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dimanche 8 avril 2018

La fausse bonne idée de la " flat tax "


7 avril 2018

La fausse bonne idée de la " flat tax "

Pour l'économiste Thierry Aimar, alléger la fiscalité des placements financiers ne modifiera pas la structure de l'épargne des Français et bénéficiera aux plus hauts patrimoines sans pallier l'insuffisance de fonds propres des entrepreneurs

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Le gouvernement cherche à réorienter l'épargne des Français vers l'investissement productif. L'un des instruments de cette politique est de modifier la structure de la fiscalité sur le patrimoine : c'est l'objet de l'instauration depuis le 1er janvier 2018 du prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % sur les revenus des placements financiers, souvent appelé " flat tax ".
Alors qu'actuellement moins de 10  % de la valeur totale de l'épargne nationale est placée sur les marchés financiers, on voit facilement l'intérêt d'une telle politique. Rediriger l'épargne des Français pourrait d'abord aider nos champions numériques à lutter à armes égales avec leurs concurrents internationaux. Quoi de plus ahurissant que le décalage abyssal entre les moyens de financement dont disposent les acteurs américains ou chinois du numérique – les fameux Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et les nouveaux BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) –, et ceux laissés aux opérateurs européens ?
La  " flat tax " pourrait ensuite réduire des inégalités de richesses entre les ménages en favorisant la constitution d'un patrimoine fondé sur l'entrepreneuriat et la prise de risque, et non sur la famille et la rente (un tiers du patrimoine des Français provient d'un héritage) ; enfin, elle contribuerait à inverser le rapport de force entre entrepreneurs et capitalistes. A partir du moment où plusieurs entrepreneurs se disputent l'accès à des financements trop rares, ils sont obligés d'offrir aux actionnaires des retours sur investissement plus importants et plus rapides que les concurrents, donnant ainsi une prime au court terme, souvent dénoncée. A la suite de cette surenchère, c'est la quasi-totalité de la création de richesses qui passe des mains des entrepreneurs à celles des investisseurs.
Mais la " flat tax " peut-elle vraiment produire de tels résultats ? Lorsqu'on examine la structure de l'épargne par catégorie sociale, il s'avère que les classes les plus populaires placent (avec de plus en plus de difficulté) leur épargne uniquement sur des livrets défiscalisés ; la classe moyenne rajoute à ce type de produits des investissements dans l'immobilier et l'assurance-vie ; seule la upper class (" classe supérieure ") est capable de coiffer tout cela par des placements sur les marchés financiers.
Finalement, les 10 % plus riches, qui détiennent déjà les deux tiers du total de l'assurance-vie et de l'immobilier hors résidence principale, disposent de 80  % des actions et obligations détenues par les ménages. Alors qu'ils n'ont " que " 30 % du patrimoine total, ils captent ainsi 60 % des revenus du patrimoine.
Que reflètent ces chiffres ? D'une part, que les placements financiers sont une des sources principales de l'inégalité sociale ; d'autre part, que la fiscalité actuelle sur les produits boursiers n'est pas vraiment perçue comme pénalisante par les ménages les plus riches ; enfin, et surtout, que la structure de l'épargne fonctionne comme un système de poupées russes : les agents ne commencent à investir sur le marché financier qu'à partir du moment où ils ont déjà assuré leurs arrières en plaçant leur argent sur les produits les moins volatils possible.
Si les épargnants des classes moyennes et populaires ne veulent pas être confrontés au risque boursier, c'est qu'ils n'ont tout simplement pas les moyens de l'être. Il est donc peu probable que la  " flat tax "  les incite à modifier la structure de leur épargne pour se transformer par un coup de baguette fiscale en spéculateurs prêts à affronter l'incertitude dans l'espoir de s'enrichir. En revanche, ceux qui investissaient déjà sur les marchés boursiers verront mécaniquement s'accroître leur richesse. Avec pour conséquence une augmentation des inégalités par le patrimoine financier. Il est donc à craindre que cette réforme n'accouche d'une souris.
forêt des obstacles structurelsEn fait, l'arbre de la  " flat tax "cache la forêt des obstacles structurels au financement des innovations entrepreneuriales. De plus en plus d'entreprises quittent la Bourse, découragées non seulement par la réglementation tatillonne et les prélèvements forfaitaires, mais aussi par le poids des investisseurs institutionnels et la course à la rentabilité de court terme qui empêchent une saine exploitation des découvertes entrepreneuriales.
Les fonds d'investissement spécialisés dans le private equity (" capital-investissement ") ont pris le relais dans une certaine mesure, mais ils ne sauraient apporter les ressources dont auraient besoin les innovateurs pour passer la vitesse supérieure. Ce phénomène concerne d'ailleurs aussi bien les Etats-Unis que la France et l'Europe. Mais pour espérer rattraper notre retard dans la compétition sur le marché du numérique, la France aurait plus que d'autres pays besoin de moyens de financement aptes à favoriser l'investissement.
C'est toute l'articulation entre les besoins de financement des activités entrepreneuriales et l'offre de capital qui doit être repensée en profondeur. La montée en puissance du financement participatif (crowdfunding), l'engouement pour des cryptomonnaies et l'apparition des " émissions d'actifs numériques " (ICO) sont des expressions de la nécessité d'un meilleur appariement.
L'attention des autorités publiques devrait se tourner vers ces nouvelles formes de financement plutôt que de promouvoir une énième réforme de la fiscalité. Permettre une plus grande irrigation des activités entrepreneuriales par la diversification des circuits de financement et la levée des barrières à l'entrée libérerait nos innovateurs de la contrainte d'une rentabilité de court terme et d'une prise de risque inconsidérée. Avec un effet induit, celui de réduire la volatilité des produits financiers. L'épargne des Français se réorienterait alors naturellement vers le financement entrepreneurial, réconciliant les intérêts en présence.
Le problème ne vient pas du fait que nous n'aurions pas assez de créateurs et d'innovateurs, bien au contraire, mais du fait qu'il y a plus de découvertes entrepreneuriales à la recherche de financements que de fonds disponibles. Si on veut que l'économie de marché aille dans le bon sens, elle doit permettre l'exploitation du capital par des entrepreneurs talentueux. Et non l'inverse.
Thierry Aimar
© Le Monde

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