Tribune de Jean-Pierre Chevènement, Marianne, 2 novembre 2018. Au sein d'une UE apathique face aux visées américaines, la France se doit de retrouver une réelle politique d'indépendance.
La vassalisation actuelle de l'Europe, telle qu'on peut l'observer face aux initiatives de Donald Trump, a des racines très anciennes. L' « Euramérique » n'est pas tombée du ciel. Ainsi, c'est sous Obama qu'a été imposée l'extraterritorialité du droit américain.
Ce qui est nouveau, avec Donald Trump, ce n'est pas la volonté de prolonger la suprématie des Etats-Unis au XXIe siècle pour enrayer la montée en puissance de la Chine. Ce sont les méthodes : ainsi la remise en cause du dogme libre-échangiste par un protectionnisme destiné à restaurer le « site de production » américain, ou la dénonciation unilatérale de l'accord de dénucléarisation de l'Iran de juillet 2015 pour imposer un blocus destiné à saper la prépondérance de ce pays au Moyen-Orient, résultat non voulu de la guerre du Golfe.
Timide riposte
Face à la taxation de l'acier et de l'aluminium par les Etats-Unis, l'Union européenne n'a exercé qu'une timide riposte en taxant le beurre de cacahuètes. Inversement, elle hésite à taxer les GAFA. L'Allemagne sait qu'elle n'est pas en position de force. Son commerce extérieur est excédentaire de 49 milliards d'euros sur les Etats-Unis. Elle est prise en otage à travers son industrie automobile, très fortement implantée sur le marché américain. Elle craint la taxation de ses grosses cylindrées. C'est la raison pour laquelle l'Europe tout entière fait profil bas, dans une guerre commerciale d'ailleurs principalement dirigée contre la Chine, dont l'excédent commercial sur les Etats-Unis approche les 244 milliards d'euros !
Ce qui est nouveau, avec Donald Trump, ce n'est pas la volonté de prolonger la suprématie des Etats-Unis au XXIe siècle pour enrayer la montée en puissance de la Chine. Ce sont les méthodes : ainsi la remise en cause du dogme libre-échangiste par un protectionnisme destiné à restaurer le « site de production » américain, ou la dénonciation unilatérale de l'accord de dénucléarisation de l'Iran de juillet 2015 pour imposer un blocus destiné à saper la prépondérance de ce pays au Moyen-Orient, résultat non voulu de la guerre du Golfe.
Timide riposte
Face à la taxation de l'acier et de l'aluminium par les Etats-Unis, l'Union européenne n'a exercé qu'une timide riposte en taxant le beurre de cacahuètes. Inversement, elle hésite à taxer les GAFA. L'Allemagne sait qu'elle n'est pas en position de force. Son commerce extérieur est excédentaire de 49 milliards d'euros sur les Etats-Unis. Elle est prise en otage à travers son industrie automobile, très fortement implantée sur le marché américain. Elle craint la taxation de ses grosses cylindrées. C'est la raison pour laquelle l'Europe tout entière fait profil bas, dans une guerre commerciale d'ailleurs principalement dirigée contre la Chine, dont l'excédent commercial sur les Etats-Unis approche les 244 milliards d'euros !
Les Européens ont des intérêts légitimes à défendre aussi bien vis-à-vis de la Chine que des Etats-Unis. Mais il ne leur est pas encore venu à l'esprit que la bonne posture pour les défendre était l'indépendance. Le marché unique européen est un immense marché. La place de l'Union européenne dans le commerce international est bien supérieure à celle des Etats-Unis. Mais ceux-ci sont un Etat, tandis que l'Union européenne à 27 est majoritairement composée d'Etats dont la protection américaine est l'horizon et le libre-échangisme la philosophie. Le marché européen n'est un atout que sur le papier. Atout entièrement virtuel, impotence conjuguée bien réelle !
L'Union européenne paraît ainsi bien incapable de desserrer les pinces du G2, c'est-à-dire du condominium sino-américain sur le monde, dont l'horizon, en quelques années, s'est considérablement rapproché.
L'Europe assiste comme médusée au changement de paradigme qui caractérise la politique américaine, la substitution au libre-échangisme et au multilatéralisme des quatre dernières décennies d'une juxtaposition de « deals » pragmatiques (ainsi l'accord avec le Mexique) ou brutaux : ainsi la dénonciation du traité - dit " 5+1" - avec l'Iran et le rétablissement d'un blocus destiné à provoquer un «changement de régime».
