Louis Viannet, ancien secrétaire général de la CGT (1992-1999), est mort dans la nuit du samedi 21 octobre au -dimanche 22 octobre à l'âge de 84 ans. Passionnément attaché à son syndicat, " Loulou ", comme on l'appelait familièrement, l'homme qui a amorcé la mutation de la CGT, est resté jusqu'à la fin de sa vie une autorité morale dont la parole était encore très écoutée.
Le 5 janvier 2015, depuis la maison qu'il avait acquise en Ardèche pour vivre sa retraite, s'adonnant de moins en moins au plaisir de la chasse en raison de ses ennuis de santé, il était sorti de son silence pour évoquer la crise
" sans précédent " traversée alors par la CGT. Dans un entretien au
Monde, il avait demandé à Thierry Lepaon, mis en cause dans des affaires -relatives à son train de vie, de -démissionner de ses fonctions de secrétaire général, ce qu'il fit deux jours plus tard.
Né le 14 mars 1933 à Vienne (Isère), Louis Viannet passe sa prime enfance dans le village de Chavanay. Son père est ouvrier à Rhône-Poulenc, syndiqué à la CGT. Malgré le manque de moyens et une scolarité difficile ? "
pas de fric, pas de bouquins pour être au niveau des autres, racontera-t-il.
Parfois même, j'étais obligé d'emprunter le pantalon d'un autre pour sortir " ?, il assure avoir été
" heureux comme un poisson dans l'eau ".
L'envie de lutter contre l'injusticeA 11 ans, boursier, il poursuit ses études dans un internat de Saint-Etienne. Lors des grèves de 1947, au parfum insurrectionnel, le proviseur met ses élèves à la rue. Louis Viannet lâche ses études à la fin du secondaire. Il monte à Paris. Bachelier, il tente le concours des impôts, qu'il rate, puis celui des PTT, qu'il réussit. Entré à La Poste en 1953,
" encore vierge de toute affinité idéologique ", il est confronté aux grandes grèves de la fonction publique. Quand la CFTC et FO signent un accord de reprise du travail, il se révolte :
" Le problème n'était pas de savoir si l'accord était bon ou pas. Je m'insurgeais contre le fait qu'on avait décidé à ma place. " Il prend sa carte à la CGT, puis au Parti communiste.
Louis Viannet fait son service militaire à Laval puis à Lyon ?
" ce fut mon premier contact avec des cadres fascisants ", dira-t-il ?, il y puise la volonté de se consacrer au militantisme pour lutter contre l'injustice. Contrôleur des postes aux chèques postaux à Lyon, " Loulou ", qui avait appris à Paris à jouer de la batterie, suit des cours du soir et découvre Marx et Jean-Paul Sartre.
Très vite, il fait savoir aux instances de la CGT et du PCF qu'il veut
" en être " tout en mesurant son
" inculture politique ". Elu au bureau départemental du syndicat des PTT du Rhône en 1959, il est détaché pour activités syndicales en 1967. Secrétaire général adjoint de la Fédération CGT des PTT en 1972, il en devient le patron en 1979. Entre-temps, il est entré, en 1976, au comité central du PCF.
Celui qui assure "
avoir toujours milité avec - ses -
tripes " porte pourtant un regard critique sur les deux organisations sœurs, jugeant qu'en Mai 68 elles ont été
" à côté de la plaque " et que, après la signature du programme -commun de la gauche, la CGT a
" collé bêtement au PCF ", son engagement reflétant
" un sommet decontradictions ". Mais cela, il ne le dira que bien après coup, de même que sa conviction, en 1984, que
" la CGT ne survivrait qu'en gagnant son autonomie par rapport au PCF ".
En 1982, Louis Viannet est un -militant discipliné et bien dans la ligne quand il rejoint les deux " saints des saints " : le bureau confédéral de la CGT et le bureau politique du PCF. Après l'échec de l'ouverture tentée par Georges -Séguy, en 1978, au congrès de Grenoble, la CGT, dirigée par Henri Krasucki, est en pleine glaciation. Numéro deux de la centrale, Louis Viannet prend la direction de son hebdomadaire,
La Vie ouvrière. Prompt à dénoncer le
" compor-tement antinational du patronat ", il suit sans états d'âme la " ligne Krasucki ", faisant la chasse aux contestataires.
En 1984, après la sortie du -gou-vernement des ministres communistes ? qu'il approuve ?, il plaide pour une radicalisation. En mai 1985, devant le comité central du PCF, il dénonce
" la mollesse " de la CGT face au pouvoir en lui reprochant de ne pas pointer qu'il s'agit d'un
" gouvernement socialiste ". Devenu le bras armé du PCF au sein de la CGT, il juge, en septembre 1985, qu'
" il y a peu de différence entre l'argumentation du patronat, celle du gouvernement socialiste et celle des partis de droite ". Henri Krasucki ne cède pas. Mais au congrès qui suit, en novembre, la CGT durcit nettement le ton.
Amateur de jazz et de chasseLouis Viannet mérite pourtant mieux que cette image de dur qui lui colle à la peau. Bonhomme, voire débonnaire, cet amateur de cigarillos et de bons petits plats aime les plaisirs de la vie, le jazz, le jeu, du bridge aux échecs, et, surtout, la chasse qu'il pratique dans le Loiret, où il a alors une maison, avec son voisin Georges Séguy.
" M. Viannet est unrévolutionnaire parfait, ironise-t-on au patronat.
On sait qu'il ne fera pas la révolution le lundi,car il chasse. "
Avec son regard malicieux sous ses fines lunettes, ses cravates flamboyantes et ses bretelles légendaires, son accent rocailleux et son rire contagieux, l'homme peut être aussi rugueux que chaleureux. En toutes circonstances, il préserve sa vie de famille avec son épouse Josette, dont il apprécie particulièrement les gâteaux de foies blonds, et sa fille Sylvie, enseignante.
Lorsque " Loulou ", porté à ce poste par le PCF, est élu, le 31 janvier 1992, secrétaire général de la CGT, il a toujours le profil du pur orthodoxe, voire du
" stalinien de service ", et d'emblée il ne fait pas de cadeau aux modernistes dont certains, comme Alain Obadia, le patron des cadres de l'UGICT, quittent la direction.
Après deux années rudes, le tournant s'amorce en juillet 1994. Dans un entretien au
Monde, Louis Viannet assure que la CGT doit
" intégrer les changements qui interviennent dans le monde du travail et, en particulier, dans la composition du salariat ".
" Le syndicalisme, proclame-t-il,
ne doit pas se réduire à n'être quel'expression de salariés qui ont encore quelque chose à défendre ", enjoignant à ses troupes d'
" investir les déserts syndicaux " pour enrayer l'érosion des adhérents. Convaincu que
" la CGT doit sortir de son cliché archaïque et exclusivement contes-tataire ", il la réinsère, en janvier 1995, dans le jeu contractuel. Au passage, il manque, à la suite d'un léger accident de moto, la première entrevue officielle, après dix-sept ans de gel, avec Jean Gandois, le président du CNPF (ancêtre du Medef), avec lequel il noue une relation
" virile " mais cordiale.
Pape de la mutationEn décembre 1995, en plein mouvement social contre le plan Juppé, il fait retirer des statuts de la CGT, lors du 45e congrès où il -obtient un second et dernier mandat,
" la socialisation des moyens de production ". Il y fait aussi acter, quitte à faire grincer des dents, le départ de la CGT de la Fédération syndicale mondiale (FSM), cette Internationale " rouge " pilotée par Moscou réduite à l'état de squelette après la chute du mur de Berlin et la dislocation de l'URSS. Une décision qui lui donnait, en théorie, un -ticket d'entrée à la Confédération européenne des syndicats (CES). Celle-ci exigeait comme préalable à son admission qu'elle coupe les ponts avec la FSM et le PCF. Seule la première condition est remplie et le 21 novembre 1996, la CES, poussée par la CFDT et FO, rejette sa demande.
Aussi, le 19 décembre 1996, lors du 29e congrès du PCF à la Défense, Louis Viannet annonce avec solennité sa décision, prise en accord avec Robert Hue, de quitter le bureau politique (devenu bureau national) du PCF, rompant un lien qui
" n'était bon ni pour le parti ni pour la CGT ". Le syndicat ne se laissera pas entraîner dans la chute du PCF.
Pragmatique, réformiste qui s'ignore (à peine), Louis Viannet a été le pape de la mutation de la CGT. Son successeur, Bernard -Thibault ? qu'il avait choisi après avoir hésité avec Maryse Dumas, venue comme lui des PTT mais qui ne voulait pas du poste ?, poursuivra dans cette voie et en récoltera les fruits. Le 19 mars 1999, la CGT est admise à la CES.
En 2001, M. Thibault coupera le cordon avec le PCF. Louis Viannet a aussi réhabilité la négociation et conçu le
" syndicalisme rassemblé ", supposant que la CGT ne joue plus l'avant-garde sur laquelle les autres syndicats étaient priés de s'aligner. Il repose, expliquait-il au
Monde du 19 décembre 1995, sur
" la recherche de travaux en commun qui ne portent pas, comme condition pour avancer, la remise en cause de l'identité de chacun ". Après le mouvement social de 1995 où la CGT et la CFDT s'étaient affrontées, il avait amorcé un rapprochement avec la centrale de Nicole Notat.
En 2006, dans la revue
Mouvements, il avait émis le vœu de voir le syndicalisme
" s'attaquer à quelques tabous du passé et parvenir enfin à donner de lui-même une image conforme aux aspirations des salariés d'aujourd'hui ". Mais le pape de la mutation s'en est allé au moment où la CGT semble tentée de renouer avec les démons de son passé radical.
Michel Noblecourt
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