On ne les entend pas souvent dans les assemblées générales (AG) étudiantes, qui, depuis plus de trois semaines, se réunissent pour voter les suites du mouvement contre la loi orientation et réussite des étudiants, accusée d'instaurer la sélection à l'entrée à l'université. Plutôt que de prendre la parole dans un amphithéâtre plein à craquer, ce qui est d'autant moins facile s'il est majoritairement acquis à la cause du mouvement, des étudiants opposés aux blocages de leur université essaient d'exister sur Internet.
Une quinzaine d'universités (sur soixante-dix) restaient touchées par le mouvement, mardi 17 avril, dont quatre étaient totalement bloquées. Certaines connaissent déjà des annulations ou un report des examens, comme à Nanterre où les partiels devaient normalement commencer le 16 avril. Et où, mardi, une AG réunissant entre 1 600 et 1 700 personnes a voté massivement pour une reconduction du blocage jusqu'à jeudi. Cette proximité des examens est souvent au centre des préoccupations de ceux que, sur les campus, on surnomme les " antiblocages ".
" Nous sommes apolitiques "Pétitions, création de groupes -Facebook pour débattre ou s'organiser, de hashtag permettant de se faire connaître sur les réseaux -sociaux
(#jeveuxetudier, #mafacmonavenir, #rendslafac, etc.), les moyens d'action des étudiants opposés au blocage sont encore limités, mais la volonté est là.
" On voit bien que ceux qui sont “pour” les blocus sont très bien organisés. On doit l'être aussi ", commente Jim Sermeth, étudiant en troisième année d'histoire à l'université -Paris-Sorbonne (Paris-IV) et l'un des porte-parole de ce qu'il définit déjà comme le " mouvement #jeveuxetudier ".
Lancé par des étudiants de -Paris-IV début avril, alors que le campus de Clignancourt de l'université commençait à être bloqué, ce mouvement a pour objectif de réunir
" tous ceux " qui souhaitent la fin du blocus au sein de cette université,
" mais aussi dans toute la France ", précise sa page Facebook, forte de 851 membres, le 16 avril.
" Nous sommes apolitiques, et on ne demande pas aux gens qui nous rejoignent s'ils sont pour ou contre cette loi. Nous nous réunissons uniquement sur notre opposition au blocus et notre -volonté de pouvoir recommencer à travailler sereinement ", s'empresse de préciser Jim Sermeth. Il sait que d'autres mouvements antiblocage, ailleurs, peuvent être très politisés, à l'extrême droite entre autres.
Sur cette page Facebook, les étudiants débattent des moyens de faire entendre leur voix, tentent de se mobiliser pour aller voter en nombre en AG contre le blocage. Mais aussi pour tenter d'élargir leur mobilisation :
" Cela nous permet aussi d'entrer en contact et de réfléchir avec d'autres étudiants mobilisés à Paris-VIII, Paris-I, Lille, etc. ", complète le jeune homme.
Les étudiants réfléchissent aussi à des alternatives à ces assemblées générales,
" illégitimes " selon eux.
" L'auditorium dans lequel se déroulait l'AG, mardi - 10 avril - ,
ne permet pas de faire entrer tout le monde. Les pro-blocages étant déjà présents sur les lieux, ils étaient en nombre plus important que nous… ", commente Josselin -Brettnacher, un étudiant en philosophie de Paris-IV. Lui propose de permettre
" un vote en ligne " afin de toucher tous les étudiants de l'université.
Appels aux syndicats
" En assemblée générale, il faut reconnaître qu'on nous laisse prendre la parole quand on la demande. Mais ce n'est pas facile, car on se fait siffler, etc. ", note, de son côté, Karl Simler, étudiant en L3 droit-sciences politiques à Nantes. Il est membre du collectif Nantes libre, officiellement
" apartisan et apolitique " aussi, même si Karl -Simler est, lui, militant actif du parti Les Républicains.
Comme d'autres étudiants interrogés, il raconte qu'il n'est pas toujours facile d'attendre la fin de l'AG,
" qui est parfois interminable ", pour participer au vote pour ou contre le blocus. Le jeune homme en est certain, les
" bloqueurs sont en perte de vitesse alors que les antiblocages se mobilisent de plus en plus ". Comme lorsqu'ils sont intervenus, à -Nantes, pour essayer de débloquer la fac de droit, ou lorsqu'ils ont envoyé une délégation auprès de la présidence de l'université pour défendre leur cause. Nantes Libre est aussi à l'initiative d'une pétition qui réunissait, mardi 17 avril, près de 1 100 signataires opposés au blocus.
Une recherche sur la plate-forme Change.org fait état d'une quinzaine de pétitions de ce type aujourd'hui. S'y ajoutent des lettres ouvertes à la ministre de l'enseignement supérieur, comme celle d'étudiants et de personnels de l'université Toulouse Jean-Jaurès, à l'arrêt depuis le 6 mars. Signée par plus de 2 500 personnes, celle-ci demande à Frédérique Vidal de
" prendre ses responsabilités ", par crainte que
" de blocages partiels en blocage total ", la situation sur place débouche sur
" une année universitaire 2017-2018 blanche. (…)
Mais aussi à l'impossibilité d'organiser et de mettre en place l'année 2018-2019 ". Ce texte a d'ailleurs déjà
suscité
sa contre-pétition, dénonçant l'appel
" à demi-mot à la violence policière envers des étudiants et personnels ".
Une des dernières solutions expérimentées par les étudiants opposés au blocage consiste à s'appuyer sur un syndicat étudiant. Ainsi, des sections locales de l'Union nationale interuniversitaire (UNI), classée à droite, sont à l'origine de pétitions ou de recours devant les tribunaux administratifs pour demander la levée des blocus. Ce recours à la justice n'est d'ailleurs pas que le fait de syndicats. Après des procédures à Montpellier ou encore Paris, trois étudiants inscrits en lettres et sciences humaines à Nancy ont fait la même démarche, mardi 17 avril. De son côté, le syndicat FAGE, majoritaire dans les instances représentatives et favorable à la nouvelle loi, a lancé lundi un site Internet intitulé #soisjeuneettaistoi ??? destiné à
" redonner la parole à l'ensemble des étudiants " et à
" combattre la désinformation " sur la réforme.
Parfois, le réseau et les capacités de mobilisation syndicale arrivent même à faire pencher la balance du côté des antiblocages. Ce fut le cas le 11 avril à Strasbourg, à quelques dizaines de voix près.
" Nous avions réussi à faire venir à l'AG plus de 130 personnes opposées au blocage ", se félicite Thibaut Haan, président de l'Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg (Afges), membre de la FAGE. Le président de l'université, Michel Deneken, qui avait dénoncé dans les médias
" la dictature d'un petit nombre qui prétend libérer les gens qui sont ignorants ", s'en était réjoui dans un Tweet.
Le lendemain, une autre AG votait la reprise du blocage…
Séverin Graveleau
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