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mardi 1 janvier 2019

Les Crises.fr - L’Occident lâche Julian Assange


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                                       Les Crises

26.novembre.2018 // Les Crises


L’Occident lâche Julian Assange



Source : Stefania Maurizi, Consortium News, 06-11-2018
6 novembre 2018
Alors que les médias se sont concentrés sur le chat de Julian Assange plutôt que sur sa détention arbitraire, les preuves montrent que la Grande-Bretagne a travaillé dur pour forcer son extradition vers la Suède, d’où Assange craignait d’être ensuite renvoyé aux États-Unis, comme l’explique Stefania Maurizi.
Commençons par le chat. Vous n’auriez jamais pensé qu’un de ces félins bien-aimés jouerait un rôle crucial dans l’affaire Julian Assange, n’est-ce pas ?
Et pourtant, regardez les dernières nouvelles parues dans la presse. Les gros titres des médias grand public ne parlaient pas d’un homme confiné dans un minuscule bâtiment au cœur de l’Europe depuis six ans, sans savoir quand cela se terminerait, mais plutôt d’ordres de Quito pour nourrir son chat. Voilà un homme qui risque sérieusement d’être arrêté par les autorités britanniques, extradé vers les États-Unis et poursuivi pour ses publications. Un homme qui a été coupé de tout contact humain, à l’exception de ses avocats, et dont la santé se dégrade sérieusement en raison d’un confinement prolongé sans même une heure à l’extérieur. Compte tenu de ce cadre, n’y avait-il rien de plus sérieux à couvrir que le chat ?
Mais il y a une histoire à raconter derrière le chat d’Assange. Une des dernières fois que j’ai été autorisée à rendre visite à Julian Assange à l’ambassade de l’Équateur à Londres, avant que le gouvernement actuel de Lenin Moreno ne coupe tous ses contacts sociaux et professionnels, j’ai demandé au fondateur de WikiLeaks si son chat avait déjà essayé de s’échapper de l’ambassade puisque, contrairement à son compagnon humain, il peut facilement s’échapper du bâtiment sans risque d’être arrêté par Scotland Yard.
Assange n’a pas pris ma question avec la légèreté à laquelle elle était destinée, bien au contraire, il s’est montré ému et m’a dit que lorsque le chat était petit, il avait en fait tenté de s’échapper du bâtiment, mais comme il avait grandi, il s’était tellement habitué au confinement que, chaque fois qu’Assange avait essayé de confier le chat à des amis proches pour que l’animal profite de sa liberté, il avait eu peur des grands espaces verts. Le confinement a un impact profond sur le comportement et la santé de toutes les créatures, animales comme humaines.
La force
J’ai travaillé en tant que partenaire média de WikiLeaks pendant les neuf dernières années, et au cours de ces neuf années, j’ai rencontré Assange à de très nombreuses reprises, mais je ne l’ai rencontré qu’une seule fois en homme libre : c’était en septembre 2010, le jour même où le procureur suédois a émis un mandat d’arrêt pour viol. D’abord assigné à résidence avec un bracelet électronique autour de la cheville, il est entré à l’ambassade de l’Équateur à Londres le 19 juin 2012. Depuis, il est resté terré dans cette petite ambassade : un bâtiment déprimant, très petit, sans soleil, sans air frais, sans une heure en plein air. Dans mon pays, l’Italie, même les chefs mafieux qui ont étranglé un enfant et dissous son cadavre dans un baril d’acide passent une heure dehors. Assange ne le peut pas.
Au cours de ces huit dernières années, je n’ai jamais entendu Julian Assange se plaindre ne serait-ce qu’une seule fois : au moins en ma présence, il a toujours réagi avec force à l’énorme stress qu’il a subi et chaque fois que j’ai contacté sa mère, Christine Assange, elle n’a jamais voulu discuter des détails de ses sentiments personnels et des préoccupations concernant la condition de son fils.
Mais malgré toutes ses forces, cette situation difficile mine gravement la santé physique et mentale d’Assange. Dans un éditorial paru dans The Guardian en janvier dernier, trois médecins respectés, Sondra S. Crosby, Chris Chisholm et Sean Love, ont tenté d’attirer l’attention sur ce problème, mais rien n’a changé. Assange reste confiné dans l’ambassade dans des conditions extrêmement précaires en raison de l’absence totale de coopération des autorités britanniques qui ont toujours refusé de lui offrir un passage sûr pour bénéficier de son asile en Équateur.
