir l'ampleur des mensonges de Hollande ?» 

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    FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - A l'occasion de la parution de son livre L'ère du peuple, et alors que la gauche traverse une crise profonde, le fondateur du Parti de Gauche a accordé un long entretien à FigaroVox.
                                                                   

    Ancien ministre délégué à l'Enseignement professionnel, Jean-Luc Mélenchon a été coprésident du Parti de Gauche jusqu'en août 2014. Il a été réélu député européen en mai dernier. Dans «L'ère du peuple» (Fayard, 144 pages, 10 €), il revient sur sa vision de la politique et de la société.
    FigaroVox: Dans votre dernier livre L'ère du peuple, vous écrivez, «Salaire, santé, retraites, services publics, protections du droit du travail, organisation républicaine de l'Etat, indépendance nationale et combien d'autres choses essentielles ont été davantage dévastés par Hollande que par aucun de ses prédécesseurs de droite.» Avec le recul, pensez-vous avoir commis une erreur en appelant à voter Hollande entre les deux tours de la présidentielle?
    Jean-Luc MÉLENCHON: Que pouvais-je faire d'autre? Au deuxième tour de l'élection présidentielle, il n'y a que deux candidats. Au premier tour, on choisit, au deuxième tour, on élimine. Nous voulions battre Nicolas Sarkozy pour en finir avec sa politique. Comment pouvait-on imaginer queFrançois Hollande trahirait aussi vite, aussi grossièrement, aussi totalement ses électeurs? Comment pouvait-on prévoir qu'on battrait Sarkozy mais qu'on aurait la même politique en pire? Comment deviner que la dilution du sentiment patriotique atteindrait le sommet auquel Hollande l'a porté? Comment prévoir l'ampleur de ses mensonges et de sa servilité à l'égard du gouvernement allemand?
    Pourquoi continuez-vous à inscrire votre combat politique dans le traditionnel clivage droite/gauche alors que de votre aveu même celui-ci apparaît totalement obsolète? Des mouvements et des formations politiques étiquetés à droite partagent une grande partie de vos convictions sur la souveraineté populaire et même sur l'écologie. Pourquoi ne pas leur parler également?
    Vous m'aurez mal lu. Je suis un homme de gauche. Mais je vois bien que les mots ont été pervertis du fait de la politique de François Hollande. Aujourd'hui quand on dit qu'on est de gauche, les gens pensent qu'on soutient Hollande et Valls alors qu'ils mènent une politique libérale! La grande leçon du moment est là. Pour le peuple, «la gauche et la droite c'est pareil».
    Le système n'a plus peur de la gauche: il la digère. Mais il a toujours peur du peuple! C'est ce que j'explique dans le livre. Je préfère désormais me dire «du peuple» pour aborder les problèmes sous un autre angle. Notre époque est celle de la lutte du peuple contre l'oligarchie.
    C'est le sens de la bataille pour la convocation d'une Assemblée constituante et la 6e République. Je m'adresse à tous mes concitoyens. Quelle que soit son option politique, tout le monde peut venir signer pour la 6e République sur le site internet! J'essaie de convaincre. Mon projet n'est pas bon parce qu'il est de gauche. Il est bon parce qu'il sert le peuple, l'intérêt général humain et celui du pays. C'est pourquoi en effet des concitoyens qui ne sont pas de ma famille politique m'apportent souvent leur soutien. Notamment dans des métiers spécifiquement liés a l'État et a la nation comme l'armée, la diplomatie, les corps d'ingénieurs.
    Selon vous, le monde n'est pas confronté à une crise, mais à un «changement total de trajectoire de l'histoire de l'humanité». Quels sont les principaux bouleversements qui transforment notre civilisation?
    Nous sommes face à trois bifurcations. Le changement climatique est commencé et ses effets sont déjà en partie irréversibles. La hiérarchie des puissances est en plein bouleversement: les Etats-Unis sont en train de perdre le leadership mondial au profit de la Chine et plus largement des Brics (ndlr: Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud). Cela pose de nouveaux problèmes: comment gérer la fin de l'hégémonie du dollar? La France restera-t-elle la cinquième roue du carrosse états-unien jusqu'à ce qu'il se transforme en citrouille? Enfin, nous sommes passés de 2,5 millions à 7 millions d'êtres humains en 60 ans et 80% de la population vit désormais en ville! C'est ce monde absolument neuf qu'il faut penser: nous ne reviendrons jamais au monde d'avant.
