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21.novembre.2018
Pour débloquer les négociations sur le Brexit, la Grande-Bretagne doit expier un péché impérialiste : la partition de l’Irlande. Par Robert Mackey
Source : The Intercept, Robert Mackey, 24-10-2018
L’émotion principale générée par le processus connu sous le nom de Brexit – l’abréviation de « British exit from the European Union » [sortie britannique de l’Union européenne, NdT] – n’est pas une obsession nationale pour des détails de politique commerciale. Il n’y a pas de débats passionnés sur les droits de douane dans les pubs à travers le pays.
Pour la plupart des gens, le Brexit est lié à quelque chose de plus viscéral : l’identité nationale. La nécessité perçue de « reprendre le contrôle » des frontières de la Grande-Bretagne et de limiter fortement le nombre d’étrangers autorisés à vivre et à travailler dans le pays a été approuvée par une faible majorité des électeurs lors du référendum de 2016. Pour les nationalistes, le Brexit est un choix simple pour se retirer d’un bloc économique qui efface de fait les frontières entre États membres en exigeant la libre circulation des personnes, des biens et des services.
Cependant, peu de partisans du Brexit en Grande-Bretagne semblaient réaliser à l’époqueque leur pays, le « Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord », a une frontière terrestre unique avec l’UE, et que celle-ci elle est très controversée : c’est la ligne de partage qui a été imposée par l’empire britannique, il y a un siècle, à l’Irlande. Au cours des vingt dernières années, on a facilement pu oublier les ravages et les morts causés par cette frontière imposée, puisque l’adhésion conjointe à l’UE [du Royaume-Uni et de la République d’Irlande] a facilité un accord de paix qui a mis fin aux effusions de sang en Irlande du Nord et aux contrôles policiers et douaniers le long de ce qu’un écrivain irlandais a baptisé la « ligne de la haine » qui divisait l’Irlande.
Malgré tout ce qui a été dit au sujet du Brexit, il est important de comprendre qu’il s’agit avant tout d’une décision anglaise : Quatre-vingt-sept pour cent des votes en faveur du Brexit ont été exprimés en Angleterre, et les deux tiers de ceux qui se considèrent plus Anglais que Britanniques ont voté pour.
Alors que les nationalistes anglais se sont unis par nostalgie d’un empire britanniquequ’ils dominaient autrefois, des majorités dans deux autres parties constituantes du Royaume-Uni – l’Écosse et l’Irlande du Nord – ont voté contre le Brexit, ouvrant la voie à une éventuelle indépendance de l’une, voire de ces deux entités.
Le fait que le soutien au Brexit – tout comme le soutien au parti conservateur britannique – vienne principalement d’Angleterre contribue à expliquer pourquoi les négociations avec l’UE sur le retrait du pays sont actuellement dans une impasse sur la question – que les nationalistes anglais semblaient ignorer jusqu’à récemment – du conflit, suspendu mais toujours non résolu, en Irlande, la première colonie de l’Angleterre.
Si les souverains anglais n’avaient jamais entrepris le processus de colonisation de l’Irlande, qui a duré des siècles, ou n’avaient pas imposé de partition de l’île en 1921, pour créer une enclave loyaliste où les colons protestants britanniques seraient plus nombreux que les catholiques irlandais d’origine, ce serait maintenant relativement simple pour la Grande-Bretagne, qui ne comprendrait que l’Angleterre, l’Écosse et le Pays de Galles, de quitter l’UE.
À l’inverse, la Première ministre Theresa May se trouve désormais embourbée dans des négociations complexes sur la manière d’extraire l’ensemble du Royaume-Uni du marché unique et de l’union douanière européenne sans ébranler la paix fragile dont jouit l’Irlande. En effet, les contrôles douaniers et migratoires, que les nationalistes anglais considèrent comme un inconvénient insignifiant et une contrepartie supportable pour vivre dans une société moins multiculturelle, nécessiteraient une infrastructure frontalière le long de l’ancienne ligne de partage de l’Irlande, entraînant toute une série de problèmes pour les entreprises et les travailleurs irlandais, et faisant peser un risque de retour de la violence.