Ce manque de coopération de la part des autorités britanniques – qui peut être raisonnablement interprété comme un effort délibéré pour qu’Assange se sente impuissant, pour le démolir, pour qu’il sorte de l’ambassade et qu’ils puissent l’arrêter – a contribué à créer cette situation sans issue, l’Équateur essayant de trouver une solution avec diverses options, comme donner à Assange le statut diplomatique pour qu’il quitte l’ambassade protégé par une immunité diplomatique. Mais en fin de compte, un petit pays comme l’Équateur ne peut pas faire grand-chose, et avec Lenin Moreno au pouvoir, l’intérêt de l’Équateur pour la protection d’Assange semble s’estomper au point que l’Équateur envisage de retirer à Assange sa citoyenneté équatorienne, l’un des plus importants boucliers qui protège le fondateur de WikiLeaks contre son extradition vers les USA.
Un intérêt particulier du Royaume Uni ?
Ayant passé les trois dernières années à me battre dans quatre pays – la Suède, le Royaume-Uni, l’Australie et les États-Unis – pour avoir accès à toute la documentation sur l’affaire Assange et WikiLeaks selon la FOIA [Freedom of Information Act – loi d’accès à l’information NdT] j’ai acquis quelques documents qui ne laissent aucun doute quant au rôle joué par les autorités britanniques dans la création du bourbier juridique et diplomatique qui maintient Assange confiné à l’ambassade. Pourquoi les autorités britanniques l’ont-elles fait ? Quel intérêt particulier, le cas échéant, ont-elles dans l’affaire Assange ?
Je parle d’un « intérêt particulier » parce que les documents révèlent que dès le début de l’affaire suédoise, les autorités britanniques ont mis en garde les procureurs suédois contre la seule stratégie d’enquête qui aurait pu mener à une solution rapide de l’enquête préliminaire contre Assange : interroger le fondateur de WikiLeaks à Londres plutôt que l’extrader vers Stockholm. C’est cette décision d’insister à tout prix sur une extradition qui a conduit l’Australien à se réfugier à l’ambassade d’Équateur, se battant bec et ongles, convaincu que s’il était extradé vers la Suède, il pourrait finir extradé vers les États-Unis.
Des documents révèlent que les autorités britanniques ont qualifié l’affaire Assange d’inhabituelle dès le début. « Ne pensez pas que l’affaire est traitée comme une simple demande d’extradition », ont-ils écrit le 13 janvier 2011 aux procureurs suédois. Quelques mois plus tard, un fonctionnaire britannique ajoutait : « Je ne crois pas que cela se soit jamais produit, ni en termes de rapidité, ni en ce qui concerne l’aspect informel des procédures. Je suppose que cette affaire n’arrête jamais d’être stupéfiantes ». Quelle est la particularité de cette affaire ? Et pourquoi les autorités britanniques n’ont-elles pas cessé d’insister sur l’extradition à tout prix ?
A un moment donné, même les procureurs suédois ont semblé exprimer des doutes quant à la stratégie juridique préconisée par leur homologue britannique. Les courriers électroniques que j’ai obtenus entre les autorités britanniques et suédoises dans le cadre de la FOIA montrent qu’en 2013, la Suède était prête à retirer le mandat d’arrêt européen en raison de la paralysie judiciaire et diplomatique que la demande d’extradition avait créée. Mais le Royaume-Uni n’était pas d’accord avec la levée du mandat d’arrêt : l’affaire a traîné en longueur pendant encore quatre ans, lorsque finalement le 19 mai 2017, la Suède a abandonné son enquête après que les procureurs suédois eurent interrogé Assange à Londres, comme il l’avait toujours demandé.
Bien que l’enquête suédoise ait été finalement terminée, Assange reste confiné. Peu importe que le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire ait établi que le fondateur de WikiLeaks est détenu arbitrairement depuis 2010, et qu’il devrait être libéré et indemnisé. Le Royaume-Uni, qui encourage les autres États à respecter le droit international, se moque de la décision de cet organe des Nations unies dont les avis sont respectés par la Cour européenne des droits de l’homme. Après avoir essayé d’en appeler de la décision de l’ONU et perdu l’appel, la Grande-Bretagne l’ignore tout simplement. Il n’y a pas de fin en vue à la détention arbitraire d’Assange.
Silence et soupçons
Il y a deux autres éléments suspects : le fait que les autorités britanniques ont détruit les courriels concernant l’affaire Assange, comme elles l’ont admis dans mon litige devant le tribunal britannique, et le fait qu’elles ont toujours refusé de me fournir toute information quant à savoir si elles ont communiqué avec les autorités américaines sur l’affaire Assange, car elles soutiennent que confirmer ou rejeter cette information permettrait à Assange de savoir s’il existe ou non une demande d’extradition de la part des États-Unis.
