Moins sous les projecteurs médiatiques que Daniel Cohn-Bendit, Alain Geismar ou Jacques Sauvageot, Henri Weber fut pourtant un des acteurs majeurs de Mai 68. A l'époque, la haute silhouette et la belle gueule de rock star de cet étudiant en lettres et sciences humaines détonnait à la tête des manifestations où il menait le service d'ordre. Avec Alain Krivine et Daniel Bensaïd, il dirigeait la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR), qui, en grandissant, devint dans les années 1970 la LCR, la branche la moins dogmatique du trotskisme français. Pendant une quinzaine d'années, il fut de ceux qui voyaient en Mai 68 la répétition générale d'une révolution proche. Après avoir constaté l'impossibilité du grand soir, il passa avec armes et bagages à la social-démocratie, et devint sénateur de Seine-Maritime puis député européen.
A l'occasion de l'anniversaire de Mai 68, il revient dans
Rebelle jeunesse, un -livre à son image, pétri d'humour et de générosité, sur son parcours d'homme engagé, et dresse une analyse lucide de ces journées où le pouvoir gaulliste -vacilla. Né à Leninabad (aujourd'hui Khodjent, au Tadjikistan) en 1944, dans une famille juive d'origine polonaise qui voulait échapper à la Shoah, puis aux persécutions de Staline, Henri Weber n'arriva en France qu'en 1948.
Il fit ses premières armes au sein de l'Hachomer Hatzaïr, des scouts juifs d'inspiration socialiste, où il apprit le sens de l'organisation mais aussi la nécessité d'un certain messianisme pour motiver les jeunes troupes. Recettes que ce pédagogue goguenard mais charismatique appliquera lorsqu'il s'agira de former une nouvelle génération de militants trotskistes. Selon lui, la force motrice des événements de Mai 68 a été une classe d'âge nourrie par le refus de la guerre du Vietnam, les baby-boomeurs, et non pas une classe sociale, en l'occurrence la classe ouvrière, bridée par un PC profondément stalinien. Du coup, hédoniste, démocratique, messianique et romantique, le mouvement de Mai 68 ne se coula dans un folklore marxiste révolutionnaire que pour mieux faire voler en éclats le carcan d'une société autoritaire et non pas prendre le pouvoir.
Après quinze ans d'activisme, effrayé par la violence et le dogmatisme croissants au sein des organisations d'extrême gauche, Weber se dit qu'il valait mieux changer le monde par la persuasion que par la révolution. Et adhéra, au milieu des années 1980, au Parti socialiste. On peut se gausser de cet itinéraire qui va de la révolte à l'utopie du moindre mal. Il est néanmoins symptomatique de l'histoire de la gauche européenne.
Yann Plougastel
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