« Balance ton quoi », chantonne la Belge Angèle de sa voix de bonbon. Balance ton porc, bien sûr. Mais aussi : balance ta rédaction, balance ta start-up, balance ton cabinet, ton école d’art... Quand on tape le mot « balance » dans un moteur de recherche, il semble pouvoir se décliner à l’infini, s’ouvrir à un champ illimité de complèments d’objet direct. Aucune raison pour que le secteur du livre échappe à cette grande opération « mains propres » - et surtout « mains moins baladeuses » - née dans le sillage du mouvement #metoo, pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles dans différents milieux professionnels.
Début avril, «
balancetonediteur » a ainsi vu le jour sur Instagram. Créé par une groupe de personnes travaillant ou ayant travaillé dans l’édition, ce compte répertorie les saillies racistes, homophobes et misogynes qui auraient été entendues dans la « sphère littéraire ». Florilège :
- « Oh là là ! Mais qu’est-ce qu’on s’en fout que ce soit homophobe, tant que c’est bien écrit ! » (chez Gallimard)
- « Toi, t’es ma petite salope exotique. » (chez Flammarion)
- « Non, mais on le sait, les enfants noirs en couverture, ça vend cinq fois moins. Pardon, hein, mais c’est comme ça. » (chez Média Diffusion)
- « Ah, si j’avais vingt ans de moins, je te montrerais ce que c’est de vraiment baiser. » (aux Editions Blanche)
Pas franchement de la grande littérature, on en conviendra. L’équipe derrière « balancetonediteur » espère que les propos qu’elle relaie permettront « à celles et ceux qui subissent ces mauvaises pratiques d’oser parler à leur tour, et que les maisons d’édition sauront entendre et prendre la mesure de la situation ».
Peu à peu, les langues se délient. Mercredi 21 avril,
Mediapart a publié une longue enquête sur Stéphane Marsan, patron des éditions Bragelonne, spécialisées dans les littératures de l’imaginaire. L’éditeur est accusé par de nombreuses femmes - autrices, traductrices, stagiaires... - de gestes déplacés, à connotation sexuelle, dans un cadre professionnel.
Mais il ne faut pas oublier que, depuis plus d’un an, ce sont des livres qui ont joué un rôle décisif, en France, dans la prise de conscience de l’ampleur des violences sexuelles : «
Le Consentement » de Vanessa Springora et «
la Familia grande » de Camille Kouchner. Loin d’être coupée du monde, l’édition en est la chambre d’échos, répercutant aussi bien les mots les plus viciés que les paroles émancipatrices. Et les secondes semblent enfin briser le silence qui entouraient les premiers.
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