C'est un retournement inattendu et une accélération que bien peu avaient anticipé. Après trois années au plus bas, et une remontée progressive depuis juin 2017, les prix du pétrole s'envolent de nouveau. Jeudi 17 mai, ils ont franchi en séance les 80 dollars (67,70 euros) le baril, pour la première fois depuis la fin 2014. Depuis le 1er janvier, les prix ont gagné près de 20 %. Et cette hausse n'est probablement pas terminée, estiment plusieurs observateurs.
Inquiétudes sur le pétrole iranien Deux facteurs immédiats pèsent sur le marché : d'abord, la décision du président américain, Donald Trump, le 12 mai, de retirer les Etats-Unis de l'accord nucléaire iranien et d'adopter des sanctions dures contre Téhéran. Il est difficile de savoir combien de barils de la République islamique seront retirés du marché mondial : entre 400 000 et 1 million par jour, sur les 2,8 millions de barils exportés quotidiennement aujourd'hui par l'Iran, selon les estimations. Plusieurs pétroliers européens pourraient décider de ne plus acheter de brut iranien, de peur d'être directement concernés par les sanctions américaines.
Mercredi 16 mai, le français Total, seul groupe du secteur des hydrocarbures à s'être engagé dans un important projet gazier avec Téhéran, a annoncé qu'il était sur le point de se retirer du pays si les Etats-Unis ne lui octroyaient pas une dérogation spécifique pour continuer son activité– ce qui semble peu probable.
S'il devait se concrétiser, ce retrait serait " un symbole " pour les marchés, a expliqué Matt Smith, analyste chez ClipperData, à l'Agence France-Presse (AFP). " Cela reflète les potentiels effets directs de la décision américaine de réimposer des sanctions à l'Iran. "
La déroute pétrolière du Venezuela Mais un autre pays concentre les préoccupations. Le Venezuela, qui dispose des plus grandes réserves d'or noir au monde, est embourbé dans une crise politique et économique majeure.
Or ses infrastructures pétrolières sont vieilles et peu efficaces, sa compagnie publique, PDVSA, est en déroute et sa production est en chute libre ; un effondrement colossal : entre avril 2017 et avril 2018, elle est passée de 2,8 millions de barils par jour à moins de 1,5 million.
Cette situation pourrait empirer si Washington prenait de nouvelles sanctions contre Caracas après l'élection présidentielle du 20 mai. " Dans l'hypothèse où les Etats-Unis interdiraient totalement les importations de brut vénézuélien, cela se traduirait, pour le marché, par une disparition de plus de 400 000 barils " par jour, dit Tamas Varga, analyste pour PVM Oil.
L'Arabie saoudite et la Russie en position de force La diminution de l'offre mondiale intervient dans un contexte où l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et la Russie ont mis en place une politique de réduction volontaire de la production pour stimuler les cours de l'or noir, en novembre 2016. Porté par l'Arabie saoudite et Moscou, cet accord a, de fait, permis aux pays pétroliers de faire remonter le prix du baril et de retrouver des revenus significatifs provenant du secteur des hydrocarbures.
Maintenant que le cours est remonté, cet accord a-t-il encore du sens ? Certains pays du cartel penseraient à l'assouplir lors du prochain sommet de l'OPEP, en juin, à Vienne. Mais le gouvernement saoudien, engagé dans un vaste programme de réformes et dans une guerre coûteuse au Yémen, se satisfait d'un prix élevé. De fait, Riyad pourrait facilement augmenter sa production pour faire baisser la pression sur les marchés, mais ne semble pas décidé à le faire immédiatement.
" Il y a une forte demande sur les marchés ; l'OPEP et la Russie appliquent leur politique efficacement et par-dessus cela vous avez l'annonce sur l'Iran qui pousse les prix à la hausse. Je ne serais pas surpris de voir un baril à 100 dollars dans les prochains mois ", a expliqué le patron de Total, Patrick Pouyanné, jeudi, lors d'une conférence à Washington.
Le retour d'un baril à 100 dollars ? La perspective a de quoi ravir les pays pétroliers et de quoi inquiéter les très gros importateurs – notamment les Européens et les Américains. L'activité économique des pays développés avait fortement profité de la baisse des cours en 2014.
Mercredi, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a mis en garde contre une remontée trop brutale des cours. " Il serait extraordinaire qu'une telle hausse n'ait pas de conséquences sur la croissance de la demande, d'autant plus que les politiques de soutien aux automobilistes dans un certain nombre de pays développés ont été réduites ou annulées ces dernières années ", prévient l'AIE.
Nabil Wakim
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