    L'ère du peuple est aussi le fruit de votre rencontre avec l'écologie politique. La vision traditionnellement productiviste du Parti communiste est-elle vraiment compatible avec votre vision?
    On aurait tort de sous-estimer la mutation à l'œuvre chez les communistes sur ce sujet. Ils ont beaucoup plus bougé que le PS par exemple! Mais trop souvent, l'écologie reste une couche dans les programmes. Or elle doit charpenter tout notre projet.
    L'écologie politique refonde toute la pensée de gauche. L'enjeu climatique valide toutes nos intuitions philosophiques. Il existe un intérêt général humain. Donc nous sommes tous semblables. Donc nous sommes égaux en droits. Et pour agir dans cet intérêt général humain nous avons besoin de la démocratie, et de la République pour que chacun dise ce qui est bon pour tous. Et il existe des biens communs que nous devons prendre en charge collectivement comme l'affirment le communisme et le socialisme. Voilà pourquoi je parle d'éco-socialisme.
    Il faut être pragmatique: l'écologie politique est nécessairement anti-capitaliste. Comment peut-on changer les modes de production, de consommation et d'échange sans intervention publique dans l'économie pour l'orienter? Comment faire la transition écologique sans mettre un terme à la domination court-termiste des marchés? Comment faire les investissements nécessaires sans affronter les exigences de rentabilité de la finance? C'est impossible.
    Comme vous le reconnaissez-vous-même, l'écologie politique défendue par la majorité des Verts est «culpabilisatrice et moralisante ne tenant pas toujours compte du fait que pour les plus modestes la plupart des consommations incriminées sont contraintes». Comment sortir de cette vision punitive de l'écologie. Quelles sont les alternatives?
    Il faut donner un horizon. La planification écologique que je propose, c'est un formidable défi intellectuel, technique, scientifique pour nos ouvriers, nos ingénieurs, nos techniciens. Commençons par introduire dans la Constitution la «règle verte»: on ne prend pas plus à la planète qu'elle n'est capable de reconstituer. Dans tous les domaines, c'est remettre l'imagination au pouvoir.
    Il faut voir grand pour le pays! Nous avons le deuxième territoire maritime du monde. L'entrée en mer de l'humanité a commencé sur un mode productiviste qui saccage tout. Mais l'économie de la mer pourrait être un puissant levier pour une relance écologique de l'activité: exploiter les sources d'énergies renouvelables marines, construire et déconstruire proprement des navires, développer une aquaculture non productiviste, renforcer la recherche sur les biotechnologies marines. Nous avons un trésor à portée de main!
    Sur le plan international, vous fustigez la dérive atlantiste de l'Europe et de la France. Si, comme vous le démontrez, la politique des néo-conservateurs américains a largement contribué à nourrir la montée des extrémismes dans le monde, peut-on pour autant nier le danger que représente aujourd'hui l'islam radical. Comment combattre cette menace?
    Comment pourrais-le nier? En Tunisie, ce sont les nôtres qui sont morts sous les balles des islamistes.
    Mais soyons sérieux. Qui a créé, armé et financé al-Qaida? Qui a embrasé le Moyen-Orient en détruisant l'Irak? Qui a soutenu le gouvernement fantoche en Irak qui a tant poussé les sunnites dans les bras de «l'Etat islamique»? Les Etats-Unis d'Amérique. Et quand interrogerons-nous nos alliés comme la Turquie, le Qatar ou l'Arabie saoudite sur leur soutien à ce groupe terroriste? Arrêtons de suivre ceux qui ont construit et alimenté depuis des années ces groupes. Coupons les financements. Et traitons le problème à la racine: trouvons les solutions politiques aux problèmes sans fin sur lesquels prospèrent les groupes.
    Surtout, ne nous laissons pas embarqués dans un prétendu «choc des civilisations» où chacun serait assigné à résidence selon sa prétendue religion. Les Français de confession musulmane n'ont pas à s'excuser pour des crimes dont ils ne sont pas responsables. A-t-on demandé aux évêques de s'excuser parce qu'un chrétien fanatique à tué 77 personnes en Norvège?
    Dans L'ère du peuple vous défendez l'idée que «les masses urbaines» vont «faire peuple» et se soulever contre l'oligarchie. Or dans La France périphérique, le géographe Christophe Guilluy montre qu'en Europe, ces «masses urbaines» sont profondément divisées. Selon lui, aujourd'hui, pour fonctionner, «la machine économique» a besoin de cadres qui travaillent dans des secteurs de pointe et d'immigrés à exploiter dans les services, le tout réunis dans les grandes métropoles. Les autres catégories sont rejetées à la périphérie. Que faites-vous de ce constat?
