Si je pivote ma chaise à roulettes ou ma tête de 45° sur la gauche, se dressent devant mes yeux : - du verre transparent, très propre (la façade de l’immeuble dans lequel je travaille) ; - du verre transparent, mi-hauteur (ce parapet nous retient de sauter de la terrasse du septième étage) ; - du verre transparent, parfois obscurci par des stores (l’immeuble d’en face, genre d’organisme bancaire, moquette géométrique). 45° sur ma droite, une enfilade de petites pièces à l’éclairage tamisé et équipées de sièges confortables en tissu chiné. On rêverait de s’y laisser aller à une sieste, à un café, ou de s’y recroqueviller pour hurler dans nos genoux. C’est feutré, mais c’est traître : ces îlots sont au centre de l’open space et eux aussi sont vitrés. Que pourriez-vous vouloir cacher ? En cas de doute, le sujet des réunions qui s’y déroulent est même indiqué sur des tablettes numériques fixées aux portes ( « BILAN PÉRIODE D’ESSAI »). Cette obsession architecturale de la transparence ne peut être qu’une question de luminosité – on s’imagine mal inscrire « Complot visant à déstabiliser cette société » sur lesdites tablettes. François Dupuy, un sociologue des organisations, parle de « mythe de la clarté » en entreprise. Selon lui, la « recherche frénétique de clarté » est surtout une façon de se rassurer lorsque tout, autour, est incertain. A cette théorie, je préfère le parallèle qui est souvent fait entre l’open-space, où tout se voit et se sait, et la prison organisée sur un mode panoptique, où l’on se surveille soi-même car on sait qu’on est vu. « Le dispositif panoptique est à la société disciplinaire ce que l’open-space est à la société de contrôle », lit-on dans « Comment (se) sauver (de) l’open-space » (par Elisabeth Pélegrin-Genel, programme inspirant à feuilleter dans une pièce vitrée). A quel point cette transparence infuse-t-elle sur nous et sur nos corps, transformant les peuples des open-space en petites vitres en plexi, à travers lesquelles on voit et qu’on courbe à l’envi ? Je repense à ce narrateur de « Feu », le dernier roman de Maria Pourchet. Un quinqua cynique qui ne tient à rien de plus qu’à son chien, et qui travaille dans un groupe du CAC40 qu’il appelle la Banquise. Sur son iceberg, la transparence se doit d’être affichée sur les visages – il s’interdit donc de porter une barbe. Drame de la transparence : pas de pitié pour les mentons laids. |
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