Lors du séminaire annuel sur le crime organisé transfrontalier, qui s’est tenu en Irlande l’année dernière, les responsables des polices des deux parties de l’Irlande ont averti que « plus il y aura d’infrastructures à la frontière, plus cela multipliera les occasions » d’actions violentes de la part de militants politiques et d’anciens paramilitaires déjà impliqués dans des opérations clandestines.
A la différence de nombre de partisans d’un hard-Brexit dans son parti, la Première ministre britannique semble au moins consciente du fait que la Grande-Bretagne a une responsabilité morale et juridique, dans le cadre de l’accord de paix de 1998, de faire obstacle aux effusions de sang qui pourraient suivre toute décision de rétablissement de la frontière.
May se trouve également dans une impasse parce que l’Union européenne, qui prend au sérieux son rôle dans la prévention des conflits sur le continent, a insisté sur le fait qu’aucune négociation sur les relations commerciales futures avec le Royaume-Uni ne pourrait ne serait-ce que commencer avant la signature d’un accord de sortie garantissant le maintien de l’ouverture de la frontière avec l’Irlande.
Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, car la logique du Brexit, comme celle de l’Union européenne, exige une frontière extérieure bien délimitée.
Ensuite, un problème vient du fait que la frontière dessinée par le gouvernement britannique en 1921 pour délimiter sa nouvelle province de l’Irlande du Nord, qui serpente sur une distance de 480 km, n’était en rien une frontière naturelle. En l’absence de chaîne de montagnes ou de plan d’eau divisant l’Irlande en deux parties, il n’y a qu’une ligne sur la carte, tracée à la hâte par des fonctionnaires coloniaux battant en retraite – une stratégie que Penderel Moon, un officier colonial britannique ayant participé à la partition de l’empire de l’Inde en 1947, tout aussi mal conçue, appela plus tard « diviser et partir ». (Quatre décennies plus tard, le vice-roi de l’Inde britannique qui a supervisé la partition sanglante de l’Inde, Louis Mountbatten, fut tué par l’I.R.A. pendant ses vacances en Irlande.)
La ligne de partage de 1921, qui a créé la nouvelle province d’Irlande du Nord, sous contrôle britannique, le long d’anciennes frontières de comté et qui, de nos jours, traverse des champs, des villes et des maisons, a également été tracée au service d’un acte flagrant d’exploitation à grande échelle. Il s’agissait d’une nouvelle ligne tracée sur la carte du monde pour diviser une nation insulaire en deux parties afin qu’une puissance coloniale battant en retraite puisse garantir que les descendants de ses colons puissent contrôler une enclave où ils seraient majoritaires.
Cette division a donné lieu à des décennies de violence politique et de terrorisme en Irlande du Nord et en Grande-Bretagne, connues sous le doux euphémisme de « troubles » en Ulster [province d’Irlande traversée par la frontière depuis la partition, le terme Ulster est utilisé ici pour désigner l’Irlande du Nord, NdT] , au cours desquels plus de 3 500 personnes ont été tuées, les droits civils fondamentaux et l’application régulière de la loi ont été suspendus, et l’armée britannique a érigé des miradors et autres points de contrôle, détruit des centaines de routes, de ponts et chemins pour contrôler le flux de biens et de personnes entre les deux parties de l’Irlande.
Pour quiconque ayant grandi dans l’ombre de cette frontière en Irlande – j’ai passé des étés d’enfance à rendre visite à la famille de ma mère de part et d’autre de la frontière – il est impossible d’oublier l’impact psychologique des heures passées à attendre aux rares postes de contrôle autorisés, les tensions nées des contacts avec des soldats en armes aux barrages fortifiés des militaires britanniques. Pourtant, au cours des deux dernières décennies, sous les auspices de l’UE, les postes de contrôle de police et de douane ont été supprimés, et la frontière entre les deux juridictions de l’île est désormais aussi peu perceptible que la frontière entre deux États américains. C’est comme la disparition d’une cicatrice.
En observant les négociations sur le Brexit depuis l’Irlande, Denis Bradley, journaliste et ancien vice-président du conseil des services de police d’Irlande du Nord, a observé que le Royaume-Uni et l’UE ont sous-estimé la détermination du peuple irlandais, qui a souffert pendant les années de violence, à tolérer une frontière. « La frontière n’a pas besoin d’une solution parce qu’elle est déjà résolue », a écrit Bradley dans le quotidien The Irish Times.
