Plus de trois ans après l'attentat islamiste qui a décimé une partie de sa rédaction,Charlie Hebdo cherche à pérenniser son modèle, alors que les ventes, un temps stratosphériques, sont revenues à des niveaux ordinaires. Le journal satirique veut aussi préparer la relève et ouvrir son capital à de nouveaux actionnaires au sein de l'équipe, explique au Monde le patron de l'hebdomadaire, Riss, qui détient 67 % du -capital. " Notre génération doit transmettre à la suivante ", explique-t-il.
Autre changement d'importance, celui qui contrôle le reste du capital, Eric Portheault, a démissionné de son poste de directeur général fin janvier. Il reste toutefois jusqu'ici détenteur de ses actions.
" Dans tous les cas, il faut faire entrer de nouvelles personnes au capital ", pense Riss, qui se soucie de transmission éditoriale,
" mais aussi, forcément ", du cas où il
" arriverait quelque chose ", à lui-même ou à son associé.
Afin d'accueillir de nouveaux actionnaires – qui depuis la relance du titre en 1992 sont toujours salariés du journal afin de garantir son indépendance –, les statuts ont été modifiés, pour placer les revenus générés en 2015 par
le mouvement de solidarité après l'attaque dans une
" réserve statutaire " : 15 millions d'euros qui, contrairement aux comptes courants, ne peuvent pas servir à verser des dividendes, précise Riss.
" C'est une étape qui va rassurer les salariés, les lecteurs, et montrer qu'on est cohérents ", souligne-t-il, estimant tenir là les engagements pris en 2015, sur l'absence d'enrichissement des actionnaires et sur l'évolution du capital. Car grâce à cette
" mise de côté " des réserves, le prix des actions peut devenir accessible à de nouveaux entrants, expose-t-il :
" Les parts doivent ne rien rapporter mais aussi ne rien coûter. "
Le coût de la sécuritéEn 2015, l'assassinat le 7 janvier au siège du journal de onze personnes, dont huit membres de la rédaction, par les frères Chérif et Saïd Kouachi, avait suscité de fortes ventes, une vague d'abonnements et des dons :
Charlie Hebdo avait dégagé un résultat de 14,5 millions d'euros pour un chiffre d'affaires de 63 millions.
A l'époque, des tensions internes étaient apparues, une partie de la rédaction réclamant une gouvernance plus ouverte. Des membres de l'équipe avaient signé une tribune collective dans
Le Monde, en mars 2015, pour réclamer la distribution de parts sociales, afin d'être
" impliqués dans la reconstruction ". Certains sont aujourd'hui partis, à l'image de Zineb El Rhazoui ou, plus récemment, de Patrick Pelloux, qui vient de rejoindre
Siné Mensuel, ou de Laurent Léger, embauché à
L'Express.
Riss estime que le temps est aujourd'hui plus propice au changement, car,
" au bout de trois ans, on voit plus clair "." En 2015, on ne pouvait pas décider de l'avenir à la va-vite ", juge-t-il. Il se justifie sur les critiques d'intransigeance qui lui avaient été adressées :
" Je ne voulais pas décider pour faire plaisir à tout le monde. Mon objectif était de maintenir un esprit satirique, celui qui avait été attaqué le 7 janvier. " Riss répète aussi souvent qu'être actionnaire est une
" lourde responsabilité ", un
" devoir plus qu'un droit ". Il imagine aujourd'hui intégrer quelques nouveaux associés, choisis parmi les 22 salariés permanents (le journal compte aussi une trentaine de pigistes). Toutefois, il ne donne pas de noms ni de calendrier précis.
Aujourd'hui, le journal vend désormais 70 000 exemplaires par semaine, dont la moitié en kiosque et l'autre par abonnements. Il a réalisé 2,5 millions d'euros de résultat en 2016, pour 19 millions d'euros de chiffre d'affaires, mais ne devrait pas être équilibré en 2017, alors que l'activité a baissé à 12 millions d'euros. Il faut songer à diminuer les coûts, anticipe Riss. Et par exemple réduire le recours à certains prestataires, appelés pour gérer l'urgence en 2015. L'hebdomadaire a aussi sollicité les pouvoirs publics : ces derniers financent les policiers qui assurent la lourde protection des membres de l'équipe, mais la sécurité des locaux reste à la charge du journal, soit 1,5 million d'euros par an, pour payer les vigiles privés et le remboursement de l'emprunt pour le blindage.
" Est-il normal pour un journal d'un pays démocratique que plus d'un exemplaire sur deux vendus en kiosque finance la sécurité des locaux et des journalistes qui y travaillent ? ", s'était interrogé Riss en janvier dans un éditorial. Le gouvernement n'aurait pas fermé la porte, mais se demanderait si une aide est juridiquement possible.
Sur le fond, une nouvelle formule est en préparation pour septembre, avec moins de rubriques
" figées ", raconte Riss, qui veut aussi préparer l'avenir numérique du titre, très peu actif en ligne.
" Faire rentrer des jeunes au capital, c'est aussi pour cela ",explique le dessinateur, de son propre aveu peu " branché " sur le numérique.
François Bougon, et Alexandre Piquard
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