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dimanche 8 avril 2018

Pour la création " d'obligations retraite "


7 avril 2018

Pour la création " d'obligations retraite "

Trois professeurs de finance, Lionel Martellini, Robert C. Merton et Arun S. Muralidhar, suggèrent l'émission d'obligations dont l'échéance et la durée correspondraient aux âges de départ et d'espérance de vie à la retraite

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LE CONTEXTE
épargne
Le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, a dévoilé le 28  mars lors du forum  Entreprises en -action(s) ! des mesures destinées à orienter l'épargne des Français vers les entreprises, qui -devraient figurer dans la loi Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) présentée en -conseil des ministres en mai. Ces mesures visent d'une part -à simplifier et harmoniser la -fiscalité et les modalités des -différents produits d'épargne – en particulier d'épargne-retraite – sans pour autant les fusionner, d'autre part à inciter, par des -allégements fiscaux et -réglementaires, les épargnants à choisir des produits plus risqués d'investissement dans les -entreprises. Pour certains -économistes, il faut aller plus loin dans la reconstruction de l'offre de placements.
L'un des objectifs du projet de loi " plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises " (Pacte), qui devrait être présenté en conseil des ministres en  mai, est de réorienter l'épargne long terme des Français pour la rendre non seulement plus productive pour le financement de l'économie, mais aussi plus efficace pour le financement de leur retraite.
Une grande partie de l'épargne des ménages est stérilisée dans des contrats d'assurance-vie, qui bénéficient d'un traitement fiscal avantageux mais ne sont pas du tout adaptés aux besoins de la préparation à la retraite. L'objectif d'épargne d'un futur retraité peut, en fait, se formuler de manière assez claire : il s'agit de disposer d'un revenu de remplacement lui permettant de financer ses besoins de consommation pendant la retraite. Si le besoin est clair, il est pourtant mal couvert par les contrats existants. En fait, même les contrats en euros, réputés non risqués dans la mesure où ils offrent une garantie en capital, ne permettent pas de sécuriser un montant minimal de revenu de remplacement à la retraite.
La question de la pertinence des supports d'épargne longue se pose aujourd'hui avec d'autant plus d'acuité que l'équilibre de notre système public de retraite par répartition est menacé par une crise sans précédent, caractérisée par l'allongement général de la durée de vie et la forte baisse du nombre d'actifs par retraité : ce ratio s'élève désormais à 2,2, il est parmi les plus faibles des pays développés.
Dans la mesure où l'importance des régimes complémentaires, constituée du bloc AGIRC-ARRCO, reste relativement modeste, les salariés se trouvent dans l'obligation de recourir à des plans d'épargne individuels afin de compléter leur retraite publique et leur éventuelle retraite d'entreprise. Ils se trouvent ainsi de facto de plus en plus responsables des décisions relatives à la constitution de leur épargne-retraite et au placement de cette épargne, ce qui pose un véritable défi pour des individus n'ayant pas pour la plupart l'expertise, l'intérêt ou même le temps nécessaires à la mise en place d'un plan de retraite adapté à leurs besoins.
Pour répondre à ce défi, nous préconisons l'émission régulière d'" obligations retraite ", dont les deux caractéristiques principales seraient d'une part un début des paiements différé, d'autre part des annuités constantes en valeur nominale (avec une possible revalorisation tenant compte de l'inflation) versées pendant une durée fixe de vingt ans, qui correspond à peu près à l'espérance de vie à la retraite.
Ainsi, un individu de 55 ans qui achèterait aujourd'hui une obligation d'échéance 2028 commencerait à en percevoir le revenu annuel en  2028, quand l'individu alors âgé de 65 ans atteint l'âge supposé de la retraite, et continuera à le percevoir pendant vingt ans, soit jusqu'en  2048. Le mécanisme serait ainsi particulièrement simple et transparent, ce qui faciliterait la construction d'une épargne-retraite pour des individus ne disposant d'aucune expertise en matière financière : si l'on suppose un paiement unitaire de 5 euros par obligation sur une base annuelle, un individu achetant 2 000 titres obtiendrait ainsi à partir de l'âge de la retraite un revenu de remplacement de 10 000 euros par an pendant vingt ans.
En France, ces obligations pourraient être particulièrement adaptées à de nouvelles formes de contrats en euros à définir dans le cadre de la loi Pacte afin d'encourager l'épargne longue. Dans l'ensemble de la zone euro, ces obligations trouveraient naturellement leur place dans le cadre de programmes d'investissement mis en place par des individus ou par des fonds de pension. Plus généralement, ces obligations pourraient également servir de base à l'élaboration de solutions d'épargne mêlant actions et obligations, et qui seraient orientées vers la production d'un revenu de remplacement pendant la retraite plutôt que vers la recherche de la performance sans réflexion sur la finalité de celle-ci.
une menace très lourdeLes modalités techniques de ces émissions, à savoir la date de départ des paiements, leur durée et la possibilité d'une éventuelle indexation sur l'inflation, doivent être définies par les émetteurs, à savoir idéalement le Trésor pour la dette publique, ou bien des organismes publics ou parapublics bénéficiant de la garantie explicite ou implicite de l'Etat et ayant vocation à émettre des stocks importants de dette.
En plus de leur utilité sociale, ces obligations retraite peuvent également présenter un intérêt pour l'émetteur. Leur échéance différée les rend particulièrement bien adaptées au financement de grands projets d'infrastructure, qui donnent lieu à d'importantes dépenses lorsqu'ils sont engagés et ne produisent des revenus qu'une fois terminés.
La crise des retraites en gestation fait peser une menace très lourde sur la cohésion de notre modèle social. Les individus commencent en général trop tard à épargner pour leur retraite et ils ne sont que très rarement en situation de prendre des décisions éclairées pour le placement de cette épargne. Dans ce contexte, la science et l'ingénierie financières peuvent avoir un impact social très fort en favorisant l'émergence d'innovations simples et utiles pour les individus. L'introduction d'instruments financiers adaptés bénéficiant d'un cadre fiscal incitatif ne suffira peut-être pas à résoudre la crise des retraites, mais elle contribuerait significativement à en changer la donne !
Par LIONEL MARTELLINI, ROBERT C. MERTON et ARUN S. MURALIDHAR
© Le Monde

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