    Je partage les prémices de cette description. C'est le résultat de la spatialisation du capitalisme. La ville et les territoires sont façonnés par le capitalisme, sa forme financiarisé, sa manière d'organiser la vie en société: ici les bureaux, là les logements, ailleurs le centre commercial, et toujours plus loin ceux qui ne sont pas assez rentables.
    Guilluy part des mêmes prémices que moi: l'effondrement de la classe moyenne, du tissu industriel des villes moyennes, et du système politique soutenu par ce système avec ses deux grands partis PSet UMP. Ces populations payent le prix du capitalisme financier et du libre-échange généralisé. En proposant un protectionnisme solidaire, la définanciarisation de l'économie et la relocalisation des productions, j'apporte une réponse. La réforme territoriale proposée par François Hollande va encore accentuer la compétition des territoires et donc des populations. On connait la suite: le sentiment d'abandon avec des méga-régions lointaines et des métropoles qui phagocytent tout. La 6e République devra aussi ouvrir une nouvelle page de l'égalité sur tout le territoire! La réforme territoriale est un sujet de constitution par un bricolage entre bons copains politiciens.
    Comme vous le rappelez, la France est une nation universaliste fondée sur un contrat politique et non sur une ethnie comme l'Allemagne. Certes, mais ce contrat politique implique l'adhésion à une culture, une histoire, à certaines valeurs, des droits, mais également des devoirs. Or aujourd'hui, comme le montre notamment un certain nombre de tensions communautaires, le contrat politique est de moins en moins respecté, les valeurs de moins en moins partagées. La crise de l'intégration que nous traversons est pourtant étrangement absente de votre discours politique. Pourquoi faites-vous l'impasse sur cette question? Niez-vous l'existence de cette crise?
    Je ne suis pas d'accord avec vous. Etre français, ce n'est pas cela. Etre français c'est être citoyen de la République française. C'est beaucoup plus que tout ce que vous dites. C'est-à-dire jurer «Liberté-Egalité-Fraternité» et accepter la loi car elle est décidée par tous. Il y en a assez de demander à des Français s'ils sont français comme il faut! Cette logique inquisitoriale et identitaire va détruire la Nation. Elle n'est pas républicaine.
    S'il y a une crise d'identité dans le pays, c'est parce que l'oligarchie travaille à détruire son identité républicaine! Comment se fait-il que le peuple ait été expulsé du pouvoir par la monarchie présidentielle et la Commission européenne? Pourquoi certains dorment-ils dehors alors que la France est plus riche que jamais? Vous voudriez la fraternité, mais où est la liberté, c'est-à-dire la souveraineté du peuple? Où est l'égalité? Voila les questions auxquelles il faut répondre si nous voulons vivre ensemble. La Nation sera refondée et réincorporée par chacun quand la constituante sera convoquée et que chacun s'emparera de ces débats.
    Le soir des européennes, vous avez déclaré «Le clivage dans ce pays n'est plus social, mais ethnique!». Quelles conclusions en tirez-vous? Comment dépasser ce nouveau clivage?
    Je faisais un constat. Le volcan s'est ouvert du mauvais côté. Mais ce clivage ethnique est une diversion organisée et entretenue. Mme Le Pen est le chien de garde du système. Elle est là pour expliquer que le problème c'est l'immigré et pas la finance. Hier, ils accusaient les juifs, maintenant les musulmans. Le but est simple: diviser le peuple et détourner son attention pour que l'oligarchie puisse continuer à s'en mettre plein les poches. C'est la fonction traditionnelle de l'extrême-droite.
    Comment répondre? En fédérant le peuple. C'est-à-dire en l'unissant sur ses revendications sociales et démocratiques. Qu'ils habitent en banlieue ou en Lorraine, que veulent les gens? La même chose! Un boulot pour vivre dignement de leur travail, des services publics qui marchent, un accès aux réseaux... Et ils ont en commun d'être systématiquement méprisés par l'oligarchie qui a confisqué le pouvoir. C'est en quelque sorte une nouvelle alliance des opprimés que nous devons construire, celle du peuple contre l'oligarchie! Voilà pourquoi la lutte pour l'Assemblée constituante et la 6e République est centrale. La Constituante, c'est la refondation du peuple, et de la France elle-même.
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