« Il y a une vingtaine d’années, la frontière irlandaise a disparu », explique M. Bradley. « Les anciens postes de douane avaient disparu depuis longtemps et puis, un jour, l’armée britannique a emporté son matériel et est rentrée chez elle. La plupart des gens se sont sentis soulagés d’un fardeau – un peuple qui avait vécu dans l’ombre de cette frontière était, pour la première fois, libéré de ses contraintes et de cette cicatrice sur le paysage. Depuis lors, ils vivent avec cette liberté, et ils l’ont jugée juste et bonne, et ils n’ont pas l’intention d’y renoncer. »
« La question de la frontière irlandaise doit être dissociée de la sphère économique et considérée dans le contexte des droits fondamentaux », a écrit l’an dernier Eoin McNamee, romancier et scénariste qui a grandi en traversant la frontière pour aller à l’école. « Theresa May peut insister pour que son pays quitte l’Union européenne. L’UE peut dicter les conditions qu’elle souhaite. Mais aucun d’eux ne peut exiger qu’une ligne de haine soit redessinée à travers cette île ou insister là dessus. »
La réalité de l’époque, rappelait McNamee aux lecteurs, était « des cratères au milieu des routes, des cadavres jetés dans des sacs plastique noirs, des miradors, des temples évangélistes criblés de balles, des maisons criblées de balles. C’est la nuit que vous ressentiez toute cette violence. Conduire sur des routes désertes à travers des zones mystérieuses vidées de tout sauf de la vigilance et de la malveillance. »
J’ai échangé avec McNamee à Londres la semaine dernière. « L’économie n’est pas la question clé », m’a-t-il dit. La partition, a-t-il dit, était « une faute morale, de même que le mur de Berlin était une faute morale, un affront à la civilisation ». Dix ans après la démolition de l’infrastructure frontalière à la suite de l’accord de paix et alors que les blessures commencent à cicatriser, McNamee se souvient que son frère s’est soudainement tourné vers lui pour lui demander : « Est-ce que tout cela était un rêve ? »
Pour le Royaume-Uni ou l’UE, insister sur la partition de l’Irlande, c’est comme dire au peuple allemand que le mur de Berlin doit être reconstruit, dit McNamee maintenant. « Ce n’est pas seulement que les gens n’en veulent pas – ils n’en veulent pas – mais ils ne peuvent pas faire machine arrière. »
Ou, comme l’a dit récemment le comédien irlandais Andrew Maxwell lorsqu’on lui a demandé s’il y avait une solution à la question de la frontière irlandaise : « Ce n’est pas la frontière irlandaise – c’est la frontière britannique en Irlande. La frontière irlandaise c’est la plage. »
Contrairement aux nationalistes pro-Brexit de son parti, le parti conservateur, May semble vouloir à tout prix conclure une sorte d’accord pour garder l’ensemble du Royaume-Uni aussi proche que possible de l’UE, non seulement pour empêcher un nouveau bain de sang en Irlande du Nord, mais pour protéger les industries britanniques. C’est pourquoi, plus tôt dans les négociations sur les conditions du retrait du Royaume-Uni, May semblait prête à accepter une offre de l’UE visant à protéger la paix en Irlande du Nord en accordant à la région un statut spécial après le Brexit, qui lui aurait permis de rester à la fois dans le Royaume-Uni et dans le marché unique européen, rendant inutiles les contrôles transfrontaliers de personnes ou marchandises.
Malheureusement, cependant, alors que May a signé cet accord de principe en fin d’année dernière – un pis-aller qui ne serait entré en vigueur que dans l’hypothèse où le Royaume-Uni n’aurait pas réussi à négocier une future relation commerciale avec l’UE qui soit suffisamment étroite pour rendre les contrôles aux frontières inutiles – elle est maintenant trop affaiblie politiquement pour convaincre les autres composantes de son parti de poursuivre dans cette voie.
