L'alliance entre les évangéliques blancs et les républicains a joué un grand rôle dans la vie politique aux États-Unis, contribuant également à l'essor de Donald Trump. Cette adhésion n'a pourtant pas été unanime, certains évangéliques modérés s'étant distancés de la droite. Par ailleurs, une récente étude universitaire révèle que 14 millions d'évangéliques pourraient ne pas voter du tout en 2024.
Quelle est la solidité de l'alliance entre Donald Trump et les évangéliques (blancs) américains, en apparence inébranlable ? Historiquement, l'alignement des évangéliques avec le parti républicain dure depuis l'élection de Ronald Reagan en 1980 : son influence ne s'est pas limitée à des questions internes, ayant parfois eu un grand impact sur l'attitude américaine au Moyen-Orient, étant donné que, pour beaucoup d'évangéliques, Israël joue un rôle clé, voire apocalyptique, dans leur vision du monde.
Le terme « évangélique » est généralement employé pour désigner des protestants conservateurs, dont les baptistes du Sud et diverses églises autonomes. Il exclut pourtant les protestants des confessions « mainline » telles que les anglicans épiscopaliens, les presbytériens, les luthériens ou les méthodistes, politiquement moins à droite. Une enquête du Pew Research Center réalisée en septembre dernier a révélé que 82 % des évangéliques blancs penchent vers Donald Trump, tandis que 86 % des protestants noirs sont favorables à Kamala Harris. Les groupes évangéliques ont joué un rôle clé dans l'élection de Trump en 2016 et sont très en vue aux conventions républicaines et rassemblements MAGA (Make America Great Again). Il semble d'ailleurs qu'une partie de la droite religieuse considère Trump comme rien de moins que « l'Oint du Seigneur ». Il y a quelques années déjà, de nombreux croyants de la « base » évangélique ont été attirés par le récit conspirationniste de QAnon, dont les partisans ont joué un rôle clé dans l'assaut du Capitole le 6 janvier 2021. La conviction centrale de QAnon, fondée sur des « informations » signées par un soi-disant initié appelé « Q », était que Trump menait une bataille quasi-messianique contre un groupe de trafiquants sexuels d'enfants, avec l'implication des élites démocrates. Plus récemment, le récit de l'ancien président comme sauveur est revenu en force chez certains évangéliques suivant la tentative d'assassinat de Trump en juillet dernier : sa survie a été interprétée par beaucoup, y compris par Trump lui-même, comme l'intervention de Dieu pour qu'il dirige l'Amérique une fois de plus...
Cependant, un examen approfondi révèle que l'adhésion des évangéliques au parti républicain n'est pas unanime. Pendant les mandats de George Bush Jr. (2001-2009), beaucoup de jeunes évangéliques se sont dissociés de l'alliance inconditionnelle avec les républicains. Ils se sont orientés vers des questions de justice sociale (mises en avant par des magazines tels que Sojourners) et ont voté en nombre non négligeable pour Barack Obama en 2008 et 2012, faisant appel à l'héritage de Jimmy Carter, autrefois considéré comme l'« évangélique en chef » de l'Amérique mais néanmoins démocrate progressiste.
En décembre 2019, Mark Galli, de l'éminente publication évangélique Christianity Today – fondée par Billy Graham –, a créé une vive controverse en appelant à la destitution du président Trump pour conduite immorale. Réprimandé par des centaines de dirigeants évangéliques, Mark Galli a maintenant intégré l'Église catholique, mais des préoccupations similaires aux siennes sont réapparues chez les « Evangelicals for Harris » (qui utilise un clip vidéo de Billy Graham dans son matériel publicitaire, provoquant une division parmi les membres de sa famille). Ce groupe reflète le dilemme de nombreux évangéliques modérés. D'un côté, on pourrait penser que leur conservatisme théologique les inclinerait vers les républicains sur des questions sociales comme l'avortement. De l'autre côté, ce même conservatisme théologique est répugné par l'aspect sordide des déboires judiciaires de Donald Trump, par sa vulgarité et son dénigrement de ses adversaires, aggravés par ses tentatives de courtiser le vote religieux. Les Evangelicals for Harris soulignent que Trump n'est pas connu pour sa piété, alors que Kamala Harris appartient à la Third Baptist Church de San Francisco et a consulté son pasteur concernant sa candidature présidentielle. Ils ne sont pourtant pas les seuls à être indignés par la publication de la God Bless The USA Bible, promue par Trump, au prix de 60 dollars (1 000 avec sa signature), qui lui aurait rapporté 300 000 dollars. Elle inclut non seulement le texte biblique mais aussi la Déclaration d'indépendance américaine ainsi que le serment d'allégeance au drapeau – un amalgame de l'Église et de l'État que même certains évangéliques de droite ont jugé blasphématoire.
Ces critiques envers Trump seraient sans doute partagées en privé par beaucoup de ceux qui, évangéliques et autres, sont certes embarrassés par l'ancien président mais se sentent obligés de voter pour son programme contre un parti démocrate ayant pris, selon eux, un virage trop à gauche, surtout depuis la campagne de Hillary Clinton en 2016. Un récent rapport de l'université chrétienne de l'Arizona suggère pourtant qu'un très grand nombre de chrétiens pratiquants – 32 millions, dont 14 millions d'évangéliques –, ne voteront tout simplement pas lors des élections. Parmi les raisons citées, 57 % des personnes interrogées ont expliqué que les candidats leur déplaisent. Des abstentions qui, selon le chercheur George Barna, « changent la donne ». On verra bien dans quel sens.
Peter Bannister
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