Les cinq autres pays signataires (France, Grande-Bretagne, Russie, Chine plus l'Allemagne) peuvent bien déclarer maintenir leur signature au bas du traité de dénucléarisation de l'Iran. Les entreprises européennes, quant à elles, ne maintiennent pas leurs projets d'investissements. C'est ainsi que Total, Renault, Peugeot et Airbus ont plié bagage avant toute concertation entre Européens. Si « juteux » que soit le marché iranien, les intérêts de nos entreprises aux Etats-Unis sont plus considérables encore. Leur peur des sanctions extraterritoriales l'emporte sur toute autre considération. La France, et les autres pays européens, se trouvent ainsi piégés par la « globalisation ». L'extraterritorialité du droit américain s'impose, parce que dans l'esprit des dirigeants européens, il n'y a pas de substitut historiquement concevable à la suprématie américaine. Envolées les illusions du multilatéralisme, les gouvernements européens n'attendent un répit provisoire d'ailleurs que d'un changement de majorité au Congrès en novembre prochain.
C'est dire que notre diplomatie est littéralement tétanisée par un rapport de forces doublement défavorable : d'abord entre les Etats-Unis et l'Europe au détriment de celle-ci, et ensuite en Europe même, par le déséquilibre croissant entre l'Allemagne et la France, lui-même conséquence des choix erronés faits dans la période 1980-1990 : ralliement au néolibéralisme, au prétexte de « l'Europe ».
L'administration américaine, à travers le système Swift qui régit les transactions financières internationales, connaît parfaitement celles qui dérogent aux règles qu'elle a fixées à l'encontre des pays considérés par elle comme « déviants ». Pour échapper aux sanctions extraterritoriales américaines, le nouveau ministre des Affaires étrangères allemand, Heiko Maas, a proposé dans une déclaration à la presse de construire un système financier indépendant des Etats-Unis et du dollar, une sorte de « Fonds monétaire européen », et un système de paiement Swift associé qui permettrait de s'affranchir des contrôles de l'administration américaine. Que n'avait-il pas dit ! Il s'est fait immédiatement tancer par la chancelière, nullement désireuse de s'engager dans une confrontation avec Donald Trump.
En France, notre ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a, lui aussi, souhaité « la création d'instruments de financement indépendants qui n'existent pas aujourd'hui [...] pour que l'Europe soit un continent souverain et non un vassal ». A défaut d'outil européen, on pourrait envisager la création d'une institution du type BFCE (Banque française du commerce extérieur), travaillant uniquement en euros et n'utilisant que des équipements dans lesquels n'entrerait aucun composant américain. Cela, la France, à une autre époque, était capable de le faire pour se doter d'une force de dissuasion. Elle n'en paraît plus capable aujourd'hui, car il lui faudrait pour cela agir de manière autonome.
Or l'euro, malgré les rodomontades qui ont précédé l'adoption du traité de Maastricht, n'a pas été créé pour concurrencer le dollar : il n'est que son petit frère qui doit lui tenir la main. Certes l'euro représente plus d'un quart des réserves des banques centrales et un cinquième des transactions mondiales. Mais la part de l'Europe dans le commerce mondial est bien supérieure à celle des Etats-Unis. Ce qui fait défaut chez les Européens, c'est la volonté politique. Pour que l'euro pèse, il faudrait sans doute des émissions d'obligations en euros dont l'Allemagne ne veut pas. Comment sortir de ce cercle vicieux de l' « Euramérique » ? La souveraineté implique une volonté, c'est-à-dire un effort. La vassalité est un confort. Les Européens jusqu'ici s'en sont accommodés.
Savoir "jouer mondial"
Ne serait-il pas temps pour la France de réapprendre à « jouer mondial », d'anticiper sur la réforme du système monétaire international et sur l'avènement d'une « Europe européenne » ? Notre politique n'est pas vouée au suivisme. Elle devrait épouser davantage les contours d'un monde de plus en plus polycentrique. L'indépendance est un bien en soi, quel que soit le cadre dans lequel elle s'exerce, parce qu'elle permet de « faire levier ».
Rien ne doit empêcher la France de se doter des moyens d'une politique indépendante pour défendre ses intérêts légitimes. Charles de Gaulle, alors président de la République, lançait cette boutade : « Mon verre est petit. Mais je bois dans mon verre. Et je trinque tout alentour ! » Avec l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, bien sûr, mais aussi la Russie sans laquelle il n'y a pas d'Europe européenne, sans oublier en route la Grande-Bretagne et pour finir les Etats-Unis et la Chine qui ne sont pas les ennemis de la France. A la bonne vôtre !
L'Union européenne paraît ainsi bien incapable de desserrer les pinces du G2, c'est-à-dire du condominium sino-américain sur le monde, dont l'horizon, en quelques années, s'est considérablement rapproché.
L'Europe assiste comme médusée au changement de paradigme qui caractérise la politique américaine, la substitution au libre-échangisme et au multilatéralisme des quatre dernières décennies d'une juxtaposition de « deals » pragmatiques (ainsi l'accord avec le Mexique) ou brutaux : ainsi la dénonciation du traité - dit " 5+1" - avec l'Iran et le rétablissement d'un blocus destiné à provoquer un «changement de régime».
