Translate

mercredi 24 février 2016

Le référendum en entreprise, c’est « la fin d’un syndicalisme militant »


Le référendum en entreprise, c’est « la fin

 d’un syndicalisme militant »

Le Monde.fr 


En 1971, l’Organisation internationale du travail (OIT) a adopté une Convention sur la représentation des travailleurs en entreprise. Elle indiquait dans son article 6 que « des mesures appropriées devront être prises (…) pour garantir que la présence de représentants élus ne puisse servir à affaiblir la situation des syndicats intéressés ou de leur représentants ». Elle accordait ainsi le primat au militantisme ancré dans la légitimité des luttes sur la représentation fondée sur l’électorat et le nombre, à ce titre doublement sous influence directe de l’employeur, en tant qu’électeurs et en tant qu’élus.
Que les législateurs français se soient écartés de cet esprit ne saurait surprendre, puisque la fin des contradictions du capital et du travail a été désormais décrétée au nom de la concurrence entre entreprises. Qu’un historien du droit du travail – Jacques Le Goff – vienne dans une tribune (« Le Monde » du 3 février) abonder dans le sens des organisations patronales et de la ministre du travail en défendant le référendum d’entreprise, qui va au-delà de ce que pouvait imaginer l’OIT quant à loi de la majorité, laisse infiniment plus perplexe. Car de quoi s’agit-il ? Non point de voter sur un accord prévoyant des augmentations de salaires ou des réductions de temps de travail, si minimes fussent-elles. Seuls les naïfs ou ceux qui méconnaissent les réalités sociales d’aujourd’hui peuvent croire cela. Et Jacques Le Goff n’est ni l’un ni l’autre. Ce qui sera soumis à référendum – le proche passé est là pour en témoigner – ce sont des accords concoctés par les employeurs pour augmenter le temps de travail ou réduire les salaires.
Juriste et ancien inspecteur du travail, M. Le Goff invoque l’autorité des grands maîtres de la sociologie du siècle passé, Durkheim ou Gurvitch, pour justifier cette évolution du droit et voir dans le référendum la libre expression des salariés. Il mobilise l’ancien ministre du travail Jean Auroux comme symbole de la volonté d’une certaine gauche, qui accéda au pouvoir il n’y a guère plus de trente ans et dont le rêve n’était rien d’autre que rendre citoyen le salarié dans l’entreprise. Cette tentative d’inscription du référendum en entreprise dans la continuité de ce récit est étonnante.


Hiérarchie des normes


Chacun peut mesurer en effet aujourd’hui l’échec absolu de ce rêve, brisé par la mondialisation et la domination de la concurrence libre et non faussée imposée par l’Union européenne. Moins nombreux sont ceux qui savent que cette même Union, afin de réduire à tout prix le « coût du travail », a promu la nécessité de renverser la hiérarchie des normes en matière de droit du travail, hiérarchie ou principe de faveur qui voulait que ce soit la disposition la plus favorable qui l’emporte entre le contrat de travail, l’accord d’entreprise, la convention collective de branche et la loi. Désormais, dans la lutte de tous contre tous au nom de la compétitivité, l’accord d’entreprise doit l’emporter sur toute autre norme. Les syndicats, désormais instrumentalisés et transformés en « partenaires sociaux », sont ainsi ravalés au simple rang de rouages de transmission. Cela s’est fait Espagne, au Portugal ou en Grèce il y a peu, et doit se faire désormais en France.
Il fallait, pour que cela fût fait, une chasse impitoyable contre ceux qui s’obstinent à refuser de devenir ces « partenaires sociaux ». La police de ce gouvernement sait être là pour les arrêter à l’aube, comme de dangereux criminels, pour avoir été supposés complices d’une révolte de salariés licenciés ; la justice de ce pays, rendue dit-on au nom du peuple, est là également pour condamner à de la prison ferme d’autres militants. Alors que dans le même temps se traîne l’instruction des responsables de tant et tant de suicides au travail et plus largement de tant et tant de morts au travail.
Il importait aussi, pour que cette transmutation soit possible, de réformer les règles de la représentativité : cela fut fait il y a une dizaine d’année par le MEDEF, au nom (bien galvaudé) de la démocratie, qui sut amener à sa table, comme un maître, les organisations dites représentatives d’alors négocier les critères mêmes de leur existence. Il fallait aussi que le gouvernement renonce au principe de la souveraineté populaire, au nom duquel « la souveraineté nationale appartient au peuple » : cela est en passe d’être effectué par le projet de loi porté par la ministre du travail donnant la prééminence au « dialogue social » qui, par construction, exclut tout progrès de la condition salariale.
Le référendum dont il est question (et que le projet de loi promeut) doit, dans leur esprit, permettre d’une part d’enrôler les salariés pour qu’ils participent eux aussi directement à la dégradation de leurs conditions de travail, et d’autre part, éviter la discussion argumentée pour se contenter d’un binaire oui ou non.
L’intelligence collective, en entreprise ou ailleurs, ne progressera jamais à coups de référendum et d’autres techniques de vote et d’expression, qui ne permettent ni n’organisent les modalités collectives de la discussion, de l’argumentation et de la critique. Ce n’est pas dans le secret des urnes, sous la pression du chantage à l’emploi, que les salariés, réduits à accepter leur propre soumission aux lois implacables de la concurrence, pourront accéder à la citoyenneté dans l’entreprise.

Benoît Verrier et Jacques Dechoz sont inspecteurs du travail et militants syndicaux à SUD-Travail

En savoir plus sur :http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/02/24/le-referendum-en-entreprise-c-est-la-fin-d-un-syndicalisme-militant


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire