De manière on ne peut plus prévisible, le chœur des néo-cons(ervateurs) s’est déchaîné contre le hashtag
«balancetonporc».
«Délation» dit Alain Finkielkraut,
«dégueulis» dit Christine Boutin,
«délathon» dit Elisabeth Lévy, etc. C’est un fait que l’intitulé de la rubrique Twitter n’est pas d’une extrême élégance. Que fallait-il dire ? «Cochon» ? Ce n’est guère plus flatteur. «Vieux dégueulasse» ? Mais il y en a de jeunes. «Violeur» ? Tous ne le sont pas, loin de là. «Gros beauf» ? Certains sont maigres. «Satyre» ? Encore faut-il connaître ce mot un peu désuet. Aux dires de l’auteure du hashtag, il s’agissait de provoquer une libération de la parole par un sarcasme volontairement vulgaire. Sur ce point, la réussite est totale.
«Harceleur», plus clinique, aurait été moins efficace.
Au demeurant, les accusations nominales diffusées sur Twitter se comptent sur les doigts d’une main (sur plus de 30 000 tweets). La quasi-totalité des femmes qui témoignent omettent de préciser le nom de leur harceleur, ou même de leur violeur. C’est la précision des scènes rapportées, et surtout leur nombre, qui font événement, à juste titre.
Chacun découvre l’étendue du phénomène, même si on pouvait s’en rendre compte depuis un certain temps, surtout depuis que des enquêtes d’opinion ont montré que la moitié des femmes, environ, se plaignent du comportement brutal ou inapproprié d’une partie de la gent masculine à leur égard.
La discussion sémantique autour de la formule «balancetonporc», outre son usage rhétorique par les antiféministes, qui veulent à tout prix noyer le poisson, ou le «porc», cache en fait la véritable question que posent les contempteurs du hashtag : est-il légitime, pour une victime, de dénoncer nommément son agresseur ?
Devant
la justice, oui. C’est même la moindre des choses si l’on veut porter plainte et qu’on connaît son agresseur. Dans ce cas, un tribunal tranchera, sachant que la preuve est difficile à administrer, à moins de disposer, ce qui est rare, de traces écrites (des SMS, par exemple), enregistrées (par la victime si elle a pu se préparer) ou filmées (par une caméra de surveillance). Et si l’enquête débouche sur un non-lieu, faute de preuves, l’accusé peut engager une poursuite en dénonciation calomnieuse qui risque de coûter cher à l’accusatrice.
Légalement parlant, toute dénonciation publique est par nature diffamatoire : elle porte atteinte à l’honneur et à la considération de la personne mise en cause. Elle peut donc donner lieu à poursuite. Les journaux qui se livrent à ce genre d’exercice sont régulièrement condamnés. Et encore, s’ils appliquent les règles élémentaires de déontologie, ils doivent impérativement recueillir la réaction de la personne mise en cause avant toute publication. C’est l’instantanéité du Net qui pose problème, même si Twitter ou Facebook sont juridiquement tenus de retirer tout message illégal dès que quiconque en fait la demande. Sur les réseaux sociaux, il est clair qu’il y a atteinte à la présomption d’innocence. Pour passer outre, il faut donc être diablement sûr de soi. Ce que font les journaux qui disposent de documents irréfutables ou de témoignages concordants. La dénonciation d’Harvey Weinstein et de quelques autres, dont les comportements délictueux étaient pour ainsi dire connus
de leurs milieux, paraît in fine parfaitement légitime, d’autant qu’ils étaient auparavant protégés par une omerta aussi louche que significative.
Elles ont d’ailleurs été précédées d’une longue enquête journalistique.
Pour les autres, notamment quand les faits sont anciens, la prudence s’impose de toute évidence. La mise au pilori appose une marque d’infamie sur l’accusé, dont il aura toutes les peines du monde à se défaire, même s’il est innocent ou reconnu comme tel par la justice.
Dans les systèmes démocratiques, la charge de la preuve revient à l’accusation. C’est sur ce point qu’il faut réfléchir : dans le cas d’agressions sans témoins, la victime se retrouve en position de faiblesse. Sa parole seule ne suffit pas, dans la mesure où le doute profitera à l’accusé. Mais à l’inverse, le transfert de la charge de la preuve à l’accusé, qui devrait alors établir son innocence, contredit les principes généraux du droit. Peut-on rééquilibrer les procédures sans heurter les principes ? Juristes et parlementaires ont là un important motif de réflexion.
Et aussi
• Le report de la généralisation du «tiers payant», officiellement justifié par des difficultés techniques, pose un problème d’équité, ou de solidarité. Largement pratiqué en Europe, le tiers payant a pour avantage évident d’éviter à des patients très modestes d’avancer le prix de leur consultation. Il est déjà pratiqué en France pour des millions de personnes. On craint de comprendre que c’est surtout l’opposition des syndicats de médecins, dont le progressisme n’a jamais été la caractéristique principale, qui a fait reculer la ministre. Les bruyants cris de victoire poussés par les syndicats en question tendent, en tout cas, à accréditer cette explication.
• En relançant la polémique sur la taxe de 3% sur les dividendes, créée en 2012 et annulée par le Conseil constitutionnel, Bruno Le Maire a joué les arroseurs arrosés. Après les socialistes, les responsables de LR remarquent que parmi les principaux maîtres d’œuvre de cette taxe figurent le président de la République, son directeur de cabinet ou encore l’actuelle directrice du Budget, tous détenteurs à l’époque de postes de responsabilité économique importants dans l’appareil gouvernemental. Arroseur arrosé, d’ailleurs, n’est pas le terme exact : Bruno Le Maire était dans l’opposition au moment de l’instauration de la taxe : il restera au sec. C’est plutôt un arroseur arrosant… Avec un tuyau coudé, il arrose ses collègues et son supérieur hiérarchique le président de la République.
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