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vendredi 1 juillet 2016

Affaire Kerviel/Société Générale : l’enquête fiscale enterrée


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Affaire Kerviel/Société Générale : l’enquête fiscale enterrée

Dès mai 2008, un document interne au parquet demandait d’enquêter sur la ristourne fiscale accordée par Bercy à la Société Générale.

Siège de la Société Générale à Puteaux (92)
Siège de la Société Générale à Puteaux (92) © Maxppp / Olivier Boitet/Le Parisien/maxppp

Dans une enquête conjointe, « France Inter », « Médiapart » et « 20 minutes » révèlent l’existence d’un rapport défavorable à la Société Générale, dans l’ « affaire Kerviel ».

Un "cadeau fiscal" de 2,2 milliards €

4,9 milliards € : c’est la somme que la Société Générale dit avoir perdu sur les marchés financiers en 2008 à cause de son trader Jérôme Kerviel. Pourtant, à la même période, la banque a aussi récupéré 2,2 milliards € du fisc français. Ce qui, sur le papier, est tout à fait légal. En effet la loi permet à une entreprise qui subit une perte exceptionnelle de déduire de ses impôts une partie de l’argent perdu. Mais cette déduction n’est possible que si les contrôles internes de l’entreprise n’ont pas failli. Or, justement, la Société Générale a été condamnée pour défaut de surveillance par la Commission bancaire.
En octobre 2010 François Hollande, futur candidat PS aux élections présidentielles, s’en indigne :
On apprend que finalement la Société Générale va se faire rembourser. Comment admettre que lorsqu’une banque fait une erreur, ce soit le contribuable qui paye ?
Cette ristourne fiscale de plus de 2 milliards € est calculée sur la base des pertes annoncées par la banque, et seulement par la banque : près de 5 milliards €.
Elle sera accordée très rapidement par Bercy, avant même la fin de l’enquête judiciaire au début de l’année 2009. Un « cadeau fiscal » qui n’a pas lieu d’être pour l’expert-comptable Michel Tudel :
Cette perte de la Société Générale n’a jamais été quantifiée par un tiers évaluateur. Il n’y a eu aucune expertise indépendante, ni aucune expertise de justice. Par ailleurs, cette déduction fiscale, compte tenu des carences relevées dans la gestion et la mise en place des contrôles à la Société générale, ne me parait toujours pas possible.

Un rapport du parquet enterré

Dossiers de justice
Dossiers de justice © Maxppp
Pourtant toutes ces questions ont été posées au tout début de l’enquête sur l’affaire Kerviel : cet « enjeu fiscal » figure noir sur blanc dans un document de travail de vingt-cinq pages, rédigé en mai 2008 à la demande du parquet financier. Un rapport rédigé par un assistant spécialisé, expert des questions financières, rapport qui a été détruit par la suite. Quatre mois seulement après le début de l’affaire, ce document, retrouvé parSecrets d’Info affirme la nécessité d’enquêter sur les agissements de la banque et notamment sur la légitimité de cette ristourne fiscale de 2,2 milliards €. Extrait :
La déductibilité de cette charge pourrait être remise en cause si [l’enquête] venait à révéler la défaillance des contrôles internes de la société (…) qui seraient à l’origine, directe ou indirecte, des détournements. Une communication à l’administration fiscale apparaît nécessaire.
En clair : selon ce rapport du parquet financier, les 2,2 milliards de crédit d’impôt ne vont pas de soi et le fisc doit enquêter. Pourtant aucune suite ne sera donnée à ces préconisations. Plus étonnant encore, selon nos informations, ce rapport est suivi de plusieurs réunions au Pôle financier entre le procureur et les avocats de la banque. Une nouvelle preuve d’une enquête sous influence, pour l’avocat de Jérôme Kerviel, David Koubbi :
Jérôme Kerviel et son avocat, David Koubbi
Jérôme Kerviel et son avocat, David Koubbi © Radio France
La Société Générale a participé à une truquerie parfaitement honteuse. On peut s’interroger sur ces liens incestueux qui ont pu exister entre la section financière du parquet de Paris et la Société Générale.

"Une affaire d'État "

Contacté, l’ancien chef de section du parquet financierJean-Michel Aldebert, n’a pas souhaité réagir.
Même réponse négative de l’auteur du rapport, Cédric Bourgeois, par l’intermédiaire de son avocat Jérémie Chouraqui pour qui « le secret professionnel » de son client est « absolu, général et illimité dans le temps. »
Quant aux avocats de la banque, Me Jean Veil, François Martineau et Jean Reinhart, ils ont refusé de nous rencontrer pour commenter ce rapport.  Dans un mail, ils nous précisent qu’il leur est « impossible de [s’] exprimer » sur un document dont ils ignorent « l’auteur, le ou les destinataires, l’objet et le contenu lui-même », puisqu’il n’est pas au dossier judiciaire. Concernant les contacts avec les membres du parquet ou du Pôle financier, ils estiment que cela « constitue une pratique permanente, qui profite à tous les justiciables, victimes et mis en cause. Et ils ajoutent :
Ainsi, les avocats de M. Jérôme Kerviel ont, tout au long de l’instruction, fait le siège des procureurs, comme d’ailleurs des juges d’instruction aux fins de tenter de les convaincre de l’innocence de leur client. Ils en avaient le droit et nous n'avons jamais protesté qu'ils en usent.
Également contactés, plusieurs membres du parquet, en poste à l’époque, ont refusé de s’exprimer, en se retranchant pour certains derrière le secret professionnel.
Pour le député socialiste Yann Galut, il s’agit désormais d’une "affaire d’État " :
_Nous sommes passés de l'affaire Kerviel à l'affaire Société Générale. Cela renforce le soupçon sur les agissements de la Société Générale pour obtenir cette fameuse déduction fiscale. Le gouvernement doit absolument se saisir de cette affaire et une enquête des services fiscaux doit être ordonnée.


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