S’il y a ou s’il y aura une demande d’extradition de la part des États-Unis, les autorités britanniques veulent pouvoir extrader Julian Assange pour ses publications comme n’importe quel autre criminel.
Le risque qu’un rédacteur en chef ou un éditeur soit extradé pour ses publications devrait susciter des signaux d’alarme et un débat public dans nos sociétés démocratiques, mais nous ne voyons aucun débat du tout.
La situation de Julian Assange est très précaire. Ses conditions de vie au sein de l’ambassade sont devenues insoutenables, et ses amis parlent comme s’il n’y avait plus d’espoir : « Quand les États-Unis prendront Julian », disent-ils, comme s’il était acquis que les États-Unis l’auront et qu’aucun journaliste, aucun média, aucune ONG, aucune association de presse ne fera rien pour l’empêcher.
Depuis six ans qu’Assange languit à l’ambassade, pas un seul grand média occidental n’a osé dire : il ne faut pas garder un individu enfermé sans fin en vue. Ce traitement de Julian Assange par le Royaume-Uni – et, plus généralement, par l’Occident – est non seulement inhumain, mais contre-productif.
Au cours de ces années, le réseau RT financé par l’État russe a continué à couvrir intensément l’affaire Assange. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi la Russie est si enthousiaste à propos de l’affaire Assange. L’affaire fournit à la Russie la preuve qu’alors que l’Occident prêche toujours la liberté de la presse et le journalisme agressif, il écrase en fait les journalistes et les sources journalistiques qui dénoncent les abus de l’État aux plus hauts niveaux. Chelsea Manning a passé sept ans en prison, Edward Snowden a été contraint de quitter son pays et de demander l’asile en Russie, Julian Assange a passé les six dernières années confiné dans un minuscule bâtiment et en très mauvaise santé. Il est temps d’arrêter cette persécution.
Stefania Maurizi travaille pour le quotidien italien La Repubblica en tant que journaliste d’investigation, après avoir travaillé dix ans pour le magazine d’information italien l’Espresso. Elle a travaillé sur toutes les publications de WikiLeaks de documents secrets et s’est associée à Glenn Greenwald pour révéler les dossiers Snowden concernant l’Italie. Elle a également interviewé A.Q. Khan, le père de la bombe atomique pakistanaise, qui a révélé l’accord de paiement de condoléances conclu entre le gouvernement américain et la famille du travailleur humanitaire italien Giovanni Lo Porto, tué par un tir de drones aux États-Unis, et a enquêté sur les conditions de travail difficiles des travailleurs pakistanais dans une importante usine italienne à Karachi. Elle a entamé une action en justice multijuridictionnelle pour défendre le droit de la presse d’accéder à l’ensemble des documents concernant l’affaire Julian Assange et WikiLeaks. Elle est l’auteure de deux livres : Dossier WikiLeaks Segreti Italiani et Una Bomba, Dieci Storie [Secrets italiens et Une bombe, dix récits], ce dernier traduit en japonais. On peut la joindre à stefania.maurizi@riseup.net
Source : Stefania Maurizi, Consortium News, 06-11-2018
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]
Fritz // 26.11.2018 à 07h41
« Le risque qu’un rédacteur en chef ou un éditeur soit extradé pour ses publications devrait susciter des signaux d’alarme et un débat public dans nos sociétés démocratiques, mais nous ne voyons aucun débat du tout. » En quelques mots, Stefania Maurizi a tout dit sur la valeur de nos soi-disant « démocraties ». Elle sauve l’honneur de sa profession, mais elle doit se sentir bien seule parmi ses confrères journalistes… « Depuis six ans qu’Assange languit à l’ambassade, pas un seul grand média occidental n’a osé dire : il ne faut pas garder un individu enfermé sans fin en vue. »
En France, les médias n’ont qu’à rappeler l’article 66 de notre constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu », en précisant au passage qu’un citoyen australien ne peut en aucun cas être poursuivi pour « trahison » par les Etats-Unis d’Amérique.
L’enquête sur les allégations de viol n’était qu’un prétexte. Si elles étaient sincères, les plaignantes suédoises ont joué le rôle d’idiotes utiles : de collaboratrices d’une machine à mentir et à broyer l’être humain.

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