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samedi 12 mai 2018

Les Crises.fr -Création d’une Nouvelle Syrie : propriété, dépossession et survie du régime

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11.mai.2018 // Les Crises




Création d’une Nouvelle Syrie : propriété, dépossession et survie du régime


Source : Blog de Joshua Landis, 15-04-2018

Des bulldozers détruisent des barrières barrant une route dans la ville d’Harasta, à l’est de Damas (SANA via AP)
15 avril 2018
Alors que tous les regards étaient tournés sur l’attaque menée par l’armée américaine en réponse à la présumée attaque chimique dans l’Est de la Ghouta, un événement peu remarqué qui aurait potentiellement pu avoir un impact bien plus important sur le futur de la Syrie s’est produit. Il y a environ dix jours, le régime du président Assad passait la Loi n°10. Cette loi prévoit la création d’entités administratives locales en charge des efforts de reconstruction dans chaque province du territoire tenue par le régime. Tous les Syriens auront pour obligation d’enregistrer leurs propriétés privées auprès de ces entités locales en fournissant en personne ou via des représentants légaux leurs titres de propriété. Cela doit être fait dans les deux mois qui viennent environ. En cas de non respect de cette obligation, le risque encouru est la saisie par l’État syrien de toute propriété non enregistrée.

Avec le déplacement de la moitié de la population syrienne et les nombreux transferts de propriété effectués avant 2011 de manière non officielle, ce sera mission impossible pour beaucoup de Syriens. Selon le degré d’application et de respect de cette loi, la conséquence la plus probable sera l’acquisition par l’État syrien d’un nombre considérable de propriétés dans un futur proche – terrains, constructions et autres biens immobiliers – sur le territoire actuellement sous son contrôle. La réelle conséquence ici est double. La conséquence la plus importante est la mainmise du régime du président Assad sur les biens dont il a besoin pour financer la reconstruction du pays et rétablir le fondement de son pouvoir tout en préservant sa viabilité sur le long terme et son indépendance. De plus, les centaines de milliers – voire les millions – de Syriens qui ont fui les combats ou l’enrôlement forcé seront dépossédés de leurs biens. La Loi n°10 est un chef d’œuvre faustien – à la fois dans son injustice et dans son ingéniosité.
Le contexte est le suivant : la Banque mondiale a estimé qu’au moins 200 milliards de dollars seraient nécessaires pour reconstruire la Syrie. Le régime syrien est en faillite depuis maintenant un certain temps, maintenu à flot financièrement par la Banque Centrale Iranienne et par diverses banques libanaises. La Russie et l’Iran n’ont ni la volonté, ni les fonds nécessaires au financement de la reconstruction syrienne. Les pays du Golfe, les États-Unis et l’Union européenne ont fait clairement savoir qu’ils ne participeraient pas à la reconstruction de la Syrie sans une « véritable transition politique » – une référence à leur désir de concessions politiques réelles de la part du futur gouvernement syrien. Ceux qui connaissent le mieux le conflit syrien estiment qu’une telle transition surviendra lorsqu’il gèlera en enfer.
Et pourtant, la reconstruction de la Syrie est essentielle au régime du président Assad. Non pas parce qu’il se soucie de rétablir un niveau décent de services de base tels que le système de santé et le logement ou du retour des réfugiés syriens. Il y a quelques temps, des personnages comme le Général de division syrien Issam Zahreddin (depuis mort au combat) ont clairement fait savoir que les réfugiés ne devaient pas compter sur un accueilchaleureux à leur retour.
Non. La reconstruction est essentielle à la survie du régime car il doit récompenser les réseaux d’hommes d’affaires, les militaires et les chefs de milices qui l’ont aidé à remporter la guerre. La reconstruction est également vitale à l’autonomie du régime car il doit ré-établir son socle de pouvoir et son indépendance vis-à-vis de ses soutiens internationaux qui comptent sur la future loyauté de leur fidèle allié syrien lorsque le conflit sera terminé. L’Iran, par exemple, travaille déjà à l’instauration sur le long terme de sa présence sociale, religieuse et militaire dans le pays.
