Rude journée pour les cheminots en lutte contre la réforme ferroviaire, vendredi 18 mai. " Nous avons pris des coups sur la tête ", reconnaissait un syndicaliste un peu groggy en fin de soirée. Le dix-neuvième jour de grève du conflit en pointillé, qui dure depuis le 3 avril, a en effet vu coïncider l'un des plus faibles taux de mobilisation de cette séquence sociale avec une défaite des syndicats de la SNCF dans la bataille juridique qui les oppose à la direction de l'entreprise sur le paiement des jours de grève.
Le chiffre de la mobilisation d'abord : 15,7 % de grévistes seulement en ce vendredi précédant le week-end de Pentecôte. Le résultat était hautement attendu car venant après un impressionnant taux de 27,6 % des personnels en grève lundi 14 mai, l'un des plus hauts de la mobilisation en cours. Ce bond spectaculaire, après une érosion continue, laissait alors penser que la bataille contre le " nouveau pacte ferroviaire " était en train de connaître une vigueur nouvelle.
" Il ne faut pas baisser la garde "Ce regain semble n'avoir été qu'un feu de paille, le chiffre de ce 18 mai retombant quasiment au niveau de ce qui demeure aujourd'hui comme le plus petit score de la campagne sociale : 14,5 % de grévistes le 9 mai.
" La forte mobilisation du 14 mai a été une parenthèse, un sursaut temporaire, commente Mathias Vicherat, directeur général adjoint de la SNCF.
Nous présentons d'ailleurs, samedi 19 mai, le meilleur plan de transport pour une journée de grève depuis le début du conflit. "
L'autre déception pour les syndicats de cheminots est venue du tribunal de Bobigny. Déboutées en référé, deux des organisations syndicales de la SNCF (CFDT et UNSA) n'ont pas réussi avec cette procédure d'urgence à contrer la direction, qui refuse de payer certains jours de repos aux grévistes. L'affaire sera jugée sur le fond le 31 mai, mais, en attendant, ces déboires juridiques vont augmenter la facture de la grève pour les agents dès la fin de ce mois et, sans doute, faire basculer une part des très-grévistes vers le camp des non-grévistes ou des peu-grévistes.
Dans l'adversité, les cheminots tâchent toutefois de faire bonne figure.
" On poursuit évidemment au fond. Ce n'est qu'un référé ", a déclaré Sébastien Mariani, secrétaire général adjoint de la CFDT-Cheminots, commentant la décision de justice.
" La baisse de participation existe, mais elle doit beaucoup au fait qu'on est à la veille d'un week-end de trois jours, suggère Florent Monteilhet, secrétaire fédéral de l'UNSA-Ferroviaire.
Nous avons repris notre bâton de pèlerin pour remobiliser les collègues. Il ne faut pas baisser la garde. Il y a encore des batailles à gagner. "
Les regards syndicaux se tournent maintenant vers le Sénat, où de nombreux espoirs sont placés dans le rapporteur du projet de loi " pour un nouveau pacte ferroviaire ", Gérard Cornu. Le sénateur d'Eure-et-Loir apparenté Les Républicains a rédigé 70 des 162 amendements déposés vendredi 18 mai dans la soirée, afin de préparer la discussion devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable de la Haute Assemblée.
" Nous avons souhaité mettre l'accent sur l'aménagement du territoire et la dimension sociale de la loi, qui n'a pas été assez élaborée à l'Assemblée nationale en première lecture ", résume M. Cornu. Voilà qui devrait sonner aimablement aux oreilles des syndicats de la SNCF, lesquels ont été reçus par le sénateur cette semaine (à l'exception de la CGT, qui a boudé l'invitation).
Mais les représentants des cheminots vont être déçus s'ils espèrent le grand soir. La majorité sénatoriale de droite a rappelé son adhésion aux fondamentaux de la réforme : concurrence, fin du statut de cheminot, transformation de la SNCF en société anonyme. Et M. Cornu d'enfoncer le clou :
" Ce ne sont pas les syndicats qui font la loi en France. "
Le sénateur LR propose malgré tout des ouvertures sociales, en particulier sur un sujet épineux : le transfert des agents SNCF vers le privé lors de l'ouverture à la concurrence. Volontariat étendu à la région, allocations prises en compte dans le salaire transféré, droit au retour à la SNCF au bout de trois ans sous certaines conditions… Les gages existent. Mais un problème majeur demeure. Le caractère obligatoire de ce transfert, affirmé à la fois par le gouvernement et par la majorité sénatoriale, ne passe pas, même auprès des syndicats réformistes.
Une profonde fractureS'il est un point, en tout cas, sur lequel syndicalistes de la SNCF, direction de l'entreprise et observateurs de tous bords tombent d'accord, c'est que le corps social de l'entreprise est en grande souffrance.
" Nous avons assisté à une assemblée générale dans un dépôt habituellement calme et pondéré, raconte un leader syndical.
La désillusion des cheminots, qui sont en train de se rendre compte que la réforme va sûrement passer, est immense. Cette émotion se mélange avec une peur intense de l'avenir et le sentiment très douloureux qu'ils sont en train de vivre la fin de la SNCF. "
Une profonde fracture traverse la vieille maison. Une grande partie de la base mais aussi de ses cadres intermédiaires – appelés " dirigeants de proximité " dans le jargon interne – refuse toujours mordicus le bouleversement en préparation.
Le résultat de la " vot'action " pour ou contre le nouveau pacte ferroviaire, lancée le 14 mai et prolongée jusqu'au mardi 22 mai, devrait ressembler à un raz-de-marée antiréforme. Se fondant sur des sondages réalisés auprès des salariés (et dont le résultat est tenu secret), la direction s'attend à des résultats atteignant voire dépassant les 80 % de votes hostiles.
Il ne sera pas facile de relancer la machine avec des troupes dans un tel état de défiance. Plusieurs manageurs de l'entreprise en ont pris la mesure, tel Patrick Jeantet, le PDG de SNCF Réseau.
" Je sens s'amplifier et s'étendre un sentiment de malaise ",écrit le numéro deux du groupe ferroviaire dans une lettre ouverte aux salariés publiée ce vendredi et titrée " Pas un cheminot ne restera au bord du chemin "
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Éric Béziat
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