Peut-être plus important encore, sans majorité parlementaire après sa décision désastreuse de déclencher des élections générales anticipées l’année dernière, la Première ministre a également besoin du soutien de dix députés du Democratic Unionist Party [DUP, le Parti Unioniste Démocrate d’Irlande du Nord, NdT], un groupe de fondamentalistes chrétiens qui ont fait campagne en faveur du Brexit, mais contre l’accord de paix de 1998. Bien que le DUP soit en apparence favorable au maintien de l’ouverture de la frontière, il a menacé de faire tomber le gouvernement de May si cette dernière acceptait un statut spécial pour la région, imposant de fait des contrôles douaniers sur les marchandises en provenance et à destination de Grande-Bretagne. La cheffe du parti, Arlene Foster, a récemment décrit sa ligne rouge contre toute concession comme étant « rouge sang ».
Les négociations interminables sur le Brexit ont créé un profond sentiment d’exaspération partagé par ses partisans comme par ses opposants. Fin juin, alors que deux années complètes s’étaient écoulées depuis le vote de la Grande-Bretagne pour quitter l’Union européenne, mais que rien ne permettait encore de préjuger de ce que cela allait impliquer en pratique, une star anglaise de soap opera en a eu assez : « Qui comprend quelque chose au Brexit ? Personne n’a la moindre idée de ce qu’est le Brexit », a déclaré l’acteur Danny Dyer à [l’animateur, NdT] Piers Morgan pendant une émission de télévision.
« Personne ne sait ce que c’est », a ajouté Dyer, alors que la caméra le coupait pour donner la parole aux autres invités, Pamela Anderson et Jeremy Corbyn. « C’est comme cette énigme absurde dont personne ne connaît la solution. »
Le succès viral du clip doit beaucoup au fait que Dyer a qualifié l’ancien Premier ministre, David Cameron, de « crétin » pour avoir convoqué le référendum pour ensuite se faire la belle afin de profiter d’une retraite dorée « en Europe, à Nice, les doigts de pieds en éventail » après que son camp ait perdu. Mais l’acteur a également exprimé son exaspération, partagée par des millions de Britanniques qui ont voté pour quitter l’UE, pour découvrir finalement que leurs dirigeants politiques n’avaient aucun plan concret sur la manière de faire.
La raison de cette longue attente est que la remplaçante de Cameron, Theresa May, a en effet essayé de résoudre une énigme qui pourrait bien ne pas avoir de solution. Mais il n’en reste pas moins que plus de deux ans après avoir pris le pouvoir avec la vague promesse affirmant « le Brexit ça veut dire le Brexit », la Première ministre n’a toujours pas précisé exactement le type de relations futures qu’elle souhaitait avec l’UE, ni comment elle comptait s’y prendre pour assurer le contrôle des frontières du pays sans hypothéquer la paix en Irlande.
Elle a fait deux promesses initiales. Tout d’abord, une rupture nette avec l’Europe – une exigence anti-immigrés de la composante extrême-droite de son parti – avec un abandon à la fois de l’union douanière et du marché unique européen. Deuxièmement, May a promis de négocier un futur accord commercial avec les autres membres de l’UE, afin de donner satisfaction aux Conservateurs modérés qui redoutaient que le départ de l’union douanière et du marché unique puisse détruire une économie britannique profondément liée au reste de l’Europe.
Mais une troisième exigence s’avère être la plus délicate : May est tenue par sa promesse de trouver un moyen de faire sortir tout le Royaume-Uni de l’UE sans mettre en péril la fragile paix qui prévaut actuellement le long de cette frontière qui était auparavant controversée et militarisée.
Dans un tweet récent adressé au leader de la campagne pro-Brexit, Boris Johnson, Patrick Kielty, un comédien d’Irlande du Nord dont le père a été assassiné par des paramilitaires armés pendant les troubles, a expliqué que l’UE était un élément clé dans la « magie retorse » de l’accord de paix qui garantit à la fois aux Unionistes, pour la plupart protestants, que « l’Irlande du Nord reste dans le Royaume-Uni jusqu’à ce que la majorité vote autrement », et aux Nationalistes, pour la plupart irlandais catholiques, que « la frontière soit supprimée et l’île reconnectée », de sorte qu’ils puissent faire comme s’ils vivaient déjà dans une Irlande unie.
