L'obligation de quitter le territoire français (OQTF) est une décision du préfet à l'encontre d'un étranger entré illégalement, ou s'étant vu refuser la délivrance d'un titre de séjour. La France est le pays d'Europe qui en prononce le plus, mais leur taux d'application n'est que de 10 %. Une statistique qui en dit long sur l'inefficacité chronique de cette mesure administrative...
La France serait-elle plus rigoureuse envers les étrangers qu'on ne le dit ? Elle est en tout cas leader européen du nombre d'obligations de quitter le territoire : 137 730, en 2023. À titre de comparaison, l'Espagne qui arrive juste derrière en a prononcé moins de 65 000. Chiffre record donc mais taux d'application bas — bien plus que celui de nos voisins européens. Dans une interview à Valeurs Actuelles, en 2019, Emmanuel Macron promettait d'atteindre les 100 % d'application. Dans la réalité néanmoins, tout l'en empêche...
Dans un rapport datant de janvier 2024, la Cour des Comptes évalue à une « toute petite minorité » – autour de 10 % – le taux d'OQTF appliquées. Lorsqu'une procédure d'expulsion est enclenchée au motif d'une menace à l'ordre public, elle est exécutée dans 23 % des cas, 45 % lorsque c'est en raison d'une condamnation pénale. Une OQTF délivrée après un refus de titre de séjour ne se conclut que dans 2 % des cas par une expulsion. Il faut donc comprendre qu'il y a, en réalité, deux types d'OQTF : avec et sans délai. Les premières, sont une invitation à quitter le territoire sous 30 jours par ses propres moyens. Ce n'est qu'après ce délai que l'étranger, s'il n'est pas parti, peut être placé en centre de rétention administrative (CRA), en vue d'être expulsé par l'administration. Les secondes concernent des individus immédiatement placés en CRA : en général, ils représentent une menace pour l'ordre public. Les autorités disposent alors d'un délai de 90 jours, durée maximale de rétention administrative, pour procéder à l'expulsion.
Cependant, l'administration n'a pas le dernier mot. Plusieurs recours (souvent avec effet suspensif) sont possibles devant les instances juridiques et c'est sur cela que jouent une myriade d'associations : Cimade, France terre d'asile, Utopia 56, Mrap, etc. (Voir LSDJ 25/05/2024). Sur la base des chiffres officiels, Atlantico a estimé l'ensemble des subventions qu'elles reçoivent de l'État à un minimum d'1,2 milliards d'euros en 2023. Alors même qu'elles investissent ainsi les préfectures et les tribunaux paralysant chaque décision d'expulsion. Les contentieux des étrangers représentaient 41 % des affaires des juridictions administratives en 2021.
Comme le rappelle un article de Libération, bien que l'étranger puisse contester son expulsion devant le tribunal administratif du lieu, il a plutôt intérêt à attaquer la décision portant sur refus de titre de séjour. Dans le cadre d'un recours en excès de pouvoir, il peut contester simultanément « l'obligation de quitter le territoire et le pays de destination où la personne va être renvoyée ». Une fois placé en centre de rétention administrative, l'étranger peut encore « exercer un recours devant le juge des libertés et de la détention » et « saisir ce juge à chaque fois que son placement sera renouvelé ». Un ultime recours est possible devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) dont les décisions s'imposent au droit national. Selon le journal, classé à gauche, les expulsions prononcées sont simplement trop nombreuses et souvent disproportionnées. Pour les appliquer, il faudrait déjà mieux les cibler.
Le refus des pays d'origine de délivrer un laissez-passer consulaire (document permettant le rapatriement de leurs ressortissants ne disposant pas de passeport) pose un autre problème majeur. Souvent invoqué pour défendre l'inapplicabilité des OQTF, cet obstacle serait probablement surmontable si l'État renforçait sa pression sur les pays réfractaires : réduction du nombre de visas accordés aux ressortissants étrangers, abrogation de l'accord franco-algérien de 1968, limitation des sommes autorisées par virement Western Union depuis la France ou encore remise en cause de l'aide publique au développement (qui représente plus de 600 millions d'euros annuels pour le Maroc et plus de 100 millions pour l'Algérie et la Tunisie)... Plusieurs actions concrètes sont envisageables.
Plus contraignant, certains étrangers ne sont tout simplement pas expulsables : mineurs, conjoints de Français depuis au moins trois ans, parents d'un enfant français, allocataires d'une rente d'accident du travail, patient nécessitant des soins en France, attestation d'un séjour régulier depuis au moins dix ans.
Les crimes commis par des individus faisant ou ayant fait l'objet d'une OQTF ont déjà fait payer un lourd tribut à la société française : meurtre sordide de la petite Lola, assassinat du professeur Dominique Bernard à Arras ou de la jeune Philippine en septembre dernier... Les exemples ne manquent pas. Solution radicale : un sondage mis en avant par Le JDD révèle que 78 % des Français sont en faveur de l'emprisonnement systématique et indéfini des personnes sous OQTF en attente de leur expulsion. Deux problèmes se posent : le délit de séjour illégal n'existe plus en France depuis la loi Valls de 2012 et le pays compte 78 000 détenus pour simplement 62 000 places de prison.
Alors, plutôt que de multiplier les expulsions, la France n'aurait-elle pas intérêt à concentrer ses efforts sur la prévention en amont, pour limiter les arrivées illégales ?
Martin Dousse
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