Analyses et débats pour le renouveau d'une pensée de l'émancipation
Ou pourquoi Mélenchon ne mérite ni l'excès d'honneur de ses partisans ni l'indiginité à laquelle le vouent certains de ses adversaires
Jean-Luc Mélenchon est devenu un homme populaire (dans les sondages) sans pour autant que les sondages en termes d’intentions de vote suivent la courbe ascendante de sa popularité. Entre ses fans subjugués par ses meetings qui sont de véritables « one man show » et ses détracteurs qui en font le croquemitaine de la politique française, il semble bien difficile de garder raison.
C’est entendu, la campagne de Jean-Luc Mélenchon pose de très nombreux problèmes. Sur le fond d’abord : son programme présente de nombreux points positifs – par exemple sur les institutions, sur la défense des droits des travailleurs, sur l’école, sur la laïcité, etc.. On pourrait être plus sceptique sur la « transition écologique ». L’économie de la mer et les éoliennes sont des solutions techniques qui ne disent rien des questions fondamentales de la société. C’est trop ou pas assez. On peut relever quelques idées assez farfelues : Mélenchon veut nous guérir de notre addiction aux protéines animales et propose en même temps l’installation de 300000 agriculteurs… On ne peut pas faire plaisir à la fois aux « vegan » et aux paysans.
On pourrait longuement discuter de la laïcité. Le programme propose une laïcité stricte, incluant – il est le seul à le faire – la suppression du statut concordataire de l’Alsace-Moselle. Mais il évite soigneusement les questions qui fâchent, c’est-à-dire celles du « communautarisme » et plus exactement de l’attitude à tenir face à l’offensive séparatiste menée par les Frères musulmans et toutes sortes de salafistes. Le programme, dans son chapitre sur la lutte contre le terrorisme propose seulement de « supprimer le terreau communautaristes ». Formule bien vague, on en conviendra. Le soutien qu’il a reçu de la part de Clémentine Autain pourrait laisser soupçonner que les choses ne sont pas si claires. Le candidat lui-même est spécialiste de l’art de « botter en touche » quand des questions un peu précises lui sont posées.
Le deuxième « flou » porte sur l’UE. L’orientation de Mélenchon se résume en deux parties : 1) un plan A qui propose une renégociation des traités afin de garantir à chaque nation le droit de mener la politique économique et sociale qu’a décidée le peuple. Le but est cependant de « refonder l’Union Européenne » ; 2) si cette renégociation n’aboutit pas, la France refusera d’appliquer la discipline de l’UE (plan B). Or, cette proposition, si elle a le mérite de mettre le doigt sur la question centrale, celle que passent sous la table les autres candidats, n’en est pas moins très floue et laisse la porte ouverte à une politique à la Tsipras. Supposons, hypothèse parfaitement irréaliste que le plan A fonctionne, alors la conclusion logique est la fin du pacte de stabilité et donc la fin de la monnaie unique qu’est l’euro et le retour aux monnaies nationales avec éventuellement une monnaie commune. Il est en effet impossible de garantir une monnaie unique avec des politiques économiques trop divergentes. A fortiori, si nous sommes dans le cas du plan B, la France ne peut « désobéir » sans rejeter l’instrument essentiel de la discipline européenne qu’est l’euro. Bref, sur ce point, Mélenchon est exactement sur la ligne de Tsipras … avant l’élection grecque et il est à craindre que, si d’aventure Mélenchon était élu, il ne suive finalement la même ligne au motif qu’il faut sauver l’euro. Encore en 2012, Mélenchon disait pis que pendre de ceux qui voulaient sortir de l’euro.
En matière de politique étrangère, Mélenchon veut endosser l’habit du général De Gaulle, affirmant que son seul guide est l’intérêt de la France. Ne plus suivre aveuglément les USA, refuser la politique anti-Russe et toute velléité d’intervention militaire. Il préconise la sortie de l’OTAN. Tout cela pourrait sembler séduisant. Mais en réalité Mélenchon s’appuie sur une analyse qui retarde de plusieurs décennies et reste aveugle aux défis fondamentaux qui se posent à qui veut préserver la paix entre les nations. Ne prenons ici qu’un point : on ne peut faire de la souveraineté du peuple la source de toute légitimité politique sans proclamer que ce droit ne vaut pas que pour la France mais a bien une portée universelle. Tout naturellement donc, il faudrait se prononcer pour la garantie de l’intégrité et de l’indépendance de l’Ukraine ou encore pour les droits des Kurdes…
Il est encore d’autres questions et tout cela devrait être approfondi. En tout cas le programme de « La France insoumise », s’il est critiquable en bien des points se revendique clairement de l’héritage d’un républicanisme social, réformiste, mais sérieusement réformiste. En faire la « solution de secours de l’impérialisme français » comme on a pu le lire ici et là est parfaitement ridicule. De tous les candidats susceptibles de présenter un peu plus qu’une candidature de témoignage, il est, à l’heure actuelle, le seul à qui l’on pourrait apporter un soutien critique.
Je dis bien soutien critique. Car le style de l’homme, la scénographie de sa campagne, la posture « sauveur suprême » qu’il adopte font fortement douter qu’il reste quoi que ce soit de solide une fois les lampions de la présidentielle éteints. La « France Insoumise » est un « mouvement », construit autour d’un chef charismatique mais ce n’est pas l’embryon d’une nouvelle organisation politique capable d’unir durablement le mouvement ouvrier et socialiste. L’échec patent du PG, les méthodes anti-démocratiques qui prévalent dans ce mini-parti et viennent ligne directe du lambertisme autant que de la fascination de Mélenchon pour les « caudillos » latino-américains, devraient suffire pour interdire tout optimisme exagéré quant à l’avenir du « mélenchonisme ».
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