« Certains de ces nationalistes ont alors accepté de faire partie du Royaume-Uni, pour peu que leur vie quotidienne reste essentiellement irlandaise », poursuit Kielty. « Ce plan astucieux nous a été vendu parce que nous faisions tous partie de l’UE, donc que la focalisation sur la nationalité était dépassée, comme un relent de la dernière guerre mondiale. »
En faisant disparaître l’UE du sortilège, les politiciens pro-Brexit « ont ouvert une boîte de Pandore pour l’Irlande du Nord », a ajouté Kielty. « C’est une des raisons pour lesquelles la majorité de la population [d’Irlande du Nord] a voté pour rester dans l’UE. »
Des experts comme R. Daniel Kelemen, professeur de sciences politiques et de droit à l’Université Rutgers, ont tenté d’alerter May sur le fait qu’il n’y avait qu’un seul moyen de tenir ses trois promesses : « La pensée magique ».
Déterminée à aller de l’avant, [Theresa, NdT] May a maintenu ses propositions qui ne satisfont personne et elle a fait craindre que le Royaume-Uni ne manque de temps pour conclure un accord avant l’expiration de son adhésion à l’UE, à 23 h, le 29 mars 2019. Si cela se produit, un « No Deal Brexit » [un Brexit sans accord, NdT] pourrait tout bouleverser, qu’il s’agisse de l’acheminement de nourriture et de médicaments vers le pays ou du transport aérien à destination de l’étranger.
Cela a conduit l’UE à demander à May d’adopter simplement le plan de retrait qu’elle avait accepté l’année dernière, qui accorderait un statut spécial à l’Irlande du Nord après le Brexit. Sous la pression des partisans de la ligne dure de son propre parti et du DUP, May a violemment rejeté le même plan avec lequel elle était d’accord en décembre dernier comme une tentative de diviser son pays en deux, ignorant le fait que l’Irlande du Nord existe parce que l’Irlande a été divisée en deux par la Grande-Bretagne en 1921.
Comme l’a souligné Matthew O’Toole, l’ancien assistant de May, le mois dernier dans The Spectator [hebdomadaire politique britannique de tendance conservatrice, NdT], ce que la Première ministre ne reconnaît pas, c’est que l’accord de paix signé à Belfast le Vendredi saint en 1998 a déjà donné aux citoyens d’Irlande du Nord des droits spéciaux qui les lieront plus étroitement à l’UE après le Brexit. En vertu de l’accord de paix, tous les citoyens d’Irlande du Nord ont le droit de détenir des passeports irlandais et britanniques, ce qui signifie qu’après le Brexit, ce pourrait être une région d’un pays tiers entièrement peuplée de citoyens européens. L’accord du Vendredi saint a également donné à la région la permission de faire sécession du Royaume-Uni et de rejoindre la République d’Irlande si une majorité d’électeurs approuve ce changement lors d’un référendum. Ainsi, note O’Toole, « c’est la seule partie du Royaume-Uni où les citoyens ont à la fois un droit légal permanent à la citoyenneté de l’UE et une voie formelle de retour à l’adhésion à l’UE via un futur référendum sur l’unité irlandaise ».
Quel que soit le résultat des pourparlers, de nombreux observateurs irlandais ont été stupéfaits de voir à quel point le gouvernement de May et les « Brexiters » auto-désignés purs et durs poussant son parti vers la droite ont rejeté leurs préoccupations quant à la partition effective de l’Irlande.
L’un des dirigeants de la faction archi-conservatrice, Jacob Rees-Mogg, a constamment minimisé le risque de chaos si la Grande-Bretagne quittait l’UE sans accord. Il a été particulièrement tourné en dérision en Irlande du Nord – où une majorité a voté contre le Brexit – pour avoir déclaré qu’il n’était pas nécessaire qu’il se rende à la frontière irlandaise, longue de 480 km, qui pourrait être scellée après le Brexit pour empêcher le trafic clandestin de marchandises britanniques vers l’UE.
Rees-Mogg a fait valoir qu’il obtient toutes les informations dont il a besoin sur la frontière auprès des membres du DUP, dont l’objectif est de maintenir l’Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni. Toutefois, aucun de ces députés d’Irlande du Nord ne représente réellement les communautés situées le long de la frontière avec l’Irlande, qui ont toutes voté résolument contre le Brexit lors du référendum de 2016.