Les cinq autres pays signataires (France, Grande-Bretagne, Russie, Chine plus l'Allemagne) peuvent bien déclarer maintenir leur signature au bas du traité de dénucléarisation de l'Iran. Les entreprises européennes, quant à elles, ne maintiennent pas leurs projets d'investissements. C'est ainsi que Total, Renault, Peugeot et Airbus ont plié bagage avant toute concertation entre Européens. Si « juteux » que soit le marché iranien, les intérêts de nos entreprises aux Etats-Unis sont plus considérables encore. Leur peur des sanctions extraterritoriales l'emporte sur toute autre considération. La France, et les autres pays européens, se trouvent ainsi piégés par la « globalisation ». L'extraterritorialité du droit américain s'impose, parce que dans l'esprit des dirigeants européens, il n'y a pas de substitut historiquement concevable à la suprématie américaine. Envolées les illusions du multilatéralisme, les gouvernements européens n'attendent un répit provisoire d'ailleurs que d'un changement de majorité au Congrès en novembre prochain.
C'est dire que notre diplomatie est littéralement tétanisée par un rapport de forces doublement défavorable : d'abord entre les Etats-Unis et l'Europe au détriment de celle-ci, et ensuite en Europe même, par le déséquilibre croissant entre l'Allemagne et la France, lui-même conséquence des choix erronés faits dans la période 1980-1990 : ralliement au néolibéralisme, au prétexte de « l'Europe ».
L'administration américaine, à travers le système Swift qui régit les transactions financières internationales, connaît parfaitement celles qui dérogent aux règles qu'elle a fixées à l'encontre des pays considérés par elle comme « déviants ». Pour échapper aux sanctions extraterritoriales américaines, le nouveau ministre des Affaires étrangères allemand, Heiko Maas, a proposé dans une déclaration à la presse de construire un système financier indépendant des Etats-Unis et du dollar, une sorte de « Fonds monétaire européen », et un système de paiement Swift associé qui permettrait de s'affranchir des contrôles de l'administration américaine. Que n'avait-il pas dit ! Il s'est fait immédiatement tancer par la chancelière, nullement désireuse de s'engager dans une confrontation avec Donald Trump.
En France, notre ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a, lui aussi, souhaité « la création d'instruments de financement indépendants qui n'existent pas aujourd'hui [...] pour que l'Europe soit un continent souverain et non un vassal ». A défaut d'outil européen, on pourrait envisager la création d'une institution du type BFCE (Banque française du commerce extérieur), travaillant uniquement en euros et n'utilisant que des équipements dans lesquels n'entrerait aucun composant américain. Cela, la France, à une autre époque, était capable de le faire pour se doter d'une force de dissuasion. Elle n'en paraît plus capable aujourd'hui, car il lui faudrait pour cela agir de manière autonome.
Or l'euro, malgré les rodomontades qui ont précédé l'adoption du traité de Maastricht, n'a pas été créé pour concurrencer le dollar : il n'est que son petit frère qui doit lui tenir la main. Certes l'euro représente plus d'un quart des réserves des banques centrales et un cinquième des transactions mondiales. Mais la part de l'Europe dans le commerce mondial est bien supérieure à celle des Etats-Unis. Ce qui fait défaut chez les Européens, c'est la volonté politique. Pour que l'euro pèse, il faudrait sans doute des émissions d'obligations en euros dont l'Allemagne ne veut pas. Comment sortir de ce cercle vicieux de l' « Euramérique » ? La souveraineté implique une volonté, c'est-à-dire un effort. La vassalité est un confort. Les Européens jusqu'ici s'en sont accommodés.
Savoir "jouer mondial"
Ne serait-il pas temps pour la France de réapprendre à « jouer mondial », d'anticiper sur la réforme du système monétaire international et sur l'avènement d'une « Europe européenne » ? Notre politique n'est pas vouée au suivisme. Elle devrait épouser davantage les contours d'un monde de plus en plus polycentrique. L'indépendance est un bien en soi, quel que soit le cadre dans lequel elle s'exerce, parce qu'elle permet de « faire levier ».
Rien ne doit empêcher la France de se doter des moyens d'une politique indépendante pour défendre ses intérêts légitimes. Charles de Gaulle, alors président de la République, lançait cette boutade : « Mon verre est petit. Mais je bois dans mon verre. Et je trinque tout alentour ! » Avec l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, bien sûr, mais aussi la Russie sans laquelle il n'y a pas d'Europe européenne, sans oublier en route la Grande-Bretagne et pour finir les Etats-Unis et la Chine qui ne sont pas les ennemis de la France. A la bonne vôtre !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire