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lundi 14 mai 2018

Emmanuel Druon....." On a créé une bulle contre la violence économique "


13 mai 2018
Un apÉro avec… Emmanuel Druon

" On a créé une bulle contre la violence économique "


A la Galerie du Plaza Athénée, à Paris, le 22  mars.
Guillaume Belvèze pour " Le Monde "
Chaque semaine, " L'Epoque " paie son coup. Révélé dans le film " Demain ", le PDG de Pocheco, qui fabrique des enveloppes, promeut l'écolonomie Par Denis Cosnard

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1965 1997 2015 2015
Naissance à Paris. Son père dirige le journal Le Particulier,sa mère est psychanalyste
Reprend l'usine d'enveloppes Pocheco, à Forest-sur-Marque (Nord), achetée par son père en  1976
Premier livre : Le Syndrome du poisson-lune (Actes Sud)
Témoigne dans Demain, de Cyril Dion et Mélanie Laurent, César du meilleur film documentaire l'année suivante
Il est tout gêné d'être ici, dans ce palace des Champs-Elysées, avec six mètres de hauteur sous plafond et une harpiste qui égrène ses notes tandis que les clients dégustent leur café. " Quand je vais dire ça aux collègues… " Emmanuel Druon a beau être PDG, le luxe n'est pas son monde. Dans son entreprise, il a opté pour le salaire minimum – certains de ses salariés -gagnent quatre fois plus que lui ! Alors ce chantre de l'écologie et de la -sobriété aurait préféré un lieu plus simple. Pour ne pas être bloqué par les grèves, il a néanmoins -accepté de se replier sur un grand hôtel proche de son rendez-vous précédent. Quitte à  se sentir un peu déplacé en posant sa grosse sacoche orange sur le canapé… Nous commandons deux thés noirs. Idéal pour la voix.
Patron et " collègue " de ses salariés malgré tout. Industriel et écolo. Business-man mais littéraire dans l'âme. " Maladivement timide " et pourtant -vedette. -Emmanuel Druon, le PDG du fabricant d'enveloppes Pocheco, est un -curieux animal. Un oxymore fait homme, qui tente sans cesse de concilier ce qui -paraît incompatible, en lui comme autour de lui. D'emblée, ce fils d'un patron de presse et d'une psychanalyste admet être guetté par une forme de schizophrénie : " D'un côté, il faudrait que l'entreprise ait une croissance continue, se développe sur un continent, puis deux, avale ses concurrents, etc. De l'autre, les ressources s'amenuisent et le réchauffement climatique risque d'entraîner des catastrophes. En tant qu'industriel, on se sent à la fois impuissant et responsable. "
" On peut entreprendre sans détruire ", assure-t-il cependant, en sortant de son sac un des deux carnets qu'il transporte toujours avec lui, l'un pour tout ce qui -concerne l'entreprise, l'autre pour nourrir son prochain livre. Avant notre apéro, il y a préparé quelques phrases. " Il est plus économique de produire de façon -éco-logique, l'expérience de notre entreprise le prouve depuis vingt ans. " Récemment, cette expérience a obtenu un écho impressionnant grâce aux deux livres du -patron et surtout à son témoignage dans Demain, de Cyril Dion et Mélanie -Laurent, un film qui a dépassé le million d'entrées en France et remporté le César du meilleur documentaire en  2016. D'un coup, le quinquagénaire pudique est devenu une figure publique sollicitée. Plus de 200  conférences données en trois ans. Le soir même, il doit intervenir à Rouen.
L'usine Pocheco accueille désormais 500  visiteurs par semaine. " Notre petit site du Nord, qui n'a rien à vendre au grand public, se transforme en une sorte de ferme modèle ! ", dit en souriant Emmanuel Druon. C'est qu'à Forest-sur-Marque (Nord), près de Lille, l'entreprise héritée de son père pousse l'expérimentation plus loin chaque -année. Pour un arbre coupé afin de fabriquer la pâte à papier, dix sont replantés. Tous les éléments toxiques utilisés dans les -encres ont été retirés. Une bambouseraie a été installée : " C'est une station d'épuration très efficace ", constate le PDG. Grâce à sa -toiture végétalisée, Pocheco récupère aussi l'eau de pluie et la réutilise pour -nettoyer les machines, avec du simple -savon de Marseille. Les dernières saletés servent de -combustible : " On se chauffe presque à l'eau de pluie ! "
Ajoutez à cela une dose d'anti-management. Peu de hiérarchie. Pas de dividendes pour le PDG, seul actionnaire. Tous les bénéfices sont réinvestis ou mis de côté. " Nous sommes une équipe soudée parce que nous avons un projet commun, qui est de produire sans laisser de traces, explique Emmanuel Druon. On a ainsi créé une bulle protectrice contre la violence économique. " La violence, pourtant, reste aux aguets. Surtout dans une industrie qui s'effondre, comme celle du papier. Chaque année, les Français échangent plus d'e-mails et envoient moins de courriers. Le patron baisse la voix : " Ce que j'entends à longueur de journée, c'est : “Votre enveloppe, je n'en veux pas.” " Qu'ils sont durs, ces clients ! Il faut donc être le moins cher, sans perdre en qualité. " Coup de bol, en simplifiant nos recettes dans un but éco-logique, on a aussi réduit nos coûts. "
Malgré ces efforts, Pocheco -demeure sur la corde raide, à la merci du moindre accroc. Il y a six ans, un incendie a ravagé le stock et entraîné des pertes. Des dotations aux investissements insuffisantes ont provoqué une nouvelle -secousse en  2016-2017. Et revoici l'entreprise dans le rouge… " Je crois que le combat n'est pas perdu, assure -Emmanuel Druon. Dans des pays comme les Etats-Unis, l'Allemagne ou l'Espagne, les ventes d'enveloppes remontent, au moins pour certains usages. Les technologies numériques sont si destructrices… y compris de nos libertés individuelles ! "
Surtout, les actions de la PME pour réduire son empreinte sur l'environnement sont en train de lui ouvrir de -nouvelles perspectives. Comment intégrer une usine dans son paysage ? Peut-on utiliser des plantes pour dépolluer des sols industriels ? A la demande de groupes comme Danone, L'Oréal, etc., mais aussi d'architectes ou de collectivités, Pocheco joue désormais les centres de formation et les bureaux d'études sur ce type de sujets. Une activité de pré-tri du courrier a aussi démarré.
Le PDG fait le calcul : " En trois ans, on a créé 25  postes, qui s'ajoutent aux 110  personnes en production. " Cela ne change pas le monde, mais, " au moins, on essaie de détourner la tempête, même si c'est minuscule. Et puis c'est peut-être reproductible par d'autres… ". Soudain, le " Pierre Rabhi de l'enveloppe " soulève ses lunettes et se met à rêver à l'essor que pourrait prendre l'" écolonomie ", cette alliance d'écologie et d'économie qu'il promeut inlassablement. " On pourrait même imaginer une vallée de l'écolonomie, comme la Silicon Valley, mais en mieux. Il est peut-être encore temps. "
Le thé a refroidi. Sobre jusqu'au bout, Emmanuel Druon n'a pas touché au fondant aux amandes. Il range son carnet dans sa sacoche, entre deux livres. Ah, les livres ! Dans ce monde si âpre, ils constituent une source d'apaisement et de questionnement tout à la fois. Racine, Camus, Gracq, Thomas Bernhard, Céline Minard… " Je lis au moins deux heures par jour, je ne peux pas faire sans. J'ai ainsi pu sortir de mes angoisses grâce aux angoisses des autres. D'ailleurs, ce qui m'emmerde le plus avec la mort, c'est de ne pas avoir le temps de tout lire… " Les livres sont aussi utiles à ceux qui les écrivent. " J'aime beaucoup le “nous”, mais on peut parfois faire surgir le “je” sans que ce soit un acte délictueux. Les livres permettent ça ", glisse avec mille précautions l'auteur du -Syndrome du poisson-lune. Un manifeste d'anti-management (Actes Sud/Colibris, 2015)et d'Ecolonomie. Entreprendre sans détruire(Actes Sud, 2016).Réconcilier le " nous " et le " je ", une tâche peut-être encore plus ardue que de conjuguer écologie et économie.
© Le Monde

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