« Il est un très bon exemple du cocon dans lequel vivent les ardents Brexiters – il ne sait rien de la frontière irlandaise, il ne s’y intéresse pas », a déclaré récemment Deirdre Heenan, professeur de politique sociale à l’Université d’Ulster, à propos de Rees-Mogg. « L’homme vit dans le déni, dans une sorte de pays imaginaire où, après le Brexit, nous retournerons dans une Grande-Bretagne prestigieuse et impériale. »
Au cours de l’été, une vidéo a circulé sur Rees-Mogg admettant de manière désinvolte que le Brexit pourrait exiger un retour aux contrôles frontaliers effectués pendant les 30 ans de guerre civile durant les Troubles.
« Nous aurions la possibilité, comme nous l’avons fait pendant les Troubles, de faire fouiller les gens », a déclaré M. Rees-Mogg lors d’un séminaire. « Ce n’est pas une frontière que tout le monde aura à traverser tous les jours, mais bien sûr, pour des raisons de sécurité pendant les Troubles, nous avons surveillé de très près la frontière, pour essayer d’arrêter le trafic d’armes et autres choses de ce genre. »
Le député conservateur – qui semblait préoccupé uniquement par le fait d’empêcher les immigrants européens de passer par l’Irlande du Nord pour entrer au Royaume-Uni – ignorait à quel point ces fouilles étaient importunes et provocatrices. Pendant les trois décennies qui ont précédé l’accord de paix de 1998 en Irlande du Nord, qui a donné à tous les résidents le droit aux passeports britanniques et irlandais, la plupart des routes transfrontalières ont été fermées par l’armée britannique, et chaque voiture qui les traversait a été inspectée à des points de contrôle très fortifiés, d’abord par des soldats armés, puis par des agents des douanes.
Le ministre irlandais des Affaires étrangères, Simon Coveney, a réagi avec horreur à l’ignorance de l’homme politique conservateur quant au traumatisme et à la tragédie du passé récent en Irlande du Nord. « Il est difficile de croire qu’un politicien chevronné soit si mal informé au sujet de l’Irlande et de la question de la frontière irlandaise liée au Brexit qu’il puisse faire des commentaires comme ceux-ci », a fait remarquer Coveney sur Twitter. « Nous avons laissé “les troubles” derrière nous, grâce aux efforts sincères de nombreuses personnes, et nous avons l’intention de garder les choses comme ça. »
Le mois dernier, dans un texte lyrique du Financial Times, tourné à la frontière, le dramaturge nord-irlandais Clare Dwyer Hogg et l’acteur né à Belfast Stephen Rea ont fait une réponse plus poétique, mais tout aussi tranchante, à Rees-Mogg et à d’autres qui ont ignoré le risque de réimposer la frontière.
« Jacob Rees-Mogg, tu as raison. Il n’est pas nécessaire de visiter l’Irlande du Nord pour comprendre la frontière – il faut avoir vécu ici », dit Rea, se tenant à la frontière. « Nous vivons ici, et nous retenons notre souffle à nouveau. »
Correction : Mercredi 24 octobre, 12 h 22 heure d’été de l’est
Une version antérieure de cet article identifiait incorrectement le comédien irlandais Andrew Maxwell comme étant nord-irlandais. Bien que Maxwell ait de la famille en Irlande du Nord, il est originaire de Dublin, ce que son accent indique très clairement.
Photo du haut : En plus des points de contrôle fortifiés aux points de passage frontaliers, l’armée britannique a également effectué des inspections ponctuelles de véhicules en Irlande du Nord, comme celui-ci en 1969, pendant les décennies de guerre civile connues sous le nom de « Troubles ».
Source : The Intercept, Robert Mackey, 24-10-2018
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]
Kiwixar // 21.11.2018 à 07h29
“L’Union européenne, qui prend au sérieux son rôle dans la prévention des conflits sur le continent,”
Ah ah non sérieusement? L’UE n’a pas eu l’air trop préoccupée de s’ingérer dans la politique ukrainienne en faisant miroiter une entrée, puis en soutenant un putsch de nazis contre un gouvernement élu, 1 an avant les prochaines élections. Ou en ayant dans son statut l’appartenance à l’Otan qui fait des exercices réguliers à la frontière russe, pays démonisé et insulté quotidiennement par la propagandastaffel.
L’EUReich c’est la paix, oui, dès que tout le continent aura été mis au pas (de l’oie).