POLITIQUE - "C'est un projet qui n'apporte aucune plus-value, qui introduit de la complexité, repose sur une grande part d'angélisme et lance un message de laxisme dangereux pour la sécurité." En une phrase, le député UMP et ancien magistrat Georges Fenech a résumé toutes les attaques lancées par l'opposition contre la réforme pénale de Christiane Taubira. Elle est débattue à partir de ce mardi à l'Assemblée.
Angélique, laxiste... deux mots que la ministre de la Justice est sommée de récuser à longueur d'interview depuis son arrivée place Vendôme en mai 2012. "En quoi suis-je laxiste?", réplique la Garde des Sceaux. "Depuis deux ans c'est magique: j'entends ça tous les jours mais personne ne me donne un seul exemple. On m'accuse de vider les prisons, alors qu'on vient de battre deux fois des records de surpopulation carcérale", se défend-elle dans une interview au Parisien.
"J'ai pêché par naïveté", confesse Jospin
Si ce procès revient sans cesse contre Christiane Taubira, c'est qu'il est ancré dans l'esprit de la droite depuis de longues années. Pour comprendre ces accusations, il faut revenir à la période Lionel Jospin. C'est notamment un aveu de l'ancien premier ministre socialiste qui prête le flan à ces attaques. Nous sommes en mars 2002, à quelques semaines de la présidentielle et celui qui est candidat PS fait cet aveu: "Sur la question de l’insécurité, j’ai pêché par naïveté. Je me disais pendant un certain temps que si on fait reculer le chômage, on fera reculer l'insécurité. Or 928.000 personnes ont retrouvé un emploi et cela n'a pas d'effet direct sur l'insécurité", lâchait le chef du gouvernement.
De retour au pouvoir, la droite n'avait pas manqué de critiquer le bilan socialiste en la matière. "Entre 1997 et 2002, la délinquance générale a augmenté de 17%", avait coutume de rapporter les ministres de l'Intérieur successifs, de Nicolas Sarkozy à Claude Guéant en passant par Brice Hortefeux. Graphique à l'appui, la droite mettait en exergue le terrible bilan des années Jospin.
En évitant soigneusement de rappeler, comme le sociologue Laurent Mucchielli l'a souligné, que "le gouvernement Jospin a créé du lien entre la police et la population avec la police de proximité. Ce qui a, mécaniquement, augmenté le nombre de plaintes".
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Lors de l'élection présidentielle suivante, en 2007, Ségolène Royal a bien essayé de convaincre que la gauche avait changé. Elle promettait notamment l'encadrement militaire pour les jeunes délinquants. Mais son slogan de "l'ordre juste" n'avait pas fait que des heureux au PS où la candidate ne soulevait pas l'enthousiasme sur ce thème.
"Les socialistes n'ont pas tiré les leçons de 2002"
En 2010, alors que Nicolas Sarkozy lance une offensive très décriée à l'occasion de son discours de Grenoble, les réactions d'indignation de la gauche suscitent également un tir nourri de l'UMP. "Les socialistes veulent rester enfermés dans leur tranquille naïveté, comme au bon vieux temps de Jospin", tance le ministre Christian Estrosi. "Les socialistes n’ont pas tiré de leçon de 2002, ils n’ont rien appris, rien compris", lançait ainsi en 2010 Frédéric Lefebvre alors porte-parole de l'UMP. "Le PS reste totalement naïf face aux problèmes de sécurité", abondait Nadine Morano, l'accusant de ne rien proposer depuis 1997.
"La ligne laxiste ne doit pas l'emporter au PS", lance alors Ségolène Royal quelques mois avant sa déclaration de candidature pour la primaire socialiste de 2011.
En conséquence, François Hollande a dû, durant la campagne de 2012, refaire le travail et prouver que la gauche avait changé. "Nous sommes sortis de l'idée qu'il y aurait d'un côté la droite, qui s'occuperait de la sécurité, et de l'autre la gauche, qui s'occuperait de l'économie et du social", lançait le candidat socialiste à la présidentielle. Il en voulait pour preuve que la police et la justice font partie, avec l'éducation, des seuls domaines préservés des coupes de fonctionnaires.
"Une rengaine démodée", selon le PS
Mais là encore, rien de suffisant. Dès l'installation de Christiane Taubira, les critiques pleuvent à nouveau. Exemple dès le 22 mai quand la ministre de la Justice annonce son intention de supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs. Christian Jacob dénonce aussitôt son "angélisme" quand Jean-François Copé y voyait une des raisons de la montée à venir du Front national.
Depuis deux ans, tous les sujets de clivage dans la majorité sont bons pour la droite pour critiquer le laxisme d'une partie de la gauche: salle de shoot, dépénalisation du cannabis, affaire Leonarda, campements de roms sont autant de sources d'affrontements. "La gauche n’a pas toujours le sens des réalités et semble avoir oublié les leçons des années Jospin", tançait à cette période l'ancien ministre socialiste de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement.
Mais au PS, où la ligne Valls n'a pas toujours plu, et plus encore dans l'entourage de François Hollande, on assure que la mue est désormais totale. "Le procès en laxisme instruit par la droite est une rengaine démodée. La gauche est devenue réaliste d'autant que le PS compte beaucoup d'élus locaux confrontés quotidiennement aux questions de délinquance", assurait en 2013 le sénateur socialiste de l'Isère André Vallini.
Le débat sur la réforme pénale prouve que tout le monde n'est pas convaincu.
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