Une femme pour la liberté. Pour la liberté des femmes ; pour la liberté tout court… Ceux qui ne croient pas au progrès humain, qui pensent la démocratie comme décadence, qui cultivent un pessimisme lettré, qui érigent la nostalgie en philosophie
se pencheront sur la vie de Simone Veil. Ils y trouveront la réfutation éclatante de leur fausse lucidité. A travers les tragédies, les combats, les vicissitudes de la vie politique, celle qui vient de disparaître a incarné l’espoir paradoxal de la faillible humanité. Rescapée du crime des crimes, survivante en colère, elle symbolise la résilience de ceux qui veulent croire, malgré toutes les horreurs, à la perfectibilité des sociétés humaines, trop humaines. Elle fut une bourgeoise en chignon sévère et fourrure, femme de droite au caractère difficile, magistrate qui approuve la dureté des lois. Elle fut néanmoins une révoltée, une militante qui tire les leçons du sinistre XX
e siècle pour secouer les traditions, faire vivre la mémoire de l’horreur pour la conjurer, patriote qui exècre le nationalisme, conformiste qui rompt avec l’ancestrale sujétion des femmes, européenne qui croit à l’union des peuples pour interdire sur le vieux continent la guerre des nations.
Echappée de la Shoah grâce à sa force de résistance autant que par le miracle du hasard, elle constate avec amertume au sortir de la guerre que les victimes sont réduites au silence, éclipsées par l’effervescence patriotique. Elle prend sa revanche à la tête de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, qui allie minutieusement le souvenir et l’émotion à la quête incommode de la vérité. Elle a compris pour l’avoir éprouvé dans sa chair, dans la perte des proches, le danger fondamental des catégories identitaires qui jettent l’humanité contre elle-même, fille d’une famille juive intégrée depuis toujours soudain expulsée, moralement et physiquement, de la communauté nationale, et condamnée à l’effacement par le refus de reconnaître l’unicité du sort des juifs déportés.
C’est la racine de son engagement pour l’Union européenne, qui lui semble la seule voie du salut pour ce continent martyrisé par le culte de la nation. La volonté de faire sa vie après l’avoir sauvée de peu la fait sortir de son destin de femme tracé d’avance. Elle devient magistrate contre l’avis de son mari, qui devra se convertir, contraint et forcé, à l’égalité des sexes, puis au rôle second que la notoriété de celle qu’il voyait en épouse classique relègue dans une ombre relative. Peut-être est-ce là l’origine de son engagement pour la liberté du choix,
qui impose la légalisation de l’IVG à une majorité rétive. La force des préjugés, les insultes antisémites, la hargne archaïque des croisés de la tradition la ramènent aux épreuves de la prime jeunesse. Elle fait front victorieusement, sans ciller.
«Non, dit-elle en commentant la photo illustre où elle a la tête dans les mains, seule au banc du gouvernement,
je ne pleurais pas.»
Les pleurs sont pour aujourd’hui. Ils sont au cœur de tous les démocrates de France, de ceux qui, pensant à Simone Veil, qui gardent leur foi en l’avenir.
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