Translate

jeudi 19 avril 2018

Le débat relancé sur les chômeurs en activité réduite


19 avril 2018

Le débat relancé sur les chômeurs en activité réduite

Le gouvernement souhaite ouvrir la réflexion sur le cumul indemnisation-salaire

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Les conditions d'indemnisation des chômeurs ont changé depuis le 1er novembre 2017. Et il est déjà question de les amender à nouveau. Le projet de loi " pour la liberté de choisir son avenir professionnel ", qui doit être présenté le 27 avril en conseil des ministres, évoque, en effet, la possibilité de modifier (d'ici la mi-2019, au plus tard) les règles encadrant l'octroi d'une allocation aux demandeurs d'emploi qui travaillent. Le gouvernement a souhaité relancer la réflexion à ce sujet, mais sans afficher de position claire. Son initiative renvoie aux critiques, récurrentes, qui sont formulées contre un dispositif accusé d'alimenter des effets pervers.
Fondé au début de la Ve  République, le régime d'assurance-chômage avait initialement pour vocation de ne couvrir que les personnes qui ont involontairement perdu leur emploi et qui n'occupent aucun poste. A partir des années 1960, ce principe a été aménagé afin de maintenir le versement de l'allocation en cas d'activité occasionnelle ou réduite : il ne s'agissait alors que de dérogations, accordées au fil de l'eau.
Petit à petit, les mécanismes ont évolué, jusqu'à prévoir des règles autorisant le cumul indemnisation-salaire. Celles-ci ont encore été assouplies dans une " convention " signée en  2014 par les partenaires sociaux qui copilotent l'Unédic, l'association paritaire chargée de gérer l'assurance-chômage. Objectif : s'adapter " aux fragmentations des trajectoires professionnelles " et " inciter les allocataires à reprendre un emploi ", décrypte Bruno Coquet, chercheur affilié à l'Observatoire français des conjonctures économiques. Le nombre de personnes qui sont à la fois indemnisées par le régime et rémunérées par l'activité qu'elles exercent n'a cessé de s'accroître : au dernier trimestre 2016, il a culminé à 812 000, avant de redescendre légèrement, en  2017.
" Permittence "Or, ce dispositif suscite, depuis longtemps, des controverses acharnées – en particulier parmi les économistes. Certains ont estimé qu'il conférait à l'Unédic un rôle de complément de salaire pour des actifs " abonnés " aux petits boulots mal payés – ce qui entérinait, du même coup, la flexibilité croissante du marché du travail. D'autres ont mis en avant le fait que les conditions d'indemnisation des demandeurs d'emploi en activité réduite avaient contribué à l'essor des contrats courts, les entreprises comme les salariés pouvant avoir intérêt, parfois, à rester dans la " permittence " (situation d'une personne alternant des missions brèves dans une même société et des périodes d'inactivité durant lesquelles elle reçoit l'assurance-chômage).
L'Unédic, elle-même, indique, dans un document mis en ligne sur son site Internet, que le mode de calcul de l'aide, après la convention de 2014, a entraîné des iniquités. Ainsi," des personnes enchaînant les contrats de moins d'une semaine pouvaient, en cumulant leur salaire et leur allocation, obtenir un revenu supérieur à celui d'une personne travaillant à temps plein pour le même salaire horaire ". Les partenaires sociaux gestionnaires de l'Unédic ont corrigé le tir en modifiant la formule de calcul de la prestation dans une convention conclue en  2017. Insuffisant, aux yeux de Corinne Prost, du Conseil d'analyse économique : seules ont été traitées " des situations aberrantes qui concernent des personnes cumulant une allocation-chômage et des emplois de moins d'une semaine, explique-t-elle. Il subsiste la possibilité d'alterner durablement indemnisation et emploi court, aucune limite dans le temps n'étant fixée. Environ 100 000  personnes sont dans ce cas de figure ".
Professeur à l'Ecole d'économie de Paris, François Fontaine partage cet avis : " La convention de 2017 a modifié des choses sans toucher au problème de fond : le fait que le système permette un cumul assez limité, en termes de revenu, mais facilite, en revanche, la “permittence” en donnant la possibilité d'étendre assez facilement ses droits au chômage indemnisé. " Les conséquences sont loin d'être négligeables, selon lui : " C'est sans doute coûteux pour l'Unédic et cela favorise un usage intensif des contrats courts, côté entreprise. "
Mais toucher au dispositif requiert de la prudence. " Le fait de pouvoir cumuler un revenu d'activité et une indemnisation chômage est important car cela permet à une partie de la population, à la recherche d'un poste, de subvenir à ses besoins de base ", souligne Sabina Issehnane, maître de conférences à l'université Rennes-II. Cependant, poursuit-elle, " le risque est grand, parallèlement, que ces mêmes personnes restent enfermées dans des formes d'emploi mal payées, déqualifiées, et qu'elles subissent un déclassement, tant sur le plan social que professionnel ".
C'est d'ailleurs pour cette raison que Carole Tuchszirer, chercheuse au Centre d'études de l'emploi et du travail,considère que les questions soulevées par le cumul mettent en évidence " un angle mort dans les politiques de l'emploi : celui de l'accompagnement des chômeurs qui exercent une activité réduite "" Il n'existe pas réellement, à ce stade, les efforts étant plutôt concentrés sur le sort de ceux qui sont éloignés du monde du travail, observe-t-elle. Il conviendrait de repenser la place de Pôle emploi, de l'Unédic et du système de formation continue dans la gestion des transitions professionnelles. "
Autre piste, développée par M. Coquet : " Identifier les employeurs qui recourent structurellement aux contrats courts alors qu'ils pourraient davantage embaucher sur des durées plus longues. "" La difficulté est de trouver une bonne manière de contenir le dispositif du cumul, qui s'est envolé depuis quinze  ans, avance, pour sa part, M. Fontaine. Une limitation dans le temps pourrait être envisagée. "
Mais ce débat inspire de fortes craintes chez les syndicats. Denis Gravouil (CGT) y voit la préfiguration d'une " baisse de l'indemnisation pour ceux qui ont les contrats les plus courts "" Je pensais que la convention de 2017 avait réglé les problèmes et amoindri les effets pervers ", confie Michel Beaugas (FO). D'après lui, le fait de rouvrir ce dossier traduit, en réalité, la volonté de faire des économies pour compenser de nouvelles dépenses, induites par l'allocation-chômage qui sera attribuée aux indépendants et aux démissionnaires.
Bertrand Bissuel
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire