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1918, les engrenages de la défaite allemande
LE LIVRE
C’est une fameuse idée d’avoir réédité le premier ouvrage de Charles de Gaulle. Cette Discorde chez l’ennemi, parue en 1924, se serait sans doute noyée dans la vague de Mémoires et analyses qui a déferlé au lendemain de la première guerre mondiale si son auteur n’avait connu le destin que l’on sait. Mais pour cette raison, précisément, elle prend un relief singulier.
Le capitaine de Gaulle a, alors, 34 ans. S’il remâche le « regret indescriptible » de n’avoir pas pris une part plus importante dans la Grande Guerre – blessé dès août 1914, à nouveau en 1915, ensuite prisonnier trente mois, avant d’aller combattre aux côtés des Polonais en 1919-1920 –, il entend comprendre les ressorts de la défaite des Allemands, ce peuple qu’il admire et dont il salue « l’étendue exceptionnelle des qualités de guerre ».
Se plaçant sur le terrain et presque dans la tête des principaux acteurs allemands et autrichiens du conflit, cet « essai d’histoire immédiate », selon la formule très juste de l’ancien ministre Hervé Gaymard dans sa présentation, est saisissant de perspicacité et d’intelligence. Outre sa science militaire, de Gaulle y témoigne d’un intérêt aigu pour les enjeux politiques et, tout autant, pour la psychologie des peuples et des hommes, dessinés d’un trait impitoyable, à la pointe sèche. S’y ajoute, déjà, un vigoureux talent de plume.
Allant à l’essentiel pour mettre à nu les engrenages de la défaite allemande, l’auteur pose la loupe sur quatre épisodes. Le premier est la bataille de la Marne : les 4 et 5 septembre 1914, rêvant de rejouer les victoires de 1866 contre l’Autriche ou de 1870 contre la France et imprégné,« comme toute l’Allemagne pensante », du « culte du surhomme » nietzschéen, le général von Kluck, chef de la 1re armée allemande, néglige les ordres de son état-major. Cette « désobéissance » permet aux Français de briser l’offensive du Reich.
Faute tactique et erreur stratégique
A cette lourde faute tactique s’ajoute l’erreur stratégique majeure qui conduit l’Allemagne à décréter en 1917 le blocus sous-marin contre les Alliés, lequel provoque l’engagement américain dans le conflit. Le capitaine de Gaulle décrit de façon clinique la « lutte acharnée » qui permit aux chefs de la marine d’emporter la décision de Guillaume II, ce « faible esprit », contre l’avis du gouvernement. Fatale décision, à terme. Tout aussi dommageable fut l’incapacité du Reich d’imposer à ses alliés, Autriche en tête, la coordination de leurs efforts militaires : méfiances, rivalités et intrigues privèrent les puissances centrales d’un commandement unique. Irrémédiable lacune.
Enfin, est racontée par le menu la crise parlementaire de juillet 1917, téléguidée par le haut commandement, qui fit tomber le chancelier Bethmann-Hollweg et laissa un pouvoir dictatorial entre les mains des chefs militaires. Ils en escomptaient la victoire totale, ils n’en récoltèrent que l’humiliation de la défaite. De Gaulle restera fidèle à cet enseignement : ne jamais « fausser le jeu logique et nécessaire des pouvoirs de l’Etat », ni laisser le militaire prendre le pas sur le civil.
La Discorde
chez l’ennemi
de Charles de Gaulle. Présentation
d”Hervé Gaymard
Ed. Perrin, 250 pages, 18 euros
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