Du fait de ses impératifs de survie et d’autonomie, la logique de reconstruction du régime fera écho à sa logique de guerre : prise de sanctions systématiques contre le manque de loyauté sans pour imposer un climat de peur, cooptation sélective et conclusion d’accords avec les groupes d’opposition lorsque cela offre une solution à bas coût pour le régime tout en sauvegardant ses intérêts. A Damas, Homs et Alep, les efforts initiaux de reconstruction urbaine entrepris par le régime sur la base du décret 66 (2012) montrentdéjà comment, à l’aide de dépossessions forcées à des prix bien en dessous de ceux du marché et en ayant recours à ses entreprises immobilières et de construction, le régime utilise des programmes immobiliers haut de gamme pour générer des fonds et récompenser ceux qui lui furent loyaux. La nationalisation des biens rendue possible par la Loi n°10 portera cette manœuvre à un niveau supérieur.
Une autre conséquence de la Loi n°10 est la possibilité de contrôler à grande échelle la démographie du pays en réaffectant les propriétés saisies à de nouveaux propriétaires. Cela n’aura pas nécessairement un caractère sectaire car la majorité des Syriens et des fidèles du régime sont sunnites. Cela créera plutôt de larges centres urbains fidèles au régime et soutenant son pouvoir tout en limitant le retour des réfugiés, qui en grande majorité ne sont pas considérés comme des sympathisants du président Assad.
En plus de refaçonner les centres urbains en zones concentrant des populations loyalistes envers le régime, cette stratégie pourrait aussi mener à la disparition des quartiers sunnites pauvres qui entourent les principales villes syriennes et qui furent le lieu de recrutement de nombreux rebelles. Dans la mesure où ces banlieues pauvres sont actuellement dépeuplées en raison du recrutement des rebelles, des victimes et des départs, le régime va probablement recourir à la Loi n°10 pour faire main basse sur ces terrains (même avant la guerre, les droits de propriété n’étaient pas clairement établis dans beaucoup de ces zones) et ainsi empêcher la réinstallation des réfugiés s’ils décident de revenir. Les populations sunnites qui n’ont pas fui et qui vivent encore aujourd’hui dans ces banlieues seront également susceptibles d’être déplacées et dépossédées en fonction de leur degré de déloyauté vis-à-vis du régime. Il est clair que les déplacements de populations à grande échelle ne posent pas de problème au régime, dès lors que cela sert ses intérêts. Cette façon de gérer les banlieues ferait disparaître une fois pour toute une source de résistance du régime.
Cependant, il ne s’agit ici que des aspects primaires de cette stratégie. La Loi n°10 pourrait également faciliter un contrôle sectaire à plus petite échelle de la démographie dans certaines zones stratégiques. « L’accord des quatre villes », qui a conduit à l’échange de la population de deux villages sunnites avec la population de deux villages chiites à l’Ouest de Damas, suggère que la frontière libano-syrienne pourrait être l’une de ces zones. Accessoirement, cet accord a été rendu possible par le Qatar, qui l’a considéré comme le prix à payer en dédommagement de la diffusion des images de leur partie de chasse royale en Irak.
Comme si le ré-ancrage du régime syrien n’était pas déjà un final suffisamment triste, l’émergence de parallèles avec la détresse de nombreux palestiniens est étrange et va constituer une nouvelle source d’inquiétude au niveau international. En plus du développement rapide de la diaspora syrienne, la Loi n°10 pourrait bien avoir des conséquences semblables à la loi israélienne relative aux biens des absents qui permet la nationalisation des terres palestiniennes dont les propriétaires ont fui après Novembre 1947. Soixante-dix ans plus tard, le conflit israélo-palestinien hante toujours la conscience mondiale, quoique encore trop peu apparemment pour y mettre un terme et résoudre ce conflit.
