Au nom de la lutte contre le terrorisme et face au désir croissant de sécurité, le monde entier s'est lancé dans une course aux technologies de surveillance. Aujourd'hui, plus d'un milliard de caméras sont actives dans le monde. La Chine, pionnière dans le domaine, trace les nouvelles « Routes de la soie numériques » de l'Est à l'Ouest pour promouvoir son modèle de surveillance et en étendre l'influence. Avec la reconnaissance faciale et le contrôle des messageries privées, les limites de la surveillance deviennent floues et, avec elles, nos libertés individuelles…
Pionnière dans l'industrie technologique de la vidéosurveillance, la Chine compte aujourd'hui près d'une caméra pour deux citoyens. En 2008, Xi Jinping, alors vice-président de la République populaire de Chine et responsable des Jeux olympiques de Pékin, a mis en place un vaste réseau de caméras et un système de contrôles vocaux. Selon le sinologue Alain Wang, « il met en place la première dictature numérique au monde ». Dans le cadre du projet SCS (Système de crédit social), la Chine est passée de 100 millions de caméras en 2013 à 600 millions en 2020. Théorisé par un chercheur chinois, Lin Junyue, le SCS vise à identifier les bons et les mauvais citoyens afin d'instaurer une harmonie sociale par la surveillance (voir LSDJ n°2164). Les données sont calculées « sur la base des informations obtenues par tous les moyens disponibles aux autorités : délation, vidéosurveillance, décisions de justice, réseaux sociaux », souligne l'institut Thomas More. Une liste noire, qui rappelle le régime totalitaire imposé par le président Mao Zedong jusqu'à sa mort en 1976, recense les citoyens ayant de mauvaises notes, qui se voient par exemple interdits de voyager. Aujourd'hui, plus de 20 millions de citoyens chinois seraient placés sur cette liste noire. En 2024, l'infrastructure de vidéosurveillance chinoise représente environ 50 % de celle déployée dans le monde.
Le système de crédit social chinois est destiné à s'étendre au-delà des frontières. Le Chili, le Sri Lanka, le Cambodge et même la Pologne seraient intéressés par ce modèle. Lin Junyue exprime ouvertement son ambition d'internationaliser cette méthode : « Nous avons développé une technologie efficace, et j'espère pouvoir l'exporter dans un pays capitaliste. La France, par exemple, devrait adopter notre système de crédit social pour mieux gérer ses mouvements sociaux. Il n'y aurait jamais eu les Gilets jaunes, car nous aurions pu anticiper de tels mouvements. » Par ailleurs, la Chine développe un vaste projet nommé Les nouvelles routes de la soie numérique, avec un investissement de 1 000 milliards de dollars. Elle vise notamment à avoir le contrôle sur les câbles Internet sous-marins afin d'assurer sa souveraineté numérique et de dominer les télécommunications. Cette domination permet ainsi à la Chine d'influencer le discours mondial et d'imposer sa vision. Entre 60 et 80 pays, dont la France, pourraient ainsi bénéficier de ses technologies de surveillance.
Depuis le début de l'ère marquée par les attentats terroristes, au tournant du siècle, certains pays ont mis en place des systèmes de surveillance avancés, souvent en franchissant les limites légales au nom de la sécurité. Par exemple, en France, la loi ne permet pas aujourd'hui l'utilisation de la reconnaissance faciale sur la voie publique, mais il existe néanmoins un flou juridique sur ces questions. À Nice, une expérimentation a déjà eu lieu à l'initiative du maire, Christian Estrosi, visant à faire de la ville une safe city (une « ville sûre » grâce à la technologie), en utilisant l'intelligence artificielle pour identifier les individus en temps réel. Le projet a fait polémique, et des associations de défense des libertés dénoncent l'absence de cadre juridique pour de tels dispositifs. Depuis 2016, le fichier des Titres électroniques sécurisés (TES) détenu par le ministère de l'Intérieur centralise les données biométriques des citoyens français. Pour l'avocat Jean-Philippe Souyris, ce système est soumis à des risques de piratage des données et porte atteinte aux libertés individuelles : « Un tel fichier faciliterait par exemple la mise en place d'une surveillance généralisée par l'État » (voir LSDJ n° 1160). La reconnaissance faciale a récemment refait surface en vue des Jeux olympiques de Paris, où le gouvernement envisageait de légaliser la vidéosurveillance algorithmique (VSA) pour des raisons de sécurité, suscitant une campagne d'opposition d'Amnesty International. Aux États-Unis, une situation similaire s'est produite avec le Patriot Act instauré après le 11 septembre 2001, qui a prolongé jusqu'en 2020 des mesures de surveillance censées durer quatre ans.
Dans l'Union européenne, le contrôle numérique prend de l'ampleur avec la proposition de règlement CSAM (pour Child Sexual Abuse Material), surnommée « Chat Control ». Ce texte, visant à combattre les contenus pédopornographiques, propose une analyse automatique des contenus des téléphones des citoyens européens, y compris sur des messageries privées comme WhatsApp, Signal et Telegram. Ce projet controversé a suscité de nombreux débats, et un vote clé qui était prévu le 20 juin dernier a été reporté en raison de désaccords persistants. Plusieurs acteurs, tels que la messagerie Proton et Meredith Whittaker, dirigeante de la Signal Foundation, ont vivement dénoncé ce règlement, arguant qu'il porte gravement atteinte à la vie privée. Whittaker a même menacé de retirer Signal du marché européen. Dans ce contexte, l'arrestation en France, le 24 août dernier, de Pavel Durov, patron de Telegram, a également alimenté les discussions. La justice l'accuse de ne pas lutter efficacement contre les activités criminelles utilisant sa plateforme (voir LSDJ n° 2255).
En parallèle, les réseaux sociaux sont accusés de pratiquer une « censure politique », avec des suppressions arbitraires de contenus et de comptes liés à des opinions politiques. Ces faits ont conduit plusieurs élus à interroger la ministre de la Culture, Rachida Dati, qui a répondu : « Je lutte contre les fake news » (les informations mensongères). Pour certains, cette évolution s'apparente déjà à une « dictature 2.0 ».
Clothilde Payet
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