En 2017, Pearlman cite Talia – un correspondant en fuite à Alep – au sujet d’un épisode triste mais remarquablement poignant : « J’ai attendu le chauffeur dehors. J’ai embrassé les murs de la rue parce que je savais que je ne reviendrais jamais ici ».
La Loi n°10 a juste rapproché d’un pas ce scénario de la réalité.
Erwin van Veen est chercheur à Clingendael, l’Institut des Relations Internationales des Pays-Bas.
La Loi n°10 donne aux propriétaires fonciers en Syrie et à l’étranger seulement 30 jours – à compter du 11 Avril – pour présenter leurs actes notariés aux conseils municipaux locaux de leur province. Dans le cas contraire, l’État peut liquider leurs titres et saisir leurs propriétés. A la fin du délai d’enregistrement, « les terrains restants seront vendus aux enchères », indique l’article 31 de cette loi.
Pour les citoyens syriens résidant à l’étranger comme Muhammad, des membres de leur famille aussi éloignés qu’un cousin au deuxième degré peuvent présenter les documents nécessaires en son nom.
Cependant, il ya parmi les millions de Syriens touchés par la Loi n°10 des réfugiés et des personnes déplacées au sein du territoire syrien pour lesquels aucun membre de leur famille n’est plus sur place pour les aider dans leurs démarches d’enregistrement de leurs biens, ainsi que des personnes dont les actes notariés ont été perdus ou détruits pendant la guerre.
Peut-être plus inquiétant pour les sympathisants de l’opposition, tous les propriétaires fonciers souhaitant enregistrer leurs biens doivent au préalable obtenir l’approbation de représentants de la sûreté nationale a indiqué à Syria Direct une avocate de Damas familière de cette loi qui a accepté de commenter cette loi sous couvert d’anonymat par peur des représailles.
Selon cet avocat, « sans cette approbation, ils ne seront pas en mesure de prouver leur possession d’un bien ». « De ce fait, ce bien sera vendu aux enchères ou revendiqué par quelqu’un d’autre. »
« C’est sur ce point que repose la gravité de ce décret », a-t-elle ajouté.
Le besoin de présenter une autorisation pourrait empêcher une grande partie de la population syrienne sur place et à l’étranger visée par des mandats d’arrêt ou connue pour ses sympathies contre le gouvernement d’enregistrer leurs biens.
Muhammad est l’un d’eux. Bien qu’il possède l’acte de proprieté de sa maison et de ses terres situées dans le village d’al-Buwaidah a-Sharqiyah au sud d’Homs, il affirme que le gouvernement syrien a émis un mandat d’arrêt contre lui.
« Je suis recherché par le régime pour incitation et participation à des manifestations », dit Muhammad. « Ce que je comprends, c’est que le régime cherche à prendre possession de nos terres en s’appuyant sur un texte légal, créant de nouvelles lois pour répondre à ses intérêts. »
Source : Blog de Joshua Landis, 15-04-2018
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]
DUGUESCLIN // 11.05.2018 à 05h57
Admettons que les syriens qui ont quitté la Syrie, à cause des invasions de groupes terroristes venus de tous les coins du monde pour mettre en place l’Etat Islamique, aient des difficultés à prouver leur propriété. Mais en retour ceux qui ont été dépossédés de tous leurs biens par ces mêmes mercenaires terroristes, ont une chance de les récupérer grâce à cette loi. Les “squatteurs” issus du terrorisme devront restituer ce qui ne leur appartient pas et quitter le pays.
Ces mêmes squatteurs ne pourront pas prouver qu’ils sont propriétaires et les propriétés non revendiquées reviendront à la Syrie et l’état pourra les redistribuer aux syriens. Mettre à la porte des mercenaires terroristes qui sont “devenus” provisoirement de gentils civils prêts à reprendre les armes, est un devoir pour le gouvernement, si la Syrie veut une paix durable.
La Syrie appartient aux syriens et non pas au “régime” d’Assad pas plus que la France appartient au “régime présidentiel” de Macron. Ceci est une autre interprétation possible de